Engagés dans des négociations pour un accord sur les investissements étrangers depuis 2013, l’Union européenne et la Chine ont ouvert un nouveau chapitre de leurs relations lors du sommet du 14 septembre 2020. Du côté européen, la volonté affichée est celle d’une relation plus franche et directe, pour aborder les sujets épineux au coeur des discussions sino-européennes : la réciprocité en matière d’accès aux marchés, les droits de l’Homme, le climat et la gestion de la crise sanitaire de la Covid-19. Pour la Chine, ce sommet était l’opportunité de réaffirmer son attachement à une coopération avec l’UE fondée sur des intérêts mutuels, afin de s’assurer que Bruxelles ne s’aligne pas pleinement sur la politique chinoise des Etats-Unis.
Changement de ton dans la relation sino-européenne
La Chine est un partenaire de longue date de l’Union européenne. Elle a su s’implanter comme acteur économique majeur au sein du marché européen à la suite de la crise financière de 2008 et de la crise des dettes publiques qui s’est ensuivie en Europe. A l’aune des réformes structurelles menées comme de la volonté d’attirer des investissements, ces événements ont notamment représenté l’opportunité pour Pékin d’investir dans différents projets d’infrastructures. Le port du Pirée en Grèce est par exemple devenu le point d’entrée stratégique en Europe des nouvelles routes de la soie, lancées en 2013. En exploitant les divisions internes de l’Union européenne, Pékin a obtenu l’adhésion de 18 Etats membres à ce projet de nouvelles routes de la soie, parmi lesquels l’Italie, troisième économie de l’Union. La Chine s’est ainsi imposée au fil du temps comme le deuxième partenaire commercial de l’UE derrière les Etats-Unis. De manière schématique, la Chine apportait des investissements mobilisés par le savoir-faire occidental et l’Europe s’approvisionnait en produits manufacturés à bas prix.
Pourtant, la pandémie de la Covid-19 a agi comme un révélateur du changement de ton de la part des Européens. La méfiance avait certes commencé à s’exprimer officiellement dès 2019, après de nombreux débats à travers le continent. Le rachat par une entreprise chinoise de 67 % du capital de l’Autorité portuaire du Pirée en 2016 avait soulevé nombre d’inquiétudes, perçu comme une manœuvre agressive, voire prédatrice. Dans un document préparatoire, la Commission européenne identifiait la Chine en mars 2019 comme un “rival systémique”, doublé d’un “concurrent stratégique”. Une première, qui illustrait combien l’Union européenne prenait conscience du caractère déséquilibré de la relation, et entendait agir pour la rééquilibrer.
La crise de la Covid-19 n’a ainsi fait que renforcer la désillusion des Européens face à Pékin. La diplomatie du masque et la wolf warrior diplomacy de Pékin, niant toute responsabilité dans la pandémie, n’a fait que discréditer la Chine comme partenaire fiable et responsable. Mais la pandémie a également mis à jour la dépendance de l’Europe vis-à-vis des équipements et des médicaments chinois, avec l’internationalisation des chaînes de production et de valeur. Ainsi, si les négociations sur les investissements étrangers ont repris après la première vague de la Covid-19, l’ambition est désormais celle d’une affirmation de la puissance européenne, pour mettre fin à ce qui était perçu comme sa naïveté. Avec un enjeu clé : l’absence de consensus parmi les Etats membres avait jusque-là affaibli Bruxelles dans les négociations avec Pékin, entre pays membres du projet des nouvelles routes de la soie, ou d’autres, comme la France, qui souhaitait que les nouvelles routes de la soie aillent dans les deux sens.
Rééquilibrer la relation sino-européenne
Malgré le bouleversement de l’agenda lié à la pandémie de la Covid-19, la Chancelière Angela Merkel s’était engagée, à l’occasion de la présidence allemande du Conseil de l’UE, à tenir un nouveau sommet en septembre 2020 pour poursuivre les négociations sur le projet d’accord sur les investissements. La volonté européenne de trouver un accord avant la fin de l’année 2020 est également soutenue par les interlocuteurs chinois : face aux menaces de guerre commerciale avec les Etats-Unis, et malgré les désaccords, la Chine ne peut en effet négliger la main tendue par l’Europe.
Lors d’une visite à Paris en août 2020, le Ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi avait déclaré qu’il n’y a « pas de conflits d’intérêts fondamentaux entre la Chine et l’Union européenne », et que « les intérêts communs sont bien plus nombreux que les désaccords ». Cet appel à entretenir la coopération apparaît comme la volonté de prouver la bonne volonté de la Chine dans les négociations, face aux demandes européennes notamment de rééquilibrage en matière d’accès au marché chinois pour les entreprises européennes et donc de réciprocité. Mais également comme une volonté de faire amende honorable après la stratégie diplomatique agressive de la Chine lors de la première vague de la Covid-19. Pékin souhaite officiellement bâtir une relation constructive avec son partenaire européen, dans le cadre multilatéral - contrairement aux Etats-Unis qui sous l'administration de Donald Trump entendent remettre en cause ce mode de gestion des relations internationales.
Pour les Européens, cet accord est aussi nécessaire face au repli croissant des Etats-Unis, jusqu’à présent leur premier partenaire commercial - l’arrivée à la Maison blanche de Joe Biden ne devant pas remettre en cause un certain désengagement des questions européennes. Cependant, l’Union européenne entend défendre ses valeurs dans le cadre de sa politique commerciale comme de ses relations diplomatiques. Elle attend notamment des progrès de la Chine sur la question des droits de l’Homme. La Chine nie ici toute accusation et réaffirme son attachement inconditionnel au principe de non-ingérence. Sur la question du traitement des populations ouïghours dans le Xinjiang, selon Wang Yi : « en 40 ans dans le Xinjiang, la population ouïghoure est passée de 5 à 11 millions de personnes, comment peut-on parler de nettoyage ethnique ? ».
Les désaccords sur la question des droits de l’Homme s’ajoutent à d’autres sujets brûlants, tels que le déploiement de la 5G, la possibilité d’une interdiction de Huawei en Europe, la protection de la propriété intellectuelle. Si les Etats-Unis se montrent fermes sur ces questions en interdisant certaines technologies chinoises accusées d’espionnage ou en adoptant des sanctions contre des dirigeants politiques et des entreprises chinoises pour non-respect des droits de l’Homme, l’Europe reste néanmoins encore prudente. « Nous prenons très au sérieux le fait d’avoir accès au marché chinois et de faire tomber les barrières. C’est à la Chine de nous convaincre que cela vaut le coup de conclure un accord », a déclaré la présidente de la Commission Ursula von der Leyen en septembre. Pour l’Europe, la balle est dans le camp de la Chine.
Si la possibilité d’un accord d’ici la fin de l’année 2020 est encore incertaine, l’Union européenne souligne les progrès de ces dernières négociations. Elle a convaincu la Chine de signer un accord qui protège les indications géographiques protégées européennes et chinoises. L’annonce début octobre par la Chine de son objectif de neutralité carbone d’ici 2060 souligne également la capacité d’influence de l’UE sur les questions climatiques. Cependant, la Chine et l’Union européenne entrent toutes deux dans un moment charnière afin de redéfinir leurs relations. La Chine entend profiter du rejet par l’administration de Donald Trump du multilatéralisme pour promouvoir son modèle politique. Mais sa volonté d’approfondir ses relations avec l’Europe s’oppose à une méfiance grandissante des chancelleries européennes, qui réclament une plus grande réciprocité et une concurrence saine. Alternant menaces et appels du pied, Pékin envoie des signaux mixtes à l’Europe.