Tandis que les questions environnementales occupent une place déterminante dans les débats, les acteurs étatiques s’impliquent davantage dans la transition écologique, notamment en Afrique. Effectivement, le continent africain est confronté à de nombreux défis tels que l’accroissement des inégalités, l’insécurité alimentaire, la corruption, les conflits ou encore les aléas climatiques. Face à l’urgence climatique, plusieurs pays comme l’Egypte, l’Ethiopie ou le Kenya se mobilisent pour développer des infrastructures vertes et accélérer l’utilisation des énergies renouvelables.
Comme le souligne M. Akinwumi Adesina, le président de la Banque africaine de développement, lors du Forum UE-Afrique sur les investissements verts en avril 2021 au Portugal : « L’Afrique est un marché énorme qui offre des possibilités incroyables [...] La reprise doit être verte, elle doit stimuler et renforcer la résilience au changement climatique et les investissements verts ». A quelques mois de la COP26 prévue en novembre 2021 à Glasgow, le continent africain entend inscrire ses priorités au centre de l’agenda climatique mondial. Reste à savoir comment s’articulent les ambitions africaines en matière de développement durable avec les défis soulevés par le dérèglement climatique.
Les populations africaines sont les premières victimes du dérèglement climatique
Le continent africain est l’une des régions du monde les plus directement affectées par les enjeux environnementaux. Les populations africaines subissent de plein fouet les effets néfastes du dérèglement climatique (érosion côtière, montée des eaux, pollution) alors que le continent n’est responsable que de 4 % des émissions de gaz à effet de serre. Selon l'indice mondial des risques climatiques 2021 établi par l’ONG Germanwatch, le Mozambique et le Zimbabwé ont été les pays les plus touchés en 2019 par des événements météorologiques extrêmes (inondations, sécheresses, tempêtes tropicales).
Les aléas climatiques sont aggravés par l’urbanisation anarchique, l’explosion démographique et la montée en puissance du chômage chez les jeunes d’une part, et par l’insécurité alimentaire, le stress hydrique et l’instabilité politique d’autre part. Cette combinaison de facteurs explique les difficultés rencontrées par les pays africains. Le changement climatique affecte l’ensemble des secteurs d’activité, que cela soit le secteur marchand (agriculture, tourisme) ou non marchand (éducation, santé).
En effet, la raréfaction des ressources compromet l’indépendance alimentaire de la région et provoque des déplacements de population tandis que la toxicité environnementale nuit à la santé humaine. De surcroît, la déforestation massive causée par le développement des activités humaines s'intensifie, principalement dans les pays d’Afrique centrale comme le Congo ou le Gabon. Il en va de même pour le phénomène de désertification qui contribue à l’acidification des eaux et à l’érosion des sols.
Enfin, les aléas climatiques exacerbent les vulnérabilités économiques des populations dans les pays en voie de développement. Que cela soit dans les terres ou bien dans les zones côtières, les agents économiques sont rarement couverts contre les risques climatiques. Par exemple, l'économie de l'Afrique subsaharienne repose en grande partie sur l'agriculture. Or, le changement climatique entraîne des baisses de rendements agricoles. Le dérèglement climatique pénalise également les économies africaines dans la mesure où il fragilise les infrastructures de réseaux (télécommunications, transport) en accélérant le vieillissement de certains matériaux.
Face au changement climatique, l'Afrique s’engage dans une politique de relance verte
Dès lors, promouvoir un modèle de développement durable semble essentiel pour deux raisons : combler le retard économique de l’Afrique et améliorer sensiblement le niveau de vie des populations. Selon la définition donnée par le rapport Brundtland (1987), le développement durable est « un mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Ce modèle s’appuie sur trois piliers : un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable.
Aussi, la lutte contre le réchauffement climatique et la lutte contre la pauvreté s’avèrent être les deux faces d’une même pièce. Il convient de noter que la pandémie mondiale de la COVID a montré qu’il fallait briser le cercle vicieux entre pauvreté et vulnérabilité. Les acteurs étatiques et la société civile proposent alors plusieurs mesures concrètes pour rénover la politique environnementale déployée en Afrique. La gestion de l’eau, la modernisation du système énergétique et le traitement des déchets sont des problématiques au cœur des politiques publiques africaines.
Ainsi, selon l'Organisation mondiale de la santé, la pénurie d’eau touche une personne sur trois en Afrique. De plus, la dégradation de la qualité de l'eau dans les zones fortement polluées entraîne des maladies d’origine hydrique comme le choléra, la diarrhée et la fièvre typhoïde. Des initiatives euro-africaines sont mises en place pour améliorer l’assainissement et l'approvisionnement en eau, à l’instar de FLOWERED et MADFORWATER, des projets développés dans le cadre du programme Horizon 2020.
Concernant le domaine de l'énergie, plus de 600 millions de personnes n'ont pas accès à l’électricité en 2021 selon la Commission économique pour l'Afrique. Le continent souffre d’un manque de diversification de ses approvisionnements en énergie primaire. Afin de réduire leur dépendance aux combustibles fossiles (charbon, pétrole), les pays africains souhaitent attirer les investissements du secteur privé dans l’énergie. L’objectif est d’augmenter la part des énergies renouvelables (éolienne, solaire) dans les systèmes électriques.
Enfin, sous l’effet de la mondialisation, les métropoles africaines sont davantage confrontées à l’accumulation des déchets. La pollution augmente et la qualité de vie se dégrade dans les espaces urbains. De plus, le secteur est difficile à encadrer pour des raisons techniques et financières. C’est pourquoi de plus en plus d’initiatives locales émergent. À Accra, le projet « Closing the Loop » a été lancé en 2018 pour aider les entrepreneures ghanéennes à valoriser la gestion des déchets plastiques. Un autre exemple est le projet d'investissement de résilience des zones côtières en Afrique de l'Ouest (WACA-ResiP) financé par la Banque mondiale, qui a démarré en 2018. Il vise à ralentir l’érosion côtière en construisant des digues.
Les banques publiques de développement nationales ou régionales sont des acteurs majeurs de cette transformation sur le long terme. L’augmentation de la part des financements multilatéraux dédiés aux actions climatiques en Afrique révèle une prise en compte plus forte des questions environnementales. La Banque mondiale a publié en septembre 2020 son Nouveau Business plan pour le climat en Afrique (2020-2026), un plan d’activités comprenant une enveloppe de 22,5 milliards de dollars. Quant à la Banque africaine de développement, elle a lancé en janvier 2021 le Programme d’accélération de l’adaptation en Afrique pour mobiliser 25 milliards de dollars.
Néanmoins les financements internationaux publics sont insuffisants pour faire face au dérèglement climatique. Les experts s’accordent pourtant à dire que la construction d’infrastructures vertes permettrait aux pays vulnérables de s’adapter au réchauffement climatique. Des mesures doivent alors être prises pour renforcer la résilience des économies africaines. Certains économistes proposent par exemple que la vulnérabilité climatique fasse partie des critères d’allocation de l’aide internationale. Cela permettrait de soutenir les pays les plus fragiles qui possèdent de faibles capacités de résilience. Par ailleurs, la France soutient des initiatives ambitieuses pour lutter contre le réchauffement climatique. L’une d’entre elles est l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale : elle met en œuvre des plans d’investissement nationaux couvrant les secteurs liés aux causes de la déforestation.
L’Afrique peut-elle devenir demain le continent vert ? Oui, car elle est sur la voie de la relance verte, en témoignent les initiatives respectant les principes du développement durable. Proposer un nouveau modèle de développement économique passe par une modification profonde des modes de vie. C’est le pari que se sont lancé les bâtisseurs de villes intelligentes. Pensées pour être plus durables sur le plan environnemental, elles s'appuient sur les nouvelles technologies pour améliorer la qualité de vie des citadins. Casablanca, Dar es Salaam, Nairobi sont autant de villes qui concilient développement économique et respect de l’environnement. Les startups et entreprises innovantes sont ainsi amenées à jouer un rôle central avec les acteurs étatiques dans la construction de l’Afrique verte.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Aliénor Thouvenot, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille notamment sur les enjeux de politique étrangère de l'Union européenne en Afrique et au Moyen-Orient.