Au fil de la progression de la pandémie de la Covid-19, le bilan implacable se dessine. Elle a exacerbé tous les maux de nos sociétés : crise environnementale, fragilisation et détérioration des liens sociaux, accroissement des inégalités... Le virus a également permis de remettre en question des systèmes démocratiques et favorisé le sentiment de défiance des citoyens vis-à-vis des institutions nationales et internationales. Tous ces éléments combinés ont créé un contexte particulièrement anxiogène à travers l’ensemble de la planète.
Le Forum mondial Normandie pour la Paix, les 1er et 2 octobre 2020, a permis d’explorer ces raisons d’une colère citoyenne dont les manifestations protéiformes sont de plus en plus visibles et fréquentes à travers tous les continents. Face aux bouleversements, chacun d’entre nous est invité à repenser sa façon de raisonner pour contribuer à renouveler le monde de demain. Ce n’est qu’en traitant de front ces enjeux sociaux, démocratiques et environnementaux que nous pourrons assurer la paix à travers le monde.
Comprendre la guerre pour mieux construire la paix
Aujourd’hui, l’interconnexion des défis sanitaires, sociaux et environnementaux semble plus que jamais évidente. La pandémie de coronavirus a renforcé et mis en valeur la souffrance sociale liée à l’imbrication de ces défis. Bertrand Badie, professeur émérite de relations internationales à Sciences Po, nous rappelle que ce n’est plus la confrontation des puissances étatiques qui définit la paix, mais bien cette souffrance sociale.“Elle est la principale dynamique des relations internationales et de leur agenda”. Et de cette souffrance découle la violence, à travers des formes multiples : insécurité sanitaire et alimentaire, déséquilibres institutionnels, etc. La souffrance sociale est à la racine même de toutes les déstabilisations internationales. Elle conduit à la mort de millions d’être humains en alimentant de nouvelles guerres et de nouveaux conflits. C’est la faiblesse de l’intégration sociale de nos sociétés qui donne lieu à ces nouvelles conflictualités.
Face aux souffrances qu’on leur impose naît la colère des personnes qui alimentent en retour ces crises sociales. Ce n’est donc plus la géopolitique qui mène le monde, mais cette expression sociale et ces cris de détresse. La colère facilite ainsi les mobilisations contre l’injustice et les inégalités criantes. “Personne ne peut aspirer à vivre en paix tant que ces inégalités perdurent” souligne Nicolas Hulot, ancien Ministre de la transition écologique. Il faut avec lucidité reconnaître l’impact majeur de la crise écologique sur les relations géopolitiques entre les Etats. L’ancien Ministre alerte également sur le caractère aveugle de cette crise climatique qui frappe indistinctement à la fois femmes, hommes et enfants. Ils subissent la conséquence d’un phénomène qu’ils n’ont pas provoqué et auquel ils ont bien souvent peu contribué. Cette humiliation n’est plus supportable. Il est nécessaire de trouver un moyen de protéger ces populations et de trouver un juste équilibre entre monde de protection et monde de prédation.
Penser et instaurer la paix, ce n’est donc plus mener une politique structurée autour de l’appareil militaire. C’est un processus qui se doit de rétablir la justice sociale pour permettre à chaque individu de réaliser son plein potentiel.
Repenser la paix
Puisque “la construction de la paix est une volonté humaine et sociale”, comme l’évoque Bertrand Badie, il faut repenser notre façon de voir et d’entreprendre la paix. Il est urgent d’agir, maintenant. De repenser la paix à travers le prisme du changement climatique. Parce que chaque année, depuis plus d’une décennie, ce sont 25 millions de personnes qui sont contraintes de se déplacer à cause des phénomènes climatiques. “Ces climatos-déplacés sont les nouveaux damnés de la terre” affirme ainsi Hervé Morin, président de la Région Normandie. Notre planète est à bout de souffle et la pression sur les ressources naturelles a déjà atteint un point de non-retour. Chaque année, la date du jour du dépassement est atteinte de plus en plus tôt. Il s’agit de la “date à partir de laquelle l’empreinte écologique dépasse la biocapacité de la planète” selon WWF France. En 2020, c’est arrivé le 22 août, alors qu’en 1998, le jour du dépassement avait été atteint le 30 septembre !
Pour mettre en place une justice plus inclusive, Niagalé Bagayoko, présidente de l'African Security Sector Network, propose de ne plus raisonner en termes d’États, mais du point de vue des interactions sociales dans leur ensemble. La menace environnementale est commune, et non plus strictement nationale. Consolider la paix, veiller au respect de l’environnement, atteindre l’égalité hommes-femmes : ces défis doivent être atteints en prenant en compte la voix de la jeunesse, des femmes et des minorités. La sécurité doit se penser de manière globale et nous sommes tous acteurs du changement.
Établir la paix à travers le monde, c’est également un processus qui nécessite de remettre au coeur de la réflexion les valeurs universelles, et notamment le respect. Compte tenu de l’état du monde actuel, écoutons Jane Godall, messagère de la paix auprès des Nations unies, qui appelle à “se respecter les uns les autres” afin de permettre un vivre-ensemble apaisé. Elle ajoute que “la paix, ce n’est pas qu’un concept, c’est une façon d’être et d’agir au quotidien”. Ainsi, tel un virus contagieux qui se répand de façon incontrôlée d’une personne à l’autre, de nouvelles formes de solidarité inter-humaine doivent être créées. Que cette pandémie ne fasse pas ressortir de la nature humaine le vice et l’égoïsme, mais plutôt sa capacité à agir et user de ses compétences sociales. Ne perdons pas espoir et ayons confiance en nos propres capacités : “un traitement social peut résoudre les violences et les nouvelles formes de conflictualité” rappelle Bertrand Badie. Éradiquer cette pandémie de la Covid-19 mobilisera avant tout notre capacité à rester unis et à trouver collectivement des réponses respectueuses de la voix de chacun.
Agir pour la paix
Construire la paix aujourd’hui, c’est donc prendre conscience que chacun d’entre nous a un rôle à jouer. Construire la paix, c’est avoir le courage de la vérité. C’est donc donner la parole et les armes nécessaires à la jeunesse notamment, qui ne doit pas “céder à l’ennemi de la résignation” selon les termes de Nicolas Hulot.
L’évolution vers une société de consommation, globalisée et hyper-connectée s’accélère davantage et ne nous laisse plus le temps d’être acteurs du cours de notre existence. Ralentissons le rythme. Posons-nous les bonnes questions. Définissons nos attentes comme le suggère Enrico Letta, doyen de l’École des affaires internationales de Sciences Po Paris.
“Serons-nous capable de nous extraire des confrontations quotidiennes et de flécher nos comportements vers ce qui est vertueux?” s’interroge le photographe Yann-Arthus Bertrand. La démocratie est affectée par l’intrusion des enjeux à court terme qui poussent les décisionnaires politiques à chercher leur réélection en premier lieu. Il faut donc adapter notre mode de pensée et le fonctionnement de nos modèles économiques et politiques, régulés jusqu’à présent par cette “tyrannie de la croissance et l’orthodoxie financière”. Le photographe propose que règnent désormais les principes de “prévisibilité, irréversibilité et progressivité”, et qu’ils dirigent nos systèmes. Dans l’imaginaire collectif, il faut que les enjeux environnementaux priment sur les enjeux économiques. Lutter contre le changement climatique nous concerne tous et nous avons tous les clés en main pour changer les choses. Chacun est donc invité à prendre conscience de son propre potentiel d’action, la jeunesse plus particulièrement. Son engagement doit être encouragé et valorisé, aux côtés de toutes les générations, pour bâtir ce monde de paix. La transition de nos sociétés vers un modèle de développement durable et garant de la paix doit être renforcée dès à présent.
Serons-nous donc capables de cette intelligence collective, et de redéfinir les fins et les moyens ? Le monde et la paix de demain, tout comme le futur des jeunes générations, en dépendent. Il est par conséquent urgent de renforcer les efforts à engager et mettre en place pour notre planète. Développons une écologie humaniste puisque comme David Boyd, rapporteur spécial sur les droits de l’Homme et l’environnement à l’ONU, le rappelle : “il n’y aura pas la paix sur terre, tant que nous ne serons pas en paix avec la terre”. Chacun d’entre nous se doit d’agir, à sa propre échelle. Devenons tous acteurs de la paix : elle est l’affaire de l’humanité toute entière.