Sur l'agenda politique de la présidence Slovène se déroulant de juillet à décembre 2021, la préparation de la fondation Science Europe à la Conférence de Glasgow de 2021 (du 1er au 12 novembre) sur les changements climatiques (COP 26) concentre toutes les attentions. Fondée le 21 octobre 2011, cette organisation à but non lucratif établie à Bruxelles regroupe des organismes de recherche et des agences de financement de la recherche de tous les États-membres. Portant une vision long-terme pour le système de Recherche et d'Innovation (R&I) européen, elle promeut les collaborations entre les organisations membres et soutient les programmes de recherche les plus prometteurs. Dans le cadre de sa priorité stratégique visant à "renforcer le rôle et la contribution de la science pour relever les défis sociétaux" de sa stratégie 2021-2026 récemment adoptée, Science Europe crée des initiatives pour rendre le système de recherche dans son ensemble plus efficace vis-à-vis des connaissances existantes. À travers l'initiative European Open Science Cloud (EOSC) débutée en 2015 et lancée en 2018, elle encourage la mise à disposition des données de recherche selon les principes FAIR (trouvables, accessibles, interopérables et réutilisables), afin de garantir un partage des données dans des conditions optimales.
Via son portail, les chercheurs européens ont accès aux données scientifiques, aux services et aux infrastructures pour analyser les données. L'idée est de regrouper au même endroit des données, des services et des compétences en favorisant la naissance d'une communauté composée de chercheurs et d'ingénieurs de tous les domaines scientifiques grâce à un espace de partage.
À travers son portail, la Commission européenne a différents objectifs : respecter son engagement de faciliter l'accès intersectoriel aux données ; soutenir l'EOSC comme espace numérique dédié à la recherche ; aider au maximum à définir des règles et des normes pour ces données selon les principes FAIR ; assurer l'interopérabilité entre ces nouveaux espaces de données tout en respectant la législation sectorielle propre à chaque donnée.
Que retenir jusqu'ici de l'initiative European Open Science Cloud ?
Le mandat du premier conseil d'administration de l'EOSC nommé par la Commission européenne pour lancer l’association a pris fin en décembre 2020. C'est l’EOSC Association qui a pris le relais début 2021 afin de poursuivre le chantier de mise à disposition de ses outils. À travers son existence, elle entend faire émerger des innovations qui répondront aux défis sociétaux de demain et notamment celui de la transition écologique. En effet, la complexité des problèmes à résoudre demande la contribution coopérative du monde académique, des entreprises, des gouvernements et des représentants de la société civile. L'Union européenne se dote ainsi d'un formidable outil indispensable et très attendu par toute la filière R&I du continent. Aujourd'hui cependant, on peut noter que contribuer à ce portail n'est pas possible pour un citoyen européen qui ne parlerait pas anglais. Pensé par des experts pour des experts, son existence est pour le moment dépendante d'un certain niveau d'éducation et de formation. L'ouverture au grand public de certains projets existants sur le portail s'organise via les organisations de recherche au sein de chaque État-membre. Le portail propose un moteur de recherche qui permet d'accéder à un catalogue de projets dont l'affichage dépend de critères choisis par l'utilisateur : biologie, électronique, langues, médecine, etc. Chaque projet a une page de présentation qui renvoie vers son propre site internet. Le portail centralise ainsi les projets auxquels souhaite contribuer l'utilisateur mais au final, les inscriptions se font sur les sites internets de ces projets issus des différents États-membres donc en anglais ou dans la langue du pays.
Si l'Union européenne souhaite maximiser les chances que des technologies innovantes voient le jour dans un objectif de transition écologique, il reste du chemin à parcourir pour bénéficier pleinement de l'intelligence collective européenne.
Un outil pour passer en tête de la course ?
En mars 2000, le Sommet de Lisbonne fixe pour l'Union européenne un objectif ambitieux : "Devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale". Les bilans mitigés de la stratégie de Lisbonne (2000-2010) et de la stratégie Europe 2020 (2010-2020) reposent principalement sur un constat de manque de moyens alloués à la recherche. Selon le dernier rapport sur les investissements mondiaux dans la Recherche et Développement (R&D) sorti en 2020, sur les 2 500 entreprises mondiales qui investissent le plus dans la R&D en 2019-2020 pour un montant total de 904,2 milliards d'euros, l'Europe ne pèse que 20,9% du total contre 38,5% pour les États-Unis, 12,7% pour le Japon et 13,1% pour la Chine, le reste du monde se partageant les derniers 14,8%. Comparé à l'année d'avant, l'industrie européenne augmente pourtant ses investissements de 5,6% mais cela reste en dessous de l'augmentation des investissements américains (10,8%) et chinois (21%). L'impact de la crise de la Covid-19 n'est pas encore visible dans cette édition puisque les données utilisées appartiennent principalement à l'année 2019.
Quels indicateurs de performance en matière de recherche et d'innovation pour l'Union européenne ?
En 2021, l'héritière stratégique de Lisbonne et d'Europe 2020 est Horizon Europe, programme-cadre de l'Union européenne pour la recherche et l'innovation pour la période allant de 2021 à 2027. La stratégie 2020-2024 en matière de recherche et d'innovation met en place des indicateurs de performance en matière de recherche et d'innovation qui couvrent quatre dimensions de l'innovation : les investissements ; les conditions-cadres ; les résultats de l'innovation ; l'impact.
À la lumière de ces métriques, un soutien pratique permet aux États membres et aux pays associés à Horizon Europe de concevoir, mettre en œuvre et évaluer des réformes qui améliorent la qualité de leurs investissements, leurs politiques et leurs systèmes de recherche et d'innovation. Ainsi, l'utilisation du sigle R&I en remplacement du sigle R&D dans les textes de la Commission européenne indique une volonté de conditionner la stratégie des entités portant de tels programmes.
Que ce soit au niveau politique par la nature des partenariats établis ou au niveau financier par les types de dispositifs de soutien créés, l'idée d'innovation au sens européen implique la mise en oeuvre d'un produit (bien ou service) ou d'un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques de l'entreprise, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures. L'innovation concerne donc l'innovation de produit, de procédé, de commercialisation et organisationnelle. Alors que la R&D rassemble les travaux de création entrepris de façon systématique en vue d'accroître la somme des connaissances, y compris la connaissance de l'homme, de la culture et de la société, ainsi que l'utilisation de cette somme de connaissances pour de nouvelles applications. Elle concerne la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement expérimental.
Nous pouvons résumer la relation entre innovation et R&D de la manière suivante : les financements permettent à la R&D de faire émerger de nouvelles connaissances. Le temps de l’innovation est cependant nécessaire pour comprendre et exploiter certaines de ses connaissances afin de créer un produit qui permette un retour sur investissement.
À défaut d'y avoir consacré suffisamment de budget jusqu'ici, l'Union européenne continue de donner un cap idéologique pour passer en tête de la course scientifique et technologique mondiale.
Les experts du Centre commun de recherche (JRC), service scientifique interne de la Commission européenne, assignés à l'observation de cette course, soulignent la nécessité pour l'Union européenne d'accélérer la mise en œuvre de ses politiques visant à soutenir la R&D et l'innovation industrielle, en particulier pour favoriser la reprise après la crise sanitaire de la Covid-19, ainsi que les transitions numériques et vertes de l'industrie.
L'EOSC, un outil à la hauteur du défi qu'est la transition écologique ?
Les conséquences du réchauffement climatique ont des effets sur les biens, les infrastructures mais également sur la santé humaine qui entraînent des coûts considérables pour la société et l’économie. Les conséquences pour la vie sauvage sont dramatiques : un grand nombre de plantes et d'espèces animales ont dû mal à s'y adapter. La centralisation de projets européens désormais visibles par les experts à l'international avec l'initiative EOSC leur donne de meilleures chances de se développer. Concrètement, un exemple de projet étiqueté biodiversité disponible sur le portail est la contribution au développement de Pl@ntNet, un projet informatique d'identification des plantes à partir de photographies par apprentissage automatique. Lancé en 2009, ce projet est l'œuvre de scientifiques membres d’un consortium regroupant des instituts de recherche français. La possibilité d'identifier des plantes via son téléphone est à la fois une opportunité pour faire découvrir l'immense richesse botanique qu'offre notre planète et par voie de conséquence de sensibiliser à la perte d'espèces qui voient leur habitat disparaître. Or, des espèces qui disparaissent, c'est l'impossibilité de valoriser des molécules qui peuvent aider en termes de santé ou d'alimentation et donc d'autant moins de découvertes qui amènent à des innovations dans le cadre de l'industrie pharmaceutique ou agro-alimentaire. Accessible en plusieurs langues, depuis 2019, Pl@ntNet comptabilise plus de dix millions de téléchargements dans plus de 180 pays. Utilisable par tout citoyen, cette application est un bel exemple de projet technologique dont le rôle multidimensionnel aide pour la transition écologique. Ainsi malgré un manque de moyen alloué à la R&D, l'Union européenne vient de créer, à travers l’EOSC, un outil redoutable. Reste à savoir si Science Europe lors de la COP26 saura prendre en compte le boom collaboratif mondial qui a émergé suite à la crise de la Covid-19 pour défendre l'importance d'outils numériques au service de l'intelligence collective mondiale. Face à la transition écologique, la réponse à donner est collective et non individuelle.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Caroline Etienne est Fellow de l'Institut Open Diplomacy et travaille principalement sur les enjeux liés à l'intelligence artificielle et les questions de politique numérique européenne.