Le coronavirus a frappé la Chine, poussant son système de santé à ses limites et démontrant la capacité du gouvernement chinois à mettre en place des mesures inédites de contrôle de la population. Le coronavirus a également mis en valeur un aspect majeur de la chaîne de valeur mondiale, que la guerre commerciale sino-américaine avait commencé à révéler : l’imbrication des chaînes de production industrielle et la dépendance des usines du monde entier à leurs fournisseurs chinois.
Plus encore que l’usine du monde, la Chine est le hub des échanges commerciaux
Le commerce mondial est avant tout un commerce de composants : plus de 2/3 de la production mondiale s’opère le long de chaînes de valeur globalisées. Concrètement, cela veut dire que deux biens de consommation sur trois sont constitués de composants ayant traversé au moins une fois une frontière avant leur assemblage final. Plus la technologie est avancée, plus la production dépend de ces chaînes mondialisées.
On distingue deux types de chaînes de valeur mondiales : infra-régionales et inter-régionales. Entre 2000 et 2017, les parts relatives des chaînes infra-régionales européenne et nord-américaine ont diminué tandis que leurs activités inter-régionales ont augmenté, en particulier avec la région asiatique, traduisant une interdépendance croissante avec la Chine.
Ainsi, pendant cette période, la Chine s’est imposée comme hub pour les chaînes de valeur simples (les composants ne traversent qu’une seule fois la frontière, comme par exemple l’acier chinois exporté aux États-Unis). Elle a également pris la place du Japon en tant que hub asiatique d’exportation de plus-value via le commerce des produits finis, les fameux produits « made in China ».
Les graphiques ci-dessous illustrent bien la position de plus en plus centrale occupée par la Chine dans les chaînes de valeur mondiales (Source : OECD / World Bank, Global value chain development report 2019: Technological innovation, supply chain trade and workers in a globalized world).
L’expression « usine du monde » renvoie à l’idée que la Chine produirait intégralement sur son territoire les produits Made in China et uniquement les produits Made in China. En fait, on le Made in China, ce sont aussi l’assemblage de composants produits dans d’autres pays. La Chine est exportatrice de composants qui seront assemblés ailleurs. L’usine du monde ne fait pas systématiquement du Made in China mais aussi du Assembled in China.
Face au COVID, la Chine a suspendu sa production industrielle
Afin de lutter contre l’épidémie, le gouvernement chinois a prolongé les congés du Nouvel An, confiné des provinces entières et limité les déplacements au strict nécessaire. L’ensemble de ces restrictions a ébranlé l’économie chinoise : selon les chiffres préliminaires du bureau des statistiques et des douanes chinoises, sur la période janvier-février, la production industrielle a reculé de 13,5 % en année glissante, la plus forte baisse jamais enregistrée, tandis que les exportations et les importations chinoises chutaient fortement (respectivement - 17,2 % et - 4 % en année glissante). Sur cette période - et pour la première fois depuis huit ans - la Chine a présenté un déficit commercial, pour un total de 7,1 milliards de dollars.
A la mi-mars, le retour à la normale n’était encore que partiel : la production industrielle ne devrait retrouver l’intégralité de ses capacités que très progressivement. La reprise totale dépendra également de la capacité de la Chine à rebondir, alors que le 1er trimestre 2020 pourrait voir une contraction du PIB. Du jamais vu depuis la fin de la Révolution Culturelle.
Quand la Chine fait de l’apnée, la mondialisation étouffe
Dans le monde entier, les entreprises avaient s’étaient donnés des marges de manoeuvre dans la gestion de leurs fournisseurs. C’est pourquoi les industries non-chinoises n’ont pas été immédiatement impactées dans les mêmes proportions que leurs fournisseurs chinois. Toutefois, la perturbation des chaînes de valeur est réelle pour de très nombreux secteurs, notamment dans l’automobile, l’électronique ou encore pharmaceutique (la Chine produisant environ 80 % des principes actifs dans le monde).
L’impact est particulièrement marqué pour le secteur automobile car Wuhan est un des principaux centres industriels du pays et surtout la ville « automobile » de Chine. En 2016, Wuhan produisait autant de voitures que toutes les usines françaises. Ce secteur représentait 20 % de la production de la ville, totalisant un million d’emplois. Ainsi, en Corée du Sud, le fabricant automobile Hyundai a stoppé sa production dès le 5 février faute de composants de câblage et Renault a suspendu la production de son usine à Busan. Des lignes de production de Nissan au Japon et de Fiat Chrysler en Serbie ont été arrêtées. L’approvisionnement des usines mondiales en batteries électriques s’est également fortement tendu.
D’autres secteurs moins stratégiques sont également touchés : le journal Le Monde rapportait par exemple début mars qu’en raison des difficultés d’approvisionnement, le fabricant de poupées Corolle avait un mois de retard de production et que Mattel craignait de ne pas pouvoir livrer ses clients à la rentrée.
L’ensemble de ces annonces sont antérieures aux mesures de confinement en Europe.
Vers des relocalisations stratégiques ?
La crise sanitaire - puis économique - du coronavirus pourrait accélérer la relocalisation en Europe de la production de certains secteurs stratégiques, comme par exemple les batteries électriques (le projet de « l’Airbus des batteries électriques ») ou encore l’industrie pharmaceutique.
Dans cet esprit, la Commission Européenne a publié en novembre 2019 les recommandations d’un groupe d’expert, visant à renforcer la compétitivité de l'Europe dans six secteurs industriels stratégiques :
- Les véhicules connectés, propres et autonomes ;
- Les technologies et systèmes à hydrogène ;
- La santé intelligente ;
- L'internet industriel des objets ;
- L'industrie à faibles émissions de carbone ;
- La cyber-sécurité.
Lorsque l’Union Européenne aura à son tour vaincu le coronavirus, la question du contrôle des chaînes de valeur pourrait donc être appelée à devenir un enjeu fort de la nouvelle Commission.