Cet article a été écrit dans le cadre du partenariat entre l’Institut Open Diplomacy et touteleurope.eu.
Le 25 mai, les 28 chefs d’Etats membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord se réuniront à Bruxelles pour le 26e sommet depuis la création de l’Alliance en 1949. Les interventions du président américain Donald Trump, qualifiant l’Alliance d’organisation “obsolète”1 en janvier avant de revenir sur ses propos en avril2, jettent de l’ombre sur ce sommet. Que peut-on en attendre, tant sur la forme que sur le fond ?
Rupture avec les précédents sommets
A l’approche du sommet, une préoccupation pour le moins étrange semble occuper les esprits des délégations de chaque pays Allié : maintenir éveillée l’attention de Donald Trump. C’est d’ailleurs ce qui justifie, officieusement, le format si particulier, celui d’un dîner. Beaucoup plus bref que les précédents, le sommet se déroulera entre 17h et 20h et privilégiera des interventions courtes des chefs d’Etat (de 2 à 4 minutes) selon les recommandations des conseillers à la Maison blanche. Du jamais vu pour ces réunions généralement long format au caractère technocratique et protocolaire, loin du style lapidaire et peu châtié de Donald Trump. Officiellement, Angela Merkel n’aurait pas pu se rendre plus tôt à Bruxelles en raison des commémorations des 500 ans de la Réforme protestante.
Autre fait marquant, la première sortie internationale du nouveau président des Etats-Unis, traditionnellement consacrée au sommet de l’Alliance, intervient relativement tard dans l’agenda américain. Ainsi, George W. Bush accorda la première visite de ses deux mandats au quartier général de l’OTAN à Bruxelles en avril 2001 et en février 2005, de même que Barack Obama en avril 2009 et, seule exception tardive, en mai 2012. Quelles raisons permettent d’expliquer le manque d’empressement de Donald Trump à rencontrer ses Alliés ? Très certainement un faible engouement pour l’Alliance ainsi qu’une administration encore pour partie vacante, à l’heure ou même le nom du nouveau Représentant permanent des Etats-Unis auprès de l’OTAN est encore inconnu.
Ainsi, l’apparent désintérêt pour les questions de coopération multilatérale de Donald Trump et sa politique erratique laissent les Alliés avancer à l’aveugle. Selon le journal Foreign Policy3, aucune déclaration ne devrait être même signée à l’issue de ce sommet, semble-t-il pour ne pas risquer de brusquer le nouveau président américain.
Un sommet taillé sur mesure pour Donald Trump
La logique qui préside à la forme du sommet n’épargne pas non plus le fond de celui-ci. Des thèmes majeurs qui firent l’objet des précédentes rencontres, comme celui du rapport à la Russie, pourraient être absents des discussions. La complaisance de Donald Trump à l’égard de Moscou, ainsi que le soupçon de liens présumés qui vire à l’affaire politique outre-Atlantique, pourraient effacer ce sujet de l’ordre du jour.
Inversement, certains sujets chers au président américain, sans être véritablement nouveaux, pourraient permettre de le tenir en éveil : le partage de fardeau (“burden-sharing”) et la lutte contre le terrorisme4. Dans le premier cas, Donald Trump s’est fait le héraut de l’objectif des 2 % de PIB consacrés aux dépenses de défense. Plébiscité par les Alliés lors du sommet de Newport en 2014, cet objectif a pour but d’assurer un seuil minimal de dépenses comme signe de l’engagement au sein de l’Alliance. Dans le second, le président américain pourrait chercher à faire pression sur l’ensemble des membres de l’OTAN pour rejoindre la coalition anti-Daech, au risque de se heurter aux réticences de la France et de l’Allemagne.
il est toutefois certain que l’évocation de ces deux sujets fera autant source de déception que de soulagement pour les Alliés. Déception car ces thèmes ont déjà été abordés par les précédents sommets, et soulagement car la catastrophe aurait été évitée.
Que peut-on espérer ?
Le véritable enjeu de ce sommet est, selon la Représentante permanente de la France au Conseil de l’Atlantique Nord, Hélène Duchêne, d’affirmer l’unité des Alliés et réaffirmer la poursuite de leur engagement au sein de l’Alliance. En effet, hormis les déclarations de Donald Trump au sujet de l’OTAN, plusieurs sujets d’actualité fragilisent le message d’unité. Parmi eux, l’année 2017 particulièrement dense sur le plan électoral (France, Royaume-Uni, Allemagne) et la priorité à donner aux différents risques qui pèsent sur les 28 pays membres, liés à la Russie, à la lutte contre le terrorisme, ou encore à la cyberdéfense.
En outre, l’OTAN est en quête de légitimité pour répondre collectivement à des problèmes de sécurité et de défense. Les actions en solitaire ou menées par un petit groupe de pays sur la scène internationale, notamment en Syrie depuis 2014, portent atteinte à l'existence même de l’Alliance. Autre exemple, François Hollande qui avait préféré en novembre 2015 se tourner vers l’article 42.7 du traité sur l’Union européenne5 le 16 novembre 2015 plutôt que l’article 5 du traité de Washington6 pour invoquer la solidarité à la suite des attentats du 13 novembre 2015 en France.
Le Secrétaire d’Etat à la Défense du Royaume-Uni Michael Fallon (gauche), le Secrétaire à la Défense des Etats-Unis Ash Carter, la Ministre allemande de la Défense Ursula von der Leyen et le Secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg, avant une réunion au siège de l’OTAN à Bruxelles, Sgt. 1st Class Clydell Kinchen, le 7 octobre 2015.
La défense européenne pourrait précisément prendre une place stratégique lors de ce sommet. Le potentiel désengagement américain de l’Alliance, l’appétit du nouveau couple franco-allemand pour les questions de défense comme le Brexit sont autant d’éléments dans ce sens. Puisqu’il est presque acquis qu’aucune déclaration ne sera signée par les 28, des conversations de couloirs et autres réunions à huis-clos côté européen pourraient permettre d’avancer néanmoins sur le sujet. Les nominations récentes de Sylvie Goulard au poste de Ministre des Armées et de Jean-Yves Le Drian comme Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères est un signal clair des ambitions de la France dans ce domaine.
Ce sommet 2017 de l’OTAN ne marquera probablement pas l’histoire par ses engagements en dépit de tous les efforts fournis pour afficher un semblant d’unité. Il constitue avant tout une prise de contact entre les nouveaux responsables politiques, soucieux d’éviter de trop étaler leurs divergences. En revanche, les Alliés pourraient se saisir de l’opportunité procurée par une conjoncture favorable au sujet de défense européenne pour avancer en coulisses.
1 GORDON Michael R., CHOKSHI Niraj “Trump Criticizes NATO and Hopes for ‘Good Deals’ With Russia”, The New York Times, 15 janvier 2015, [en ligne] https://www.nytimes.com/2017/01/15/world/europe/donald-trump-nato.html?_r=0, - consulté le 20 mai 2017.
2 “I said it was obsolete; it's no longer obsolete” at the Joint Press Conference of President Trump and NATO Secretary General Stoltenberg, April 12, 2017.
3 GRAMMER Robbie, “NATO Frantically Tries to Trump-Proof President’s First Visit”, 15 mai 2017, (en ligne), http://foreignpolicy.com/2017/05/15/nato-frantically-tries-to-trump-proof-presidents-first-visit-alliance-europe-brussels/, consulté le 19 mai 2017.
4 Ces deux thèmes feront l’objet d’articles détaillés qui seront publiés peu de temps après le sommet.
5 Article 42.7 TUE : “Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. Cela n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres.”
6 Article 5 Traité de Washington : “Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord.”
Légende de la photo en bandeau : les drapeaux des pays de l'OTAN, ainsi que la sculpture "La Rose des Vents" de Raymond Huyberecht, à l'entrée du quartier général de l'OTAN à Bruxelles, 2016 (c) Senior Master Sgt. Adrian Cadiz, United States Department of Defense.
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