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Comprendre la polycrise, comprendre la crise économique
Pour combattre la polycrise, réinvestir l’économie de la souveraineté et potentialiser la sobriété
| Résumé pour les décideurs
Décrochage économique, hausse des inégalités intergénérationnelles, hégémonie technologique américaine, ralentissement de la productivité : la crise socio-économique, longtemps perçue comme conjoncturelle, se révèle systémique.
L’Europe doit faire preuve de lucidité face à sa situation économique. Le ralentissement de la productivité n’est qu’un symptôme. Il traduit une incapacité à transformer l’innovation en prospérité partagée, et à réconcilier création de valeur et transition environnementale.
Le continent reste prisonnier d’un modèle de croissance hérité de l’après-guerre, fondé sur l’énergie abondante, la mondialisation pacifiée et la stabilité du cadre américain. Ces piliers se fissurent. La crise économique devient le miroir des autres crises qui s’entremêlent.
Le monde a basculé. Le retour des empires replace la puissance au centre du jeu. L’Europe, conçue pour dépasser la logique de force par le droit, découvre sa dépendance stratégique : matières premières critiques, technologies, sécurité. Le capitalisme d’État chinois, le nationalisme technologique américain et les turbulences financières globales resserrent l’étau. Ouverte et fragmentée, l’Europe devient le champ d’attraction de prédations multiples.
La contrainte environnementale impose une raréfaction du possible. L’économie européenne ne peut plus croître sans tenir compte des limites planétaires. Dans le même temps, la transition, telle qu’elle est conduite, accentue les écarts de compétitivité et les inégalités. Le dérèglement climatique n’est plus une simple variable environnementale : il redéfinit la structure économique et la cohésion sociale du continent.
L’économie devient le vecteur d’une crise de légitimité politique. Les inégalités, la désindustrialisation, la précarisation des jeunes actifs, les difficultés d’accès au service public offrent un terreau aux solutions radicales remettant en cause les acquis démocratiques.
Dans cet enchevêtrement, la crise socio-économique agit comme un nœud : elle relie et amplifie les autres. C’est à partir d’elle que peut s’enclencher une refondation. L’enjeu n’est pas de restaurer un cycle perdu, mais de redéfinir une nouvelle forme d’abondance à l’échelle d’un continent contraint.
Dans ce cadre, la notion de sobriété est aussi essentielle que d’autonomie stratégique. Elle doit toutefois composer avec deux exigences : la liberté de définir ce qui est indispensable à chacun, et la nécessité d’innover et d’investir pour améliorer la vie de tous.
L’Europe dispose encore d’atouts considérables pour mettre en œuvre ce projet. Ses excédents commerciaux, son capital humain, son socle universitaire et technologique, son modèle social peuvent constituer la base d’un nouvel élan.
L’autonomie stratégique doit devenir la boussole du projet européen. Pas seulement dans la défense, mais dans la finance, la recherche, la cybersécurité, les infrastructures critiques. Une Europe souveraine ne se définit pas contre le monde, mais par sa capacité à choisir ses dépendances et à protéger son modèle. C’est la condition de son influence, de sa résilience et de son exemplarité.
Pour cela, l’Europe dispose de plusieurs leviers :
D’abord, elle doit finaliser son marché commun. La fragmentation empêche l’émergence d’acteurs continentaux capables de rivaliser dans l’intelligence artificielle, les technologies vertes ou la défense. Un nouveau « moment Delors » doit advenir pour achever l’union des marchés de capitaux et renforcer la convergence des mécanismes de commande publique. Agréger la demande européenne, standardiser les marchés, mutualiser et standardiser les programmes : c’est la condition d’une souveraineté productive.
Ensuite, elle doit adapter sa stratégie climatique pour l’aligner sur les enjeux de compétitivité et de justice. L’Europe ne peut supporter seule le coût mondial de la transition. Elle doit bâtir une véritable politique industrielle verte, conjuguant innovation, relocalisation et montée en compétences des travailleurs. Cela suppose des transferts visibles vers les ménages et les territoires, des investissements massifs dans les réseaux, les capacités énergétiques et les infrastructures. La transition écologique doit devenir un moteur de richesse, non un handicap concurrentiel.
Enfin, elle doit refonder la solidarité intergénérationnelle. Le vieillissement, l’inflation et la crise du logement creusent une fracture politique majeure. La stabilité du modèle européen exige de nouveaux équilibres : revaloriser le travail des jeunes générations, mieux répartir les charges sociales, garantir l’accès au logement et à la formation. Sans cela, la crise économique amplifiera encore plus la crise politique en cours.
| Pour aller plus loin
- Pourquoi la crise économique est-elle une crise systémique ? | Lire la vue d'ensemble
- Quel rôle joue la crise économique dans la polycrise ? | Lire la section 0
- Comment s'opère la bascule historique via la polycrise ? | Revenir à l'etude générale
Comprendre la crise économique
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