• | Accueil
  • | Nos activités 
    • • Nos jeunes leaders
    • • Nos événements
    • • Nos publications
  • | Nos actualités
  • Polycrise 
    • 31/10 - Colloque au Sénat
  • | À propos 
    • • Notre mission
    • • Notre gouvernance
    • • Nos experts
    • • Nos partenaires
  • …  
    • | Accueil
    • | Nos activités 
      • • Nos jeunes leaders
      • • Nos événements
      • • Nos publications
    • | Nos actualités
    • Polycrise 
      • 31/10 - Colloque au Sénat
    • | À propos 
      • • Notre mission
      • • Notre gouvernance
      • • Nos experts
      • • Nos partenaires
Polycrise | Le colloque
  • | Accueil
  • | Nos activités 
    • • Nos jeunes leaders
    • • Nos événements
    • • Nos publications
  • | Nos actualités
  • Polycrise 
    • 31/10 - Colloque au Sénat
  • | À propos 
    • • Notre mission
    • • Notre gouvernance
    • • Nos experts
    • • Nos partenaires
  • …  
    • | Accueil
    • | Nos activités 
      • • Nos jeunes leaders
      • • Nos événements
      • • Nos publications
    • | Nos actualités
    • Polycrise 
      • 31/10 - Colloque au Sénat
    • | À propos 
      • • Notre mission
      • • Notre gouvernance
      • • Nos experts
      • • Nos partenaires
Polycrise | Le colloque

« La crise du multilatéralisme est un phénomène central de la polycrise, qui en est tout à la fois le miroir et le moteur » affirme Alain LE ROY

· Polycrise,Crise géopolitique

Alain Le Roy, diplomate de premier rang, ancienSecrétaire général adjoint des Nations Unies et ex-patron du Service européen d’action extérieure, observe avec lucidité une rupture historique : l’effondrement du système multilatéral, pierre angulaire de l’ordre international depuis 1945. Cet affaiblissement — produit conjoint d’assauts russes, de désengagements occidentaux et de la montée des logiques de puissance — alimente la brutalisation du monde. Il fragilise la régulation des interdépendances et empêche la gestion des biens publics mondiaux, du climat à la paix. Deux scénarios s’esquissent : l’enlisement dans un désordre fragmenté, ou la refondation d’un multilatéralisme plus inclusif, porté notamment par l’Union européenne. À cette croisée des chemins, la crise du multilatéralisme agit comme un facteur d’aggravation systémique de la polycrise — et comme une opportunité stratégique pour repenser l’ordre mondial.

Section image

Quelle place occupe l’effondrement du système multilatéral dans la crise géopolitique que nous connaissons ? Quel rôle joue ce phénomène dans la polycrise ?

L’affaiblissement des institutions et des normes internationales constitue aujourd’hui un phénomène central de la polycrise. Le multilatéralisme, fondement de la gouvernance mondiale depuis 1945, est fragilisé à un moment où il est pourtant plus nécessaire que jamais pour faire face à des défis communs comme le dérèglement climatique, les pandémies ou les conflits armés.

Section image

En effet, seuls les outils multilatéraux peuvent pleinement travailler sur la question des « biens publics mondiaux » que sont le climat, la santé, la faim ou la gestion de crises internationales dans le monde.

Ce processus d’érosion est à la fois le produit d’attaques frontales, telles celles portées par la Russie depuis 2014 ou par les Américains sous l’ère de Donald Trump, et d’un désengagement progressif, parfois moins visible mais tout aussi délétère, de puissances occidentales pourtant historiquement porteuses de ces structures.

Section image

Dans cette crise du multilatéralisme, quelle place occupent les ruptures récentes de la politique étrangère de la première puissance mondiale ?

Il est parfois avancé que les États-Unis, indépendamment de l’orientation de leurs présidents, seraient structurellement peu intéressés par le multilatéralisme. Cette affirmation est fausse et ne résiste pas à l’examen des faits. Sous la présidence de Barack Obama, les États-Unis ont manifesté un soutien explicite à l’architecture multilatérale.

Lorsque le président Obama a accueilli Ban Ki-moon à la Maison Blanche, il a affirmé sans ambiguïté : qu’il est multilatéraliste et qu’il croit en l’ONU. Le vice-président Joe Biden, alors à ses côtés, partageait cette posture, et tous deux ont véritablement soutenu l’action de l’ONU. L’élection puis la réélection de Donald Trump marque donc un moment de rupture avec l’engagement politique américain en faveur du système onusien et des institutions internationales. Simultanément, la Chine milite pour une forme alternative de multilatéralisme, orientée davantage vers l’influence et la logique bilatérale.

Dans ce contexte mouvant, il devient crucial de maintenir les instruments existants, aussi imparfaits soient-ils : l’Union Européenne pour les Européens, les mécanismes de l’Organisation Mondiale du Commerce, du Fonds Monétaire International et bien entendu de l’Organisation des Nations unies dans toutes ses composantes. Il faut aussi renforcer la place des pays du Sud qui est grandissante et qui doit continuer à être accompagnée. À cet égard, il peut être noté la création d’un troisième siège au sein du board du FMI pour renforcer la place des pays africains.

Alors qu’il célèbre son 80e anniversaire en 2025, l’ordre international hérité de 1945 est ébranlé. Les puissances moyennes qui y sont attachées, comme la France, peuvent-elles encore quelque chose face aux assauts des puissances russes, chinoises et américaines sur le système des Nations Unies ?

Au sein de l’Union Européenne, la France a un rôle particulier à jouer dans cette phase critique. Elle doit continuer à soutenir activement l’ONU, y compris sur des sujets aussi sensibles que l’auto-limitation du droit de veto au sein du Conseil de sécurité. Il existe encore un large champ d’action sur lequel des États comme la France peuvent faire preuve d’initiative diplomatique, en combinant volontarisme réformateur et fidélité aux principes fondamentaux du multilatéralisme.

L’ONU, bien qu’exposée à de nombreuses critiques et blocages, reste une instance unique en son genre. Elle demeure le seul cadre à vocation universelle et irremplaçable, capable d’organiser des sommets rassemblant l’ensemble des États du monde, comme ce fut le cas en juin 2025 à Nice, avec un succès notable.

À l’occasion de son 80ème anniversaire, l’ONU s’engage dans une tentative de réforme autour d’un « Pacte pour le futur » adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies. Ce pacte fournit des pistes de réforme que le Secrétaire général António Guterres portera et présentera notamment lors de l’anniversaire en octobre 2025 et illustre la persistance de dynamiques de réforme, même en période de crise systémique.

Section image

Pour comprendre l’importance historique de la crise du multilatéralisme, à quels signaux devons-nous prêter attention ?

Plusieurs signes, souvent peu visibles dans le débat public actuel, majeurs néanmoins, témoignent d’un basculement en cours.

D’abord, la réduction significative de l’aide publique au développement (APD) au plan mondial constitue un symptôme préoccupant. Ce recul intervient alors même que l’aide au développement joue un rôle majeur dans la stabilisation des sociétés fragiles et la réduction des inégalités, dont on sait qu’elles alimentent les conflits. Le démantèlement d’instruments d’influence comme l’USAID aux États-Unis illustre également cette tendance. Alors que les Etats-Unis se replient, c’est à ce moment que l’effort de solidarité de l’Europe aurait eu le plus d’impact. Nous assistons à un recul généralisé, y compris en France (- 30 % de l’APD). C’est le signe d’un renoncement dommageable qui marque le désintérêt pour la protection des biens publics mondiaux.

Section image

Un autre signal, plus profond encore, est la mise en péril explicite du droit international. L’invasion de l’Ukraine par la Russie constitue une violation flagrante de la Charte des Nations unies, à laquelle s’ajoute l’ambiguïté, voire le silence, de certains leaders occidentaux qui refusent de condamner clairement cette agression. Ce silence, notamment du côté de Trump, accentue la légitimation implicite de la force comme moyen de règlement des différends. Ce signal est un des éléments importants à prendre en compte, chaque manquement au droit est une avancée vers cette déstabilisation internationale

Ces tendances lourdes illustrent la remise en cause du projet imaginé et déployé à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.

Comment cette remise en cause du système multilatéral, des fondamentaux de la coopération internationale et de ses principes juridiques fondateurs peut-elle évoluer à horizon 5 ans ?

Il est difficile de se projeter à long terme, mais plusieurs horizons se dessinent.

Un scénario régressif s’illustrant par la montée en puissance de leaders autoritaires, par la banalisation de l’usage de la force et par la paralysie des institutions internationales pourraient conduire à un désordre mondial durable, structuré par des logiques de blocs antagonistes. L’époque actuelle est en effet marquée par un gouvernement Trump qui met tout en œuvre pour revenir à un système unilatéral, tout comme le porte la Russie de Vladimir Poutine. Seule la Chine prône encore un système multilatéral mais suivant ses propres règles.

Section image

À l’inverse, un scénario de résilience -certes moins probable- peut être espéré et qui pourrait voir émerger des coalitions d’États, portées notamment par l’Union européenne, décidant de relancer un multilatéralisme rénové, articulé autour de valeurs communes et d’agences spécialisées crédibles. Je pense au Haut Commissariat aux Réfugiés ou encore à l’Agence Internationale de l'Énergie Atomique car aucune agence nationale ne pourrait faire ce qu’elles font. Ce second scénario supposerait donc une réaffirmation du rôle normatif de l’ONU et une réhabilitation politique des instances multilatérales.

En quoi la crise du multilatéralisme constitue-t-elle un élément central de la crise géopolitique, et donc de la polycrise ?

L’ébranlement des institutions internationales est une composante fondamentale de la polycrise actuelle et peuvent s’expliquer comme mentionné par les coups de boutoir au multilatéralisme assénés par Poutine dès 2014 et plus largement depuis 2022 par l’envahissement de l’Ukraine. Dans ce contexte, la présence d’institutions fortes est nécessaire pour limiter les crises et tensions internationales.

La paralysie du Conseil de sécurité, notamment par l’usage répété du droit de veto depuis 2011 (exemple syrien), empêche la prévention ou la résolution des crises. Là où l’ONU jouait un rôle structurant dans les relations internationales entre 1989 et 2000, l’ensemble des crises étaient jouées au sein du Conseil de sécurité - hormis l’invasion en Irak et l’opération de l’OTAN en Yougoslavie -. L’ONU semble aujourd’hui reléguée à l’impuissance.

Section image

De même, il est tendance de dire que la Cour pénale internationale (CPI) n’est pas efficace et qu’elle ne condamne que les pays du Sud, toutefois, elle a joué un rôle par exemple dans la condamnation des chefs militaires de l’ex-Yougoslavie. La CPI gagne du terrain mais elle est tout de même fragilisée dans un contexte où les  trois « grands empires » - États-Unis, Chine et Russie - refusent toujours d’en être membres, réduisant de fait sa portée. Ce refus révèle une contestation plus large des fondements du droit international.

Quels points d’inflexion historique pourraient infléchir cette tendance à la brutalisation du monde par l’effondrement de la coopération internationale ?

L’instauration d’un ordre juridique international fondé sur la coexistence et la souveraineté des Etats prend ses racines au XVIIe siècle, avec des penseurs comme Hugo Grotius, en 1630, puis le Traité de Westphalie en 1648. Nous avons longuement cheminé dans cette direction avec la tentative de la Société des Nations puis l’Organisation des Nations Unies. Nous sommes peut-être à la veille d’un nouveau moment de rupture, de recul historique, où l’absence de reconnaissance effective des organes internationaux entraîne une montée continue des conflits, plus chaotiques, plus déstructurés.

Face à cette dérive, certaines bifurcations positives restent possibles. Un changement politique aux États-Unis, par exemple un retour des démocrates au pouvoir, pourrait relancer une dynamique de coopération fondée sur les normes et les institutions internationales. Parallèlement, l’Union européenne a une responsabilité particulière : celle de faire valoir le droit international, en assumant clairement que défendre l’Ukraine, ou Gaza, revient à défendre les principes de la Charte des Nations unies. Par ailleurs, c’est à l’Assemblée générale de l’ONU que doit s’ouvrir une réflexion renouvelée sur la gouvernance mondiale, par exemple à travers une révision ou un approfondissement de la Charte des Nations Unies. La création d’une nouvelle coalition d’États, unis non par leur puissance militaire ou économique, mais par leur attachement aux normes partagées, pourrait constituer un levier décisif dans cette direction, surtout si la Russie et la Chine choisissent de se détourner durablement du système onusien.

La France, dans ce contexte, a un rôle singulier à jouer. Plutôt que de se limiter à une action européenne, elle doit entretenir des relations bilatérales directes avec les membres des BRICS, malgré les différences très marquées qui divisent ce groupe. Car même si les BRICS apparaissent comme une coalition contestataire plus que constructive, leur seul point d’accord réel étant la volonté de remettre en cause les normes établies, il reste essentiel de maintenir des canaux de dialogue avec chacun de ces pays émergents pris individuellement.

Section image

On observe par ailleurs des initiatives régionales intéressantes : l’ASEAN, par exemple, est venue chercher auprès de l’Union Européenne une coopération renforcée. De même, l’existence d’alliances comme l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC ou CSTO en anglais) illustre la fragmentation croissante du système international. Ces structures alternatives doivent être prises au sérieux, même si elles peinent à offrir une vision cohérente ou partagée de l’ordre mondial, il suffit souvent d’en lire les communiqués finaux.

Dans ce paysage très mouvant, la réforme de la gouvernance globale ne pourra se faire sans impliquer les pays du Sud, souvent sous-représentés dans les structures existantes. Il faut donc renforcer le travail diplomatique avec ces États.

C’est d’ailleurs dans ce sens que s’oriente le programme « UN80 » actuellement porté par les Nations unies. Ce chantier de réforme, qui doit déboucher sur un Pacte pour le futur, pourrait constituer une opportunité décisive pour le futur de la gouvernance mondiale et l’Europe devra y prendre toute sa part comme moteur du multilatéralisme. Face à des BRICS fragmentés et sans vision commune claire, les Européens doivent se montrer proactifs, unis, et stratégiquement audacieux dans la refondation du système multilatéral.

Cette crise du système multilatéral, qui s’inscrit dans un contexte géopolitique lourd, laisse-t-elle de la place à d’autres acteurs que les puissances elles-mêmes ?

La crise du multilatéralisme traditionnel ouvre paradoxalement un espace pour repenser la gouvernance mondiale selon une logique plus ouverte, plus inclusive, et surtout multi-acteurs. Il devient en effet évident que les États, à eux seuls, ne suffisent plus à garantir la stabilité ni la régulation efficace des interdépendances globales. Dès lors, d'autres types d'acteurs, souvent non traditionnels, peuvent et doivent jouer un rôle structurant dans la recomposition du système international.

Parmi ces acteurs, les grandes entreprises transnationales occupent une place singulière. Certaines disposent aujourd’hui de produits intérieurs bruts supérieurs à ceux de nombreux États. Leur influence sur les chaînes de valeur, sur les normes techniques, mais aussi sur les dynamiques sociales et environnementales en fait des acteurs systémiques. Elles ne peuvent plus être tenues à l’écart de la définition des règles du jeu mondial.

Section image

En parallèle, la société civile organisée, sous toutes ses formes, ONG internationales, syndicats, associations, mouvements transnationaux, joue un rôle croissant dans la formulation des normes, l’évaluation de leur mise en œuvre, et l’alerte publique. Ces organisations, souvent plus agiles que les institutions interétatiques, contribuent à faire émerger des standards sociaux, éthiques ou environnementaux là où les États peinent à s’accorder.

Les collectivités locales et les villes globales représentent également un échelon déterminant. Elles sont à la fois confrontées aux effets directs des crises (climatiques, sanitaires, migratoires), mais aussi capables d’expérimenter localement des formes nouvelles de gouvernance, de coopération transfrontalière ou de diplomatie territoriale.

Ce tournant vers une gouvernance multi-acteurs n’est pas totalement nouveau. Il s’est amorcé, de manière exemplaire, lors de la création du Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Cette structure a innové en instituant un conseil d’administration où siègent non seulement les États donateurs, mais aussi des représentants des ONG, de la société civile et des entreprises. Ce modèle hybride a démontré qu’une gouvernance partagée pouvait produire des résultats efficaces et durables.

Ainsi, le moment que nous traversons ne doit pas seulement être vu comme une crise des institutions existantes, mais aussi comme l’opportunité d’élargir et de refonder le cercle des légitimités, en intégrant à la gouvernance mondiale une pluralité d’acteurs capables d’agir, de coopérer, et de rendre des comptes dans l’intérêt général.

Comment cette crise du multilatéralisme entre-t-elle en résonance avec les autres pans de la polycrise ?

L’ébranlement des institutions et des normes internationales est intimement lié aux trois autres grandes dimensions de la polycrise : la crise écologique, la crise socio-économique, et la crise politique et morale. Il agit à la fois comme facteur aggravant et comme symptôme de ces désordres systémiques.

Ainsi, pour répondre à ce point, il est nécessaire de revenir au « paradoxe » de départ qui illustre que sur les grands sujets, il y a un besoin d’organisations fortes mais qui à l’heure actuelle sont faibles. Plusieurs grandes organisations peuvent illustrer ce lien avec les différents grands enjeux.

Sur le plan écologique, les négociations internationales autour du climat, à travers les COP, montrent avec force ce paradoxe. Jamais l’urgence environnementale n’a été aussi largement reconnue ; jamais, pourtant, les instruments de coordination n’ont paru aussi faibles, fragmentés, ou dépendants des volontés nationales. Le cadre multilatéral existe, mais il reste largement impuissant à imposer des règles contraignantes ou à garantir leur application, faute d’instances fortes, dotées de légitimité et de moyens coercitifs.

Sur le plan socio-économique, la situation est similaire. L’OMC, le FMI et la Banque mondiale ont été pensés comme des piliers d’un ordre économique régulé, mais leur capacité à garantir un commerce équitable, une stabilité financière ou une réduction des inégalités globales est aujourd’hui mise en cause. Ces institutions, souvent perçues comme dominées par les pays du Nord, ne parviennent pas à incarner un véritable équilibre global. Le ressentiment à leur égard, notamment dans les pays du Sud, alimente la contestation des normes existantes et renforce les appels à un système plus juste, ou à des alternatives hors système.

Enfin, sur le plan politique et moral, la crise des normes internationales reflète une perte de confiance dans les principes de droit, d’universalisme et de coopération. L’affaiblissement du droit international humanitaire, la paralysie du Conseil de sécurité, ou encore l’impunité croissante de certains régimes violent directement les fondements éthiques sur lesquels reposait, au moins en partie, l’ordre multilatéral d’après-guerre.

Ce paradoxe est d’autant plus frappant que les défis actuels exigent précisément des institutions fortes, alors même que celles-ci s’effondrent ou se replient. Nous vivons une situation où le besoin de régulation mondiale est maximal, mais où la capacité effective de coordination est minimale.

Dans ce contexte, l’Europe, et en particulier l’Union européenne, continue de porter une vision du monde fondée sur le droit, la coopération et les biens publics globaux. Cette posture est mise à l’épreuve par la montée des régimes autoritaires, mais aussi par les limitations internes des démocraties elles-mêmes. Toutefois, malgré les attaques contre leurs fondements, les démocraties, notamment en Europe et aux États-Unis, restent fonctionnelles. Elles conservent des institutions capables de s’adapter, de débattre, de rendre des comptes, autant d’atouts décisifs pour affronter la polycrise.

Là où les institutions internationales faiblissent, il revient donc aussi aux systèmes nationaux et régionaux, notamment européens, de prendre le relais, en assumant une part plus directe de la gestion des biens communs : climat, justice sociale, paix, cohésion politique. En ce sens, la crise des normes internationales n’est pas isolée : elle est le miroir et l’amplificateur des autres crises systémiques en cours.

En quoi cette crise du multilatéralisme contribue-t-elle à une véritable bascule de l’Histoire ?

L’enjeu de l’ébranlement des institutions internationales s’inscrit pleinement dans un changement d’époque, une rupture stratégique dont les premiers signes remontent au moins à 2014. Cette année-là marque une inflexion majeure avec l’annexion de la Crimée par la Russie, une violation flagrante du droit international, restée largement impunie sur la scène multilatérale. L’incapacité des Nations unies à condamner fermement cet acte, en raison notamment du veto russe au Conseil de sécurité, a révélé la profondeur du dysfonctionnement des institutions censées garantir la stabilité du système international.

Ce tournant historique a été renforcé et amplifié par l’arrivée au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis. Dès son premier mandat, Trump a manifesté un mépris assumé pour les organisations multilatérales, se retirant de plusieurs accords internationaux majeurs (Accord de Paris sur le climat, OMS, UNESCO, etc.) et remettant en cause l’utilité même des alliances traditionnelles. Ce désengagement n’a pas seulement affaibli les structures existantes : il a donné un signal clair que la première puissance mondiale n’entendait plus jouer selon les règles collectives.

Nous sommes ainsi confrontés à un moment charnière où la contestation active du multilatéralisme par certains acteurs majeurs risque de faire basculer l’ensemble du système dans un nouvel ordre international, moins stable, plus fragmenté, et potentiellement plus violent.

En France et en Europe, nos institutions sont-elles adaptées pour traverser cette crise géopolitique ?

Face à l’ébranlement des normes internationales, les institutions françaises et européennes apparaissent, à bien des égards, comme relativement bien armées. La Constitution française, d’abord, a prouvé sa souplesse et sa capacité d’adaptation à des contextes géopolitiques changeants. Elle a permis à l’exécutif, notamment dans le domaine des affaires étrangères, de prendre des initiatives fortes tout en maintenant un équilibre démocratique. Cette plasticité institutionnelle constitue un atout pour faire face aux crises multiformes qui caractérisent la période actuelle.

De la même manière, les institutions européennes, bien qu’imparfaites et parfois perçues comme lentes ou technocratiques, jouent un rôle croissant sur la scène internationale. Elles évoluent progressivement, en s’améliorant d’année en année, à la fois dans leur capacité de réaction et dans leur légitimité politique. Des progrès notables ont été réalisés en matière de coordination diplomatique, de politique climatique commune, ou encore de solidarité financière, comme en témoignent les plans de relance post-Covid ou les sanctions coordonnées à l’égard de régimes autoritaires. L’Union européenne dispose donc d’une base institutionnelle solide pour contribuer à la refondation du multilatéralisme.

Toutefois ce potentiel est principalement sous-exploité : il ne suffit pas de disposer d’institutions fonctionnelles, encore faut-il les investir d’un rôle stratégique clair dans la définition de l’ordre international à venir. Sur les grandes questions de gouvernance mondiale, climat, paix, migrations, finance, numérique etc., l’Europe peut et doit devenir une puissance de proposition, capable de porter des réformes ambitieuses tout en maintenant un attachement résolu aux normes partagées.

Selon vous, les dirigeants publics français et européens sont-ils armés correctement pour affronter la brutalisation du monde ?

La culture politique des dirigeants français et européens, dans l’ensemble, constitue un terreau favorable pour affronter les enjeux liés à l’ébranlement du multilatéralisme. Sur le plan des idées, des références et des engagements, il ne fait guère de doute que nombre d’élus européens possèdent les outils intellectuels et institutionnels pour comprendre les ressorts de la crise actuelle et y répondre de manière structurée.

Ce qui fait défaut, en revanche, ce n’est pas tant la culture ou la capacité, mais bien la volonté politique. Le déficit ne tient pas à l’incapacité de nos responsables à penser l’échelle mondiale, mais à leur difficulté à inscrire cette réflexion dans leurs priorités concrètes.

Trop souvent, les dirigeants, à Bruxelles comme dans les capitales nationales, privilégient la gestion des enjeux à court terme : dette, inflation, sécurité intérieure, gestion de crises immédiates. La question de la gouvernance mondiale, pourtant déterminante pour la stabilité future, reste marginalisée dans les programmes, reléguée derrière des urgences nationales ou électorales à court terme.

Section image

Au sein de l’Union européenne, cette tension est particulièrement visible. Chaque État membre tend à défendre avant tout ses propres intérêts stratégiques, économiques ou politiques, ce qui freine l’émergence d’une position commune et cohérente sur la scène internationale. Le collectif européen souffre ainsi d’un véritable défaut de solidarité et d’un cruel manque vision à long terme, pourtant indispensables pour peser dans les débats sur l’avenir des institutions globales.

Ainsi, malgré une culture politique globalement favorable et des élites compétentes, l’absence d’ambition commune, de vision partagée et de projection stratégique empêche, pour l’instant, de transformer cette culture en action. Il ne s’agit pas tant d’un blocage structurel, ou d’un angle mort politique, mais plutôt d’un manque de volontarisme que les partis et les sociétés civiles pourraient corriger.

Les termes du débat public permettent-ils de mieux aborder ces questions d’ici aux prochaines échéances démocratiques en France et à la fin de l’Agenda 2030 des Nations Unies ?

À l’heure actuelle, les termes du débat public, en France comme à l’échelle européenne, ne sont pas à la hauteur des enjeux liés à l’effondrement partiel du multilatéralisme et à la nécessaire refondation des normes internationales. Le sujet de la gouvernance mondiale, pourtant central pour comprendre et anticiper les dynamiques de la polycrise, reste largement marginalisé dans les campagnes électorales, les programmes politiques, et les grands débats médiatiques.

Un exemple frappant est celui des récentes élections européennes. À aucun moment, ou presque, la question de l’avenir de l’Union dans le système international n’a été traitée sérieusement par les candidats. L’Europe n’a pas été présentée comme une puissance diplomatique, normative ou institutionnelle capable de peser sur la scène mondiale. Il y a là une faiblesse structurelle du débat politique européen : l’incapacité à inscrire les questions internationales dans une narration mobilisatrice et prospective.

Face à ce vide, les think tanks, les milieux académiques et les acteurs de la société civile devraient jouer un rôle moteur. Ils ont la responsabilité d’exiger des partis politiques qu’ils se positionnent de manière plus explicite sur les grands enjeux de gouvernance globale. Il ne s’agit pas simplement d’ajouter une rubrique « international » dans un programme électoral, mais de formuler des propositions concrètes, crédibles et ambitieuses pour réformer les institutions multilatérales, renforcer le rôle de l’Europe dans leur pilotage, et défendre des principes de droit, de justice et de coopération à l’échelle globale.

Quelles innovations institutionnelles ou politiques faudrait-il envisager pour répondre à cet enjeu à moyen terme ?

À moyen terme, il n’est pas nécessaire d’engager une réforme constitutionnelle lourde pour que la France puisse répondre efficacement à la crise actuelle du multilatéralisme. La Constitution française a déjà démontré à plusieurs reprises sa capacité d’adaptation et sa souplesse face aux évolutions de la scène internationale. Aucun changement fondamental de son architecture ne semble requis pour renforcer l’action de la France en faveur de la gouvernance mondiale.

En revanche, du côté de l’Union européenne, plusieurs améliorations concrètes et réalistes pourraient être envisagées, sans attendre un nouveau traité, dont l’élaboration et la ratification prendraient sans doute une décennie. Il existe une marge de manœuvre institutionnelle qui permettrait d’agir dans le cadre existant.

Une première piste consisterait à réduire le nombre de commissaires européens, aujourd’hui trop élevé. Une commission plus restreinte, mieux structurée, permettrait de renforcer sa cohérence politique, son efficacité et sa visibilité. Ce type de réforme, à la fois technique et symbolique, pourrait redonner du poids à la Commission en tant qu’exécutif européen crédible dans les négociations internationales.

La question du statut du président de la Commission européenne revient également dans les débats, notamment pour savoir s’il devrait ou non fusionner avec celui du Conseil européen. Cette interrogation mérite d’être posée, mais elle ne constitue pas un levier décisif à court terme. L’enjeu le plus important réside moins dans les figures institutionnelles que dans la capacité collective des États membres à donner un poids politique accru à l’Union sur la scène mondiale.

Si les États membres acceptaient d’apporter une légitimité plus forte, un mandat plus clair et des compétences plus affirmées à l’Union Européenne dans les affaires internationales, alors celle-ci pourrait jouer un rôle moteur dans la refondation des normes globales. Cette approche pragmatique, consistant à renforcer l’Europe par des ajustements ciblés plutôt que par des ruptures juridiques, semble la plus réaliste et la plus porteuse à moyen terme.

Si vous deviez formuler un pari stratégique ou une intuition forte sur l’évolution de cet enjeu, lequel serait-ce ?

Je fais le pari que, dans les années à venir, la gestion des biens publics mondiaux, climat, santé, paix, sécurité, stabilité économique, dépendra de la capacité des États à sortir de l’indécision. Si la crise s’aggrave, ce sera moins par manque d’outils ou de cadres que par l’incapacité collective à prendre des décisions structurelles au bon moment.

Tant que les États hésitent, se replient sur des intérêts immédiats ou refusent d’investir dans la gouvernance partagée, les crises systémiques continueront de se nourrir les unes les autres. À l’inverse, s’ils acceptent de construire une vision commune, même minimaliste, autour de quelques grands principes et institutions renouvelées, alors des marges de stabilisation sont possibles.

Face à la montée des risques globaux, et notamment à la probabilité de nouvelles pandémies, deux scénarios se dessinent. Le premier est celui d’une prise de conscience à froid, qui interviendrait avant que le seuil de rupture ne soit atteint. Ce scénario suppose un sursaut stratégique, une volonté de coordination anticipée, et une reconnaissance lucide des interdépendances mondiales. Le second, plus probable à court terme, est celui d’une réaction à chaud, lorsque les crises atteindront un niveau tel qu’elles rendront inévitable la mise en place de mécanismes de coopération renforcée. Mais cette réaction sur le tard risque d’être plus coûteuse, plus chaotique, et moins inclusive.

Dans les deux cas, la conclusion reste la même : la politique commune deviendra indispensable. Le monde multipolaire dans lequel nous entrons ne pourra pas s’organiser durablement sans un minimum de règles, de structures et de décisions collectives. La seule incertitude réside dans le moment et la manière dont cette coordination émergera, par la raison ou par la nécessité.

La crise du multilatéralisme laisse-t-elle de la place pour une refondation du système international dans les années à venir ?

L’élaboration d’institutions et normes internationales s’inscrit dans une longue histoire, celle des tentatives humaines d’ordonner les relations entre puissances, de prévenir les conflits, et de produire des cadres communs à l’échelle du monde.

Cette continuité historique ne doit toutefois pas faire illusion. Comme l’écrivait Paul Valéry, « l’histoire est la science des choses qui ne se répètent pas ». L’enjeu n’est pas tant de réfléchir sur les reproductions d'éventuels schémas du passé mais d’inventer les conditions d’un nouvel équilibre mondial à la hauteur des défis actuels du XXIème siècle. Il n’existe aujourd’hui pas de parallèle réellement utile dans le passé pour comprendre la situation contemporaine.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Organisation des Nations unies a incarné l’espoir d’un ordre nouveau fondé sur le droit, la coopération et la paix. Elle a accompagné, avec des hauts et des bas, la sortie du colonialisme, la décolonisation, la coexistence Est-Ouest, puis la mondialisation. Mais aujourd’hui, les fondements de cet ordre vacillent. Non seulement certaines puissances le contestent ouvertement, mais l’incapacité à réformer en profondeur ses institutions le rend de moins en moins opérant face aux crises systémiques actuelles.

Ce constat n’invite pas à un simple ajustement, mais à une refondation. Refondation des instruments pour qu’ils soient plus inclusifs, plus représentatifs, plus efficaces, mais aussi refondation des principes, pour que l’ordre international repose sur une vision partagée des responsabilités, des interdépendances, et des finalités collectives.

Ce nouveau « Pacte pour le futur » marquant les 80 ans des Nations Unies sera un marquant décisif qui permettra éventuellement de fournir les outils pour réfléchir et refonder un ordre mondial partagé.

Cet entretien s'inscrit dans le cadre de l'étude prospective sur la polycrise réalisée par l'Institut Open Diplomacy. Inscrit dans le chapitre dédié à la crise géopolitique, il a été réalisé par le Vice-amiral Patrick CHEVALLEREAU et le Dr. Michel WAKIM, Senior Fellows de l'Institut Open Diplomacy.

Billet précédent
« La crise de l’eau symbolise la polycrise car ellerelie...
Billet suivant
« L’Europe sous-estime la guerre hybride,pourtant elle...
 Revenir au site
Photo de profil
Annuler
Utilisation des cookies
Nous utilisons des cookies pour améliorer l'expérience de navigation, la sécurité et la collecte de données. En acceptant, vous consentez à l'utilisation de cookies à des fins publicitaires et d'analyse. Vous pouvez modifier vos paramètres de cookies à tout moment. En savoir plus
Accepter tout
Paramètres
Refuser Tout
Paramètres des Cookies
Cookies nécessaires
Ces cookies sont destinés pour des fonctionnalités de base telles que la sécurité, la gestion du réseau et l'accessibilité. Ces cookies ne peuvent pas être désactivés.
Cookies pour les statistiques
Ces cookies nous aident à mieux comprendre comment les visiteurs interagissent avec notre site web et nous aident à découvrir les erreurs de navigation.
Préférence pour les Cookies
Ces cookies permettent au site web de se souvenir des choix que vous avez faits afin de fournir une fonctionnalité et une personnalisation améliorées.
Enregistrer