La technologie de capture et stockage du carbone (CSC) permettrait de réduire les émissions de CO2 des sites d’émissions les plus importants. Cependant, le coût très bas de la tonne de carbone émise n’est pas assez incitatif pour développer ces projets. C’est entre autres pour cette raison que la technologie CSC qui est pourtant prise en compte dans tous les scénarios pour atteindre la neutralité carbone, se développe en réalité beaucoup plus lentement que prévu.
Qu’est-ce que la technologie de capture et stockage du carbone ?
La technologie de capture (ou captage) du CO2 (CSC, ou CCS en anglais) consiste à piéger les molécules de CO2 lors de l’étape de combustion afin d’éviter sa libération dans l’atmosphère. À la suite d’un procédé technique, le CO2 extrait est obtenu sous forme gazeuse ou liquide, avant d’être acheminé à une zone de stockage puis transformé ou vendu. La « capture » de CO2 dans l’atmosphère peut également être réalisée sans technologie par la valorisation de puits de carbone naturel (plantation d’arbre, biomasse). Les projets de CSC sont généralement installés sur des sites industriels ou des centrales électriques fossiles car la capture du CO2 est facilitée si la concentration dans l’air est très élevée.
Un potentiel encore sous-exploité
Il existe aujourd’hui vingt-deux projets CSC opérationnels dans le monde, majoritairement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Les projets de CSC agissent comme un « filtre » recueillant le CO2 émis par ces sites et sont censés capturer entre 65 et 90 % des émissions carbones libérées par le site opérant. Les causes de cette récupération incomplète s’explique tout d’abord par des fuites qui laisserait s’échapper entre 5 et 10 % du CO2 au moment du captage ; mais également par la chaîne logistique associée au CSC qui émet par ailleurs entre 10 et 20 % du CO2 stocké, ce qui dégrade son bilan carbone final. Aujourd’hui, les installations de capture et stockage de CO2 en fonctionnement captent environ 36 millions de tonnes de CO2 par an.
En comparaison, les émissions annuelles liées à la combustion de ressources fossiles et à l’industrie, (sans compter par exemple, celles liées à la déforestation) représentent 37 milliards de tonnes de CO2 pour 2019. Aujourd’hui, les installations de CSC permettent donc de capter seulement le millième de nos émissions.
Toutefois, le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre grâce aux technologies de capture et de stockage du CO2 est important. Malgré le fait que la CSC se déploie à un rythme extrêmement lent, elle continue de jouer un rôle important dans beaucoup de scénarios de référence. L'Agence Internationale de l'Énergie (AIE) estime qu'elles pourraient contribuer à 20 % des efforts de réduction des émissions en 2050 dans un contexte de diminution par deux des émissions mondiales entre 2005 et 2050. Dans un rapport spécial du GIEC, l’utilisation de ces technologies permettrait de capter et séquestrer 10 milliards de tonnes de CO2 annuellement en 2050, soit environ 250 fois plus que ce qui existe aujourd’hui.
Le retard de développement de cette technologie est particulièrement surprenant car il pourrait être repris comme argument de vente par les industries fossiles. En effet, si on ne considère que 75 % de réduction des émissions, une centrale au gaz équipée de CSC émettrait environ 100 g de CO2 par kWh produit au lieu de près de 400 aujourd’hui. Des centrales fossiles avec des dispositifs de CSC seraient donc beaucoup moins émettrices.
Le retard de développement des projets de CSC trop coûteux
Le coût économique de la technologie de CSC est un facteur majeur motivant ce retard. Deux éléments influent sur le coût final de l’énergie produite : un surcoût de fabrication des centrales qui intègrent un dispositif de CSC (c’est-à-dire un coût total d’installation du dispositif sur le site opérant), surcoût initial parfois très important (40 % en moyenne), et répercuté sur l’énergie produite ; un surcoût d’exploitation car l’étape de capture du CO2 est coûteuse en énergie. Nous parlons alors de pénalité énergétique. Pour une centrale électrique, cette pénalité énergétique peut représenter plus de 25 % de l’énergie produite.
Le coût du procédé est actuellement de 60 € la tonne en moyenne par tonne de carbone capturé et stocké (peut monter jusqu’à 150 € selon les dispositifs ). Ce coût est à comparer avec le faible prix de la tonne de CO2 qui n’a dépassé la barre des 50 € qu’en mai 2021. L’amélioration des procédés pourrait permettre une diminution de ces coûts. L’augmentation du prix de la tonne de carbone serait un facteur important pour encourager la réalisation de projets de CSC.
Ceci explique que sur les vingt-deux sites opérants dans le monde, seuls cinq ont pour finalité le stockage géologique du carbone. Les dix-sept autres utilisent en réalité le carbone capturé comme jet de pression dans des zones aquifères où du pétrole conventionnel est exploité. La pression émise par le carbone permet de faciliter l’extraction de ce pétrole, ce qui permet le financement de tout le système de capture. Pourtant, il apparaît absurde de capter du carbone dans le seul but d’extraire du pétrole, rejetant plus de carbone à l’arrivée que ce qui a été capté. Pour développer des systèmes CSC, donc la finalité est bien le stockage géologique, il faut donc pallier plusieurs problèmes existants.
Comme nous l’évoquions précédemment, le défi technico-économique - le prix de la tonne de carbone capturée plus élevé que celui de la tonne de carbone émise - ne pourra être résolue que par une augmentation du prix de la tonne du carbone en Europe (significativement au-dessus de 60 €) et/ou en optimisant les technologies de captage (très consommatrices d’énergie) qui resteront quoi qu’il arrive assez coûteuses car adaptées uniquement aux sites très fortement émetteurs, en nombre limité, et nécessitant des adaptations au cas par cas. De plus, des efforts financiers importants doivent être consentis dès maintenant en matière de recherche et développement pour la mise en œuvre de projets CSC, qui nécessite un temps de développement et d’intégration d’une dizaine d’années, et donc une absence de résultats concrets à moyen terme. Enfin, l’acceptation sociétale de cette technologie n’est pas évidente au regard des risques technologiques et sanitaires potentiels. En effet, le stockage géologique du carbone implique un risque (bien que minime) de fuite du CO2 stocké, préjudiciable pour les populations locales.
Quelle stratégie française et européenne en vue de la neutralité carbone ?
En France, la Stratégie nationale bas carbone prévoit, comme dans le programme de l’AIE, le recours à la CSC. En 2019, la stratégie française prévoyait 15 milliards de tonnes de CO2 d’ici 2050 pour atteindre la neutralité carbone. Toutefois, l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), organe de référence en matière de transition écologique, a publié un rapport en 2020 sur les « potentiels limités » de la CSC en France. En effet, en raison des contraintes de mise en place de la CSC (notamment sa rentabilité facilitée uniquement sur des sites très émetteurs), l’ADEME estime que la CSC est applicable seulement sur un nombre limité de sites industriels sur trois zones autour de Dunkerque, Le Havre et Lacq. De plus, la plupart des sites du secteur de la chimie ainsi que ceux du secteur cimentier (dispersés sur tout le territoire) ne pourront pas s’appuyer sur cette technologie pour décarboner leurs activités. Ainsi, l’ADEME, envisage la mise en œuvre de la CSC seulement en tant que dernière étape dans une stratégie de décarbonation commençant par les actions plus matures et performantes (l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables).
Côté secteur privé pourtant, quelques initiatives se mettent en place avec notamment la première entreprise sélectionnée par Time for the planet : Carbon Impact, dédiée à la captation massive du CO2.
Parallèlement, la technologie CSC gagne en support en Allemagne, tandis que la Norvège et les Pays-Bas ouvrent de nouveaux sites opérationnels à l’horizon 2030. Une réglementation encadre déjà les activités de capture et de stockage du CO2 (directive 2009/31/CE) obligeant des contrôles très strictes concernant le suivi des sites de stockage, et la responsabilité de l’exploitant et en dernier recours de l’État. Cependant, l’acceptation de cette technologie par les populations européennes n’est pas consensuelle ce qui explique en partie que la limitation de ces projets au stockage du CO2 en pleine mer, dans des zones comme la mer de Norvège.
Les technologies de CSC constituent donc bien une des solutions pour atteindre la neutralité carbone, toutefois plusieurs obstacles freinent son développement et expliquent la disparité des politiques européennes en la matière. Pour transformer concrètement la place qu’occupe la CSC dans les scénarios de prévision, une augmentation significative du prix de la tonne de carbone et l’encouragement de nouveaux projets dans les zones citées par l’ADEME sont ainsi nécessaires.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Sacha Courtial, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, s'intéresse aux énergies soutenables.