Urgence climatique, sanitaire, effondrement de la biodiversité, marges de manœuvre budgétaire réduites… Alors que l’Union européenne tente de sortir de la crise sanitaire et économique engendrée par l’épidémie de la Covid-19, Ursula von der Leyen, a présenté le 27 mai 2020 son projet de plan de relance pour 2021-2027 : Next Generation EU. « Le plan de relance transforme l'immense défi auquel nous sommes confrontés en une opportunité, non seulement en soutenant la reprise, mais aussi en investissant dans notre avenir : le pacte vert pour l'Europe et la numérisation stimuleront l'emploi et la croissance, la résilience de nos sociétés et la santé de notre environnement ».
Face au changement climatique, aux failles des systèmes de santé européens, à l’impact sur les moyens de communication et de travail, la Commission européenne a proposé une nouvelle stratégie de croissance pour faire de l’UE une économie forte, verte et compétitive.
750 milliards d’euros pour pallier les effets de la crise et investir de manière massive dans la transition : soutien aux Etats membre en matière d’investissements et réformes, soutien aux entreprises, renforcement des programmes de prévention et d’amélioration de la résilience. Parmi ces 750 milliards, 4,3 % seraient consacrés à la transition écologique de l’Union européenne : le Pacte vert. Ce plan de relance économique est sans précédent dans l’histoire de l’Europe, en termes de montants, d’ambition comme d’outil, avec la création d’une dette commune, appuyée sur la bonne santé globale de l’économie européenne, première économie mondiale.
Il s’inscrit dans l’ambition formulée en décembre 2019 avec le Pacte vert : réduire de moitié l’usage des pesticides, promouvoir l’agriculture verte et placer un tiers des terres et mers de l’Union européenne sous protection environnementale. Accélérer la rénovation énergétique, le développement des énergies renouvelables, de la mobilité propre. Avec un objectif clé : atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La pandémie de la Covid-19, par ses conséquences propres et la limitation des marges de manoeuvre budgétaire des Etats, risque-t-elle de remettre en cause ces objectifs nécessaires pour préserver notre planète ?
Une ambition européenne forte au service de la transition écologique
Alors que les négociations sur le futur budget de l’Union européenne pour 2021-2027 sont toujours en cours, ce plan de relance, complémentaire, pourrait permettre de dépasser nos modèles économiques classiques.
La Commission européenne propose de le financer via de nouvelles ressources propres, avec notamment la création d’une taxe sur le plastique non recyclé, d’une taxe sur les entreprises du numérique, ou d’une taxe carbone aux frontières de l’UE. Le projet de taxe sur les transactions financières, processus lancé en 2011 via une coopération renforcée autour de 11 Etats membres, et que l’Allemagne annonçait fin 2019 vouloir relancer, pourrait s’inclure dans ce cadre. Le budget européen est aujourd’hui financé à plus de 70 % par les contributions nationales des Etats membres, calculées en fonction de leurs poids économiques respectifs.
Au-delà des marges budgétaires supplémentaires créées, de telles ressources propres permettraient de modifier les équilibres entre contributions nationales et contribution européenne gérée directement par la Commission. Elles s'inscriraient dès lors dans le cadre d’une intégration européenne renforcée.
Certains économistes sautent le pas fédéral, en proposant la création d’un impôt général pour tous les Européens, afin de rembourser la dette en commun, impôt qui serait géré par la Commission. A l’aune de cette réflexion, se lit un doute sur la capacité de l’UE à collecter des montants suffisants via les taxes numérique et carbone notamment, si ces dernières voient le jour, afin de rembourser le plan de relance.
Mettre en place ce plan de relance suppose un accord au sein des institutions européennes, et notamment au Conseil de l’UE, divisé. C’est de confiance dont il s’agit, confiance dans la capacité de chacun à respecter des règles édictées en commun, à soutenir ses voisins et à faire preuve de solidarité. Pour bénéficier de ce plan de relance, les Etats membres devront présenter un plan d’investissements et de réformes qui devra prendre en compte la neutralité carbone, la transition énergétique, et la relocalisation de certaines activités économiques. L’objectif est d’accompagner l’ensemble des Etats européens dans la construction d’une économie verte tout en leur permettant d’accéder à des prêts à des taux inférieurs à ceux en vigueur sur les marchés.
Un plan sans précédent mais insuffisant
Si ce projet constitue une avancée politique majeure pour l’Union européenne comme pour la Commission, organe dont la politisation est croissante, les interrogations sont nombreuses.
Le montant constitue un point d’accrochage, alors que le projet de budget européen pour 2021-2027 fait toujours l’objet de débats houleux. En 2019, la Commission européenne a proposé 1,11 % du Revenu national brut - RNB de l’Union à 27, soit 1 135 milliards d’euros. Soit une augmentation de 5 % par rapport à 2014-2020 en excluant le Royaume-Uni. Le Parlement demande quant à lui 1,3 % du RNB, soit 1 324 milliards d’euros. En février 2019, Charles Michel, président du Conseil européen, avait proposé 1 094 milliards d’euros, soit 1,074 %. Entre montant global, contributions des Etats et dissensions entre pays du Nord et pays du Sud, et fléchage des fonds vers telle ou telle priorité, les discussions sont tendues et reportées de sommet européen en sommet européen. Le projet de renforcer temporairement les fonds européens avec le programme Next Generation EU complexifie encore le processus de négociations, qui repose sur l’unanimité au Conseil de l’UE. Enfin les chiffres sur la table sont-ils eux-mêmes suffisants face à l’urgence climatique, sanitaire, à la nécessité d’une transition juste ? Entre contempteurs de la dépense européenne et souhaits d’un plan de relance jusqu’à 5 % du PIB global de l’UE, construire un consensus s’avère pour le moins ardu.
L’inclusion de l’objectif de transition écologique dans le cadre du projet de plan de relance constitue un autre axe de critique. Alors que la croissance verte est considérée comme un puits d’emplois, la part qui lui est consacrée dans Next Generation EU semble bien trop faible. Verdissement de l’économie, construction de nouvelles opportunités à travers la défense de la biodiversité par exemple, la transition écologique devrait constituer une priorité de l’action européenne, investissement dans l’avenir. L’UE se veut le leader de cette transition depuis l’accord de Paris en 2015 : après les mots, les actes.
Dans le cadre de cette réflexion sur les objectifs poursuivis, celle sur le choix des outils est primordiale. Les taxations sont-elles en effet un outil approprié pour modifier les comportements des acteurs ? La création d’un marché du carbone en 2005 avec le SEQE-UE,premier système mondial d'échange international de quotas d'émissions, a eu un impact très limité sur les comportements économiques : le prix du carbone était sous-évalué et le cadre géographique sans doute limité. Les régulations constituent-elles un outil plus approprié ? Au-delà du débat classique entre liberté et régulation, ces outils peuvent manquer leur cible voire se montrer contre-productifs, sur le fond comme en termes de perception par les citoyens. Réduire considérablement l’utilisation de la voiture et le transport aérien au profit de transports en commun et de mobilités douces, mettre fin à l’obsolescence programmée, limiter le recours au plastique notamment non-recyclé, favoriser l’éco-construction et accélérer la rénovation énergétique… C’est une révolution complète de notre modèle économique qui s’avère nécessaire pour atteindre la sobriété énergétique. Le temps en est limité : une vie professionnelle pour les jeunes entrant actuellement sur le marché du travail.
C’est l’ensemble des dispositifs de soutien aux activités économiques polluantes qu’il faut repenser, l’ensemble des dispositifs de soutien à l’innovation verte qu’il faut accélérer, tout en soutenant les populations concernées à travers la formation et l’inclusion sociale.
La décroissance est-elle indispensable pour atteindre la neutralité carbone ?
Depuis les années 2000, les seules chutes d’émissions de CO2 ont été le fait de crises exogènes, non d’évolutions endogènes à nos modèles économiques : ce sont la crise financière de 2008 et la crise sanitaire de 2020, avec le confinement de près de la moitié de la population mondiale. Croissance économique et émissions de CO2 comme la pollution sont liées dans le cadre de notre modèle économique actuel.
La décroissance, concept multidisciplinaire, appelle à freiner la croissance des économies et à promouvoir un environnement durable, aux sens environnemental comme social : stagnation ou réduction du PIB et réallocation des richesses devraient aller de pair. Alors que la croissance potentielle de la plupart des économies développées est en baisse constante, ce concept peut s’avérer un éclairage utile aux réflexions sur le bien-être.
La réflexion en creux porte sur la mesure même de notre développement : elle se fonde avant tout sur le PIB, indicateur synthétique de la croissance économique fondé sur la production nationale. A l’instar des critères d’évaluation financière classiques, le PIB ne prend pas en compte les externalités liées à l’activité : l’impact sur l’environnement, le climat, la biodiversité, le bien-être social, l’inclusion sociale. De la même manière que les indicateurs extra-financiers tendent à se multiplier, à l’initiative d’acteurs de la société civile, économiques voire même étatiques, l’UE pourrait appuyer sa réflexion sur la transition écologique sur l’inclusion des externalités et la prise en compte du bien-être dans l’ensemble de ses politiques.
Ce plan de relance post-crise sanitaire conduit à repenser nos économies et sociétés à l’aune de nos objectifs environnementaux. Quelle voie choisir : celle de la relance classique, celle de la décroissance, ou celle d’une prise en compte holistique des externalités environnementales et sociales ? Intégrons les outils de mesure dans les processus de prise de décision publique comme privée, mobilisons les moyens nécessaires à l’aune de ces objectifs pour envisager une révolution au service du bien-être.