Cet article a été écrit dans le cadre du partenariat entre l'Institut Open Diplomacy et Toute l'Europe.
Lors des Journées européennes du développement des 7 et 8 juin 2017 à Bruxelles, les responsables politiques présents ont rappelé l’importance de l’égalité hommes-femmes et les conférences sur le sujet ont eu un grand succès, particulièrement celles sur les violences et les risques auxquels les femmes font face lorsqu’elles décident d’émigrer.
Sextorsion : qu’est-ce que c’est ?
Ce terme mêlant « sexe » et « extorsion », désigne le fait d’abuser de son pouvoir ou de son autorité pour obtenir des faveurs sexuelles selon la définition de l’IAWJ (Association internationale des Femmes Juges)1. Cette dernière lutte pour la reconnaisse officielle de cette définition. « Ce terme est souvent mal défini ou mal compris : s’attaquer au problème est donc d’autant plus difficile » déplore Marwa Fatafta, coordinatrice de projet au sein de l’ONG Transparency International lors des JDD.
Lors du processus migratoire, les hommes paient généralement les passeurs avec de l’argent mais les femmes n’ont souvent pas d’autre choix que de payer avec leurs corps. Cette pratique est loin d’être un cas isolé, un rapport d’Amnesty International en 20102 démontrait que 60 % des femmes passant la frontière mexicano-américaine étaient violées. Ces viols sont souvent perpétrés par des passeurs, d’autres migrants ou des représentants officiels de l’Etat (policiers, douaniers). « La pratique est tellement courante que certains passeurs demandent parfois aux femmes de prendre des contraceptifs avant le départ » rappelle Ortun Merkle, doctorante à la Maastricht Graduate School. Selon un autre rapport de la même organisation3, une grande partie des femmes ayant traversé la Turquie, la Grèce puis les Balkans en 2016 ont été menacées ou harcelées sexuellement. Alors que beaucoup de ces femmes décident de quitter leur pays par peur d’y subir des violences sexuelles, elles risquent de subir le même sort en chemin.
Ortun Merkle peint un tableau effrayant du passage des frontières. « Les passeurs demandent souvent aux groupes de migrants qu’une femme soit présente pour servir de moyen de paiement afin de passer la frontière ». Elle ajoute que « les passeurs n’hésitent pas à menacer leurs familles pour être sûr qu’elles soient dociles durant le voyage ». Selon l’Unicef4, la voie entre la Libye et l’Italie est la plus dangereuse où la moitié des femmes et enfants rapportent avoir été violés. « Il y a des points névralgiques comme le Maroc, la Turquie et la Lybie » complète Ortun Merkle.
La corruption et la sextorsion ne s’arrêtent pas à l’arrivée en Europe. La corruption est constante pour les migrants, elle commence avant le départ, particulièrement dans les pays où les femmes n’ont pas le droit de se déplacer seules, et se poursuit même après l’arrivée à destination. « Il nous a été rapporté que certaines femmes devaient payer plus d’argent ou payer de leur corps pour trouver un logement » poursuit Ortun Merkle.
Stand des associations « Forward" et « The Girl Generation » lors des Journées européennes du développement les 7 et 8 juin 2017 à Bruxelles, (c) Clémence Poirier.
Quelle politique d’immigration pour l’Union européenne ?
Face au flux de réfugiés et la menace terroriste, l’Europe tend à fermer ses portes comme le montre l’accord du 18 mars 2016 entre la Turquie et l’Union européenne5 qui vise notamment à renvoyer les migrants illégaux arrivant en Grèce en Turquie. Claire Fehrenbach, directrice générale d’Oxfam France a fermement dénoncé la politique d’immigration de l’Union européenne : « L’Union européenne est maintenant une forteresse, si les migrants ne peuvent entrer via des routes migratoires légales, ils trouvent alors des voies alternatives beaucoup plus dangereuses ». En rendant les frontières de plus en plus hermétiques, l’Union européenne laisse aux passeurs et aux trafiquants le monopole du passage des frontières. Selon les Nations unies6, en 2016, 181 000 personnes ont utilisé les services des passeurs entre la Lybie et l’Italie.
Ces femmes qui viennent de pays où les violences sexuelles sont associées à la honte et au déshonneur, rapportent rarement les faits dont elles sont victimes. D’autant que les seules autorités pouvant recevoir des plaintes sont souvent aussi celles qui peuvent aussi les renvoyer dans leur pays d’origine où elles risquent d’être reniées par leur famille, voire même être victimes d’un crime d’honneur. « Il n’y a pas de procédure mise en place pour que les femmes puissent rapporter ces faits »déplore une nouvelle fois Marwa Fatfta, coordinatrice de projet à Transparency International.
Stand sur le thème des des violences contre les enfants lors des Journées européennes du développement les 7 et 8 juin 2017 à Bruxelles (c) Clémence Poirier.
Combattre ce problème est loin d’être gagné mais les Journées européennes du développement ont été l’occasion d’attirer l’attention sur un tabou dont personne ne veut vraiment parler. Faire passer le message et utiliser les bons termes représentent déjà une étape. Le grand nombre de personnes présentes pour écouter ce message et les incitations des intervenants à conduire des recherches académiques sur le sujet témoignent d’une audience à développer encore.
1 “Sextortion”, International Association of Women Judges, 2014 (en ligne) : http://www.iawj.org/Sextortion.html, consulté le 7 juin 2017.
2 “Invisible victims”, Amnesty International, 2010, (en ligne) https://www.amnesty.org/en/documents/AMR41/014/2010/en/, consulté le 6 juin 2017.
3 "Les femmes réfugiées risquent agressions, exploitation et harcèlement sexuel lors de leur traversée de l’Europe", Amnesty International, 18 janvier 2016 (en ligne) https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/01/female-refugees-face-physical-assault-exploitation-and-sexual-harassment-on-their-journey-through-europe/, consulté le 6 juin 2017.
4 "Migrating children and women, suffer ‘sexual violence, exploitation, abuse and detention’ – UN agency", site de l'ONU "Addressing Large Movements of Refugees and Migrants", 28 février 2017, https://refugeesmigrants.un.org/migrating-children-and-women-suffer-‘sexual-violence-exploitation-abuse-and-detention’-–-un-agency, (en ligne), consulté le 8 juin 2017.
6 “EU-TurkeyStatement: Questions and Answers”, European Commission, 2016, http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-16-963_fr.htm consulté le 8 juin 2017.
7 "Migrating children and women suffer sexual violence, exploitation, abuse and detention", UN News Center, 28 février 2017, http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=56256#.WTkoFDOmu9Y (en ligne), consulté le 8 juin 2017.
Légende de la photo en bandeau : camp de réfugiés syriens en Jordanie en 2012, William Proby.
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