La préservation de la biodiversité reste tout en haut de l’agenda diplomatique en 2020. Les responsables politiques ont entendu la sonnette d’alarme tirée par les scientifiques : nous sommes en train de vivre la sixième extinction de masse. Mais répondre au problème de l’érosion de la biodiversité n’est pas sans difficultés majeures. Car si nous sommes tous affectés, quel que soit le pays ou la région dans laquelle nous nous situons, des frontières éminemment humaines se dressent dans la gestion de cette crise.
Et ces frontières ne sont pas seulement administratives : des barrières méthodologiques divisent les communautés scientifiques, les inégalités économiques opposent acteurs politiques comme politiques publiques. Face à l’urgence de la crise écologique, comment la diplomatie internationale surmonte-t-elle ces écueils ?
Frontières scientifiques : les processus doivent s’ouvrir à tous types de savoirs
En raison de la complexité des enjeux liés à l’érosion de la biodiversité et la crise climatique, plusieurs organismes ont été créés pour mettre en place une interface entre les experts scientifiques et les acteurs politiques. En France, la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB) cherche à valoriser les connaissances scientifiques françaises compilées par ses 7 institutions membres. Son rôle est de faire dialoguer les scientifiques, les acteurs politiques et la société civile, ainsi que de produire des rapports d’analyse nationaux pour pouvoir conseiller les délégations nationales.
La Plateforme internationale scientifique et politique sur la biodiversité (IPBES), fondée en 2012, est son organisation sœur au-delà des frontières nationales. Son objectif, très similaire, est d’apporter une expertise internationale dans le domaine de la biodiversité, et de sensibiliser les décideurs politiques via un processus intergouvernemental. Ainsi, une assemblée plénière représentant les Etats parties oriente les axes de recherches de l’IPBES. Puis, des groupes d’experts internationaux sont constitués pour répondre à ces besoins de connaissances. À partir de ces travaux, des rapports scientifiques sont établis, sur le fondement desquels des recommandations pourront être faites lors des négociations internationales.
Dans cette mission, la rigueur du processus scientifique est fondamentale. L’IPBES s’est ainsi inspirée du mode de fonctionnement du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), mais avec le souci d’assurer un meilleur équilibre géographique. En effet, un des reproches majeurs fait au GIEC concerne la prédominance en son sein des chercheurs d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord. Afin d’y remédier, des mécanismes et processus destinés à intégrer des savoirs non-écrits et locaux ont été élaborés. Mais une des plus grandes difficultés consiste à surmonter l’écueil des frontières méthodologiques et scientifiques en faisant reconnaître ces nouvelles connaissances par leurs pairs. C’est pourquoi une équipe transversale au sein de l’IPBES travaille en permanence sur cet enjeu.
Aujourd’hui, le GIEC s’est rapproché lui aussi de ce mode de fonctionnement, en faisant appel notamment à des anthropologues. Le changement climatique et l’érosion de la biodiversité ont un impact sur tout le monde. On a donc besoin de connaître l’étendue de ces phénomènes, et la manière dont ils sont perçus par les populations locales.
Frontières économiques : les objectifs politiques prennent en compte les inégalités
En 2020, un constat s’impose : les premiers objectifs, fixés il y a 10 ans à Aïchi au Japon pour l’application de la Convention sur la diversité biologique (CDB), n’ont pas été atteints. Au-delà, il s’avère qu’ils n’étaient en réalité pas assez précis. En conséquence, il faudra fixer des objectifs non seulement plus précis, mais aussi mieux mesurables : c’était l’enjeu notamment du sommet qui devait avoir lieu à Kunming en Chine à l’automne 2020. Il s’agit avant tout de créer un cadre commun, qui permettra d’évaluer la mise en œuvre de mesures nécessaires au sein des différents Etats parties.
Par ailleurs, une autre difficulté majeure qui subsiste dans le domaine de la biodiversité, est celle des moyens financiers. Actuellement, les moyens financiers rassemblés au niveau mondial ne couvrent que 10 % des besoins pour atteindre les objectifs d’Aïchi. Ces moyens ne permettent donc pas de réduire les inégalités économiques et financières. Elles sont pourtant un enjeu clé. Car si nous sommes tous affectés par la crise environnementale, tous les Etats ne disposent pas des mêmes ressources pour mettre les mesures nécessaires en œuvre.
Historiquement, les négociations de la CDB s’ancrent dans un rapport de force Nord-Sud. Lors de son élaboration, une opposition subsistait ainsi entre les pays qui ont les capacités financières de conserver la biodiversité et l’environnement, et ceux qui ne les ont pas. C’est pourquoi, dès l’origine, l’objectif de partage des avantages issus de la biodiversité a été inséré aux côtés des objectifs de conservation, afin de rétablir un certain équilibre entre pays. Dès l’origine, le Protocole de Nagoya attaché à la CDB a dès lors apporté une réponse concrète à ce problème, en organisant l’échange entre utilisation des ressources génétiques de la biodiversité, et avantages technologiques ou monétaires. Par exemple, si un médicament vient à être développé en France à partir d’une plante péruvienne, le Pérou pourra demander une contrepartie. Il pourra utiliser cette dernière dans sa démarche de conservation de la biodiversité.
Toutefois, ces rapports Nord-Sud peuvent évoluer au gré des relations bilatérales initiées par les pays. En novembre dernier, la France et la Chine ont réaffirmé leur volonté politique d’agir à travers l’Appel de Pékin. Par ailleurs, au-delà de la question des ressources financières, une autre dynamique oriente les relations internationales dans le champs de la biodiversité. C’est la question de la gestion territoriale, notamment d’espaces particulièrement importants pour l’humanité, comme l’Amazonie, au cœur des préoccupations mondiales.
Frontières territoriales : les zones à protéger ne s’arrêtent pas aux délimitations administratives
La question des frontières territoriales est une problématique importante pour la préservation de la biodiversité, car une zone à protéger ne s’y limite pas. Pourtant, ces zones sont déterminées avant tout au niveau national, puisque le responsable de la ressource naturelle est le souverain d’un territoire. Par conséquent, c’est à l’Etat que revient la gestion et le financement de ces aires protégées. Dès que l’on se confronte à la souveraineté territoriale, la protection de la biodiversité repose ainsi sur la bonne volonté des Etats, comme l’a rappelé le président brésilien Jair Bolsonaro au sujet de la forêt amazonienne en septembre dernier.
Face à une protection étatique jugée suffisante, les acteurs locaux, voire privés, de conservation se multiplient. En France par exemple, on trouve à côté des parcs nationaux, les parcs régionaux ou le conservatoire du littoral. En Amérique latine, notamment au Chili ou en Argentine, il existe des aires protégées développées par des initiatives privées. Des ONG ou d’autres acteurs privés peuvent intervenir en achetant un terrain à des fins de préservation.
Mais un Etat, ne peut à lui seul, protéger l’intégralité d’une zone lorsqu’elle s’étend au-delà de ses frontières administratives. C’est sur le fondement d’une coopération entre les acteurs concernés que des mesures efficaces pourront être prises. Chose courante pour la gestion fluviale, cela repose sur la bonne volonté des partenaires. Ainsi, l’Union européenne a définit des corridors écologiques, les « sites NATURA 2000 », identifiés comme essentiels à protéger. Par ce biais, elle peut aussi coordonner la gestion d’aires, frontalières ou non. En Afrique australe, des accords intergouvernementaux prévoient les « Peace Parcs ». Ces derniers n’ont pas seulement pour objectif la préservation de la biodiversité, mais aussi le maintien de la paix.
Il n’existe à l’heure actuelle, ni fond, ni organisme de gestion internationale des aires protégées. Seule l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) tient une base de donnée de ces zones. Cette lacune juridique pose problème puisque les dommages environnementaux ne s’arrêtent pas aux frontières. Une des solutions avancées repose sur la mise en oeuvre du statut de « patrimoine commun ». Mais décréter que la biodiversité constitue un patrimoine commun de l’humanité n’est pas aussi aisé qu’il y paraît, puisque cela touche directement aux pratiques économiques et agricoles d’un Etat.