Abandonné par une partie des Etats arabes, délaissé par Washington, le Président de l’Autorité palestinienne n’a jamais été aussi isolé au plan diplomatique. Au pouvoir depuis une quinzaine d’années, il est même désavoué par sa population : plus de 60 % des Palestiniens souhaite aujourd’hui sa démission. Pourtant, au début de la décennie 2010, la stratégie Abbas était plutôt plébiscitée.
Abbas face à Israël : l’impuissante négociation du raïs palestinien
En Palestine, Mahmoud Abbas symbolise la voix de l’apaisement, de la négociation diplomatique. Un des membres fondateurs du Fatah en 1959, il était activement engagé aux côtés de Yasser Arafat durant les négociations des accords d’Oslo en 1993. En 2005, il succède à ce dernier, très populaire, comme Président de l’Autorité palestinienne - AP. Abu Ammar (surnom de Yasser Arafat) était mort un an plus tôt dans des circonstances jugées troublantes par certains experts. En 2013, un laboratoire suisse avance la piste de l’empoisonnement au polonium.
Mahmoud Abbas prend la présidence de l’AP au lendemain de la brutale Seconde Intifada. Les Palestiniens, qui ont souffert de nombreuses pertes civiles (environ 3 000 morts, combattants et civils), veulent tourner la page des violences. A l’époque, et pendant plusieurs années, la ligne Abbas convainc.
Pour imposer sa stratégie de la diplomatie à tout prix, le nouveau Président mise beaucoup sur la communauté internationale, et fait confiance au droit international pour défendre les Palestiniens. Au cours des premières années, l’espoir d’une relance du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens émerge. En 2007, le Président Abbas et le Premier Ministre israélien Ehud Olmert réaffirment les bienfaits de la solution à deux États durant la Conférence d'Annapolis. Et au fil des ans, Mahmoud Abbas enregistre de nombreux succès ses percées sur la scène internationale : la Palestine devient membre de l’Unesco à part entière en 2011, et fait son entrée comme membre observateur de l’ONU en 2012. Sa stratégie semble payer.
Cependant, la situation se dégrade pour les Palestiniens. En 2007, le Hamas s’empare du pouvoir à Gaza après avoir remporté les élections législatives palestiniennes de 2006. Et en 2009, Benyamin Netanyahou (Likoud, droite) succède à Ehud Olmert comme Premier Ministre d’Israël. Sous les mandats successifs de ce dernier, la colonisation s’intensifie chaque année : aujourd’hui, les colons sont près d’un demi-million de personnes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
La perspective d’un Etat palestinien tel que défendu par Mahmoud Abbas - dans ses frontières de 1967 - est largement mise à mal, à l’heure où les dirigeants israéliens envisagent l’annexion d’une large partie des territoires palestiniens - incluant les colonies israéliennes, et presque toute la vallée du Jourdain. D’autant plus que cette intransigeance israélienne est aujourd’hui soutenue par l’administration américaine. Lors d’une conférence de presse organisée avec Benyamin Netanyahou en janvier 2020, le Président américain Donald Trump a dévoilé son plan de paix pour le Proche-Orient, très favorable au chef du gouvernement israélien. Surnommé “l’Accord du siècle”, il prévoit l’annexion d’un tiers de la Cisjordanie et la création d’un Etat palestinien démilitarisé et morcelé.
Mahmoud Abbas, de plus en plus isolé, n’a pas su répondre avec la fermeté que nombre de Palestiniens attendaient. Le Président de l’AP a certes affirmé qu’il mettrait fin à la coopération sécuritaire avec Israël, mais il a de facto entièrement maintenu les liens avec l’Etat hébreu. Aujourd’hui, 62 % des Palestiniens souhaitent que le chef de l’exécutif palestinien démissionne de ses fonctions. Sa popularité souffre d’une baisse continue ces dernières années.
Une présidence critiquée par les Palestiniens
Selon le Docteur en Sciences politiques Khalil Shikaki, Directeur du Centre palestinien de recherches et de sondages, jusqu’en 2015, la stratégie Abbas était globalement appréciée des Palestiniens. Mais au milieu de la décennie 2010-2020, une cassure s’est opérée. Face à la politique de négociation, la violence est devenue un moyen privilégié de lutte contre l’occupation. En 2015, les attaques à la voiture bélier et au couteau contre des citoyens israéliens se sont multipliées, principalement à Jérusalem.
Dans un entretien réalisé pour cet article, le Dr Shikaki souligne qu’aujourd’hui, “le soutien à Mahmoud Abbas provient d’une seule frange de la population palestinienne : celle qui soutient totalement le Fatah, qui vote continuellement pour le parti du président. Personne ne soutient cette formation politique en dehors de la base traditionnelle.”
Jugé trop complaisant avec les autorités israéliennes, avec lesquelles il maintient une coopération sécuritaire efficace, Mahmoud Abbas ne parvient plus à convaincre une majorité de Palestiniens. Tout d’abord, la population perçoit de moins en moins les négociations internationales comme un moyen efficace pour mettre un terme à l’occupation israélienne. En outre, les enjeux de politique interne ont accentué cette défiance de la population. Ces dernières années, le président palestinien a opéré un virage autoritaire critiqué en Palestine. C’est en 2006 qu’ont eu lieu les dernières élections législatives. Le scrutin s’était soldé par la victoire du Hamas, aujourd’hui au pouvoir dans la bande de Gaza et devenu ennemi juré du Fatah d’Abbas. Depuis, l’Autorité palestinienne n’a plus organisé d’élections, malgré des promesses répétées en ce sens. Les mesures prises contre la liberté d’expression ont aussi été renforcées. Elles ont notamment visé les plus jeunes sur les réseaux sociaux, avec pour conséquence l’effritement du leadership de Mahmoud Abbas au sein de la jeunesse palestinienne. Et pour ne rien arranger, les Palestiniens reprochent à l’ensemble de leurs dirigeants (Fatah comme Hamas) leur manque d’efforts pour réconcilier les deux principaux partis palestiniens. Motivés principalement par le pouvoir, les deux frères ennemis n’ont jamais mené à bien les tentatives de réconciliation.
Mais malgré l’impopularité du “Raïs”, et les appels répétés à dissoudre l’Autorité palestinienne parmi la population, le leader et ses institutions sont solides selon le Dr Khalil Shikaki : “le parti [Fatah] a développé avec succès un contrôle de l’administration et des services de sécurité, qui permet un soutien total de la part des institutions.” En 2016, par exemple, Mahmoud Abbas a mis en place un Tribunal constitutionnel dont il a lui-même nommé les neuf juges. “C’est pourquoi il est difficile de prévoir une implosion de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. Elle est contrôlée par le Fatah, qui contrôle lui-même les services de sécurité.” Pour l’instant, “personne n’est prêt à changer cela au sein du parti.”
Perte de crédibilité internationale
Le déclin de popularité de Mahmoud Abbas ne se limite pas à la Palestine. Certes, ses appels répétés à la négociation comme meilleur moyen de lutte contre l’occupation israélienne séduisent certains Etats, notamment les membres de l’Union européenne. Mais dans le même temps, le Président est délaissé par une partie de la communauté internationale.
Tout d'abord, parce que la cause palestinienne n'est plus considérée comme une priorité au Moyen-Orient. L'Arabie saoudite, Bahreïn ou encore les Emirats arabes unis ont tous les yeux rivés sur l'Iran, considéré comme une menace primordiale dans la région.
Ensuite, parce qu’“Abu Mazen” (surnom de Mahmoud Abbas) fait face à une sérieuse crise de légitimité au sein de la région et à l’international. Depuis son arrivée à la Maison blanche, le Président Trump a multiplié les mesures contre l’Autorité palestinienne, peu inquiété par un Mahmoud Abbas en perte de vitesse. Une réalité également visible au sein de certains Etats arabes selon la Docteure en Sciences politiques Elisabeth Marteu : “Selon moi, les Emiratis et les Saoudiens sont agacés par l’attitude des dirigeants palestiniens. Ils estiment qu’ils ont déployé assez d’efforts pour la cause palestinienne. Et ils ne sont pas en bons termes avec Mahmoud Abbas. Il est de notoriété publique que les Emirats accueillent et soutiennent Mohammed Dahlan, fervent opposant à Mahmoud Abbas. Certains verraient donc d’un bon oeil un changement de leadership à Ramallah.”
Bataille en perspective pour la succession
Début 2018, l’état de santé d’Abu Mazen se détériore. Alors en déplacement aux Etats-Unis en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, le Président de l’AP est transféré dans un hôpital américain. En mai de la même année, il est hospitalisé en Cisjordanie pour une pneumonie. Son âge avancé (il est né en 1935) et ses problèmes de santé récurrents ont réactivé le débat sur sa succession. Selon le chercheur Bishara Bahbah de l’Université de Harvard, “c’est une question sensible à cause des nombreux problèmes auxquels est confrontée la société palestinienne, mais aussi du fait des relations avec Israël, et des environnements régional et international.” L’Etat hébreu suit le dossier avec attention. Les dirigeants israéliens veulent s’assurer que le successeur de Mahmoud Abbas maintiendra des relations étroites entre l’AP et Israël en matière sécuritaire. Introduite par les Accords d'Oslo dans les années 1990, cette coopération a permis de déjouer de nombreux attentats visant des citoyens israéliens. Aujourd’hui, l’identité du successeur n’est pas connue. Mais plusieurs noms se détachent :
Rami Hamdallah : ancien Premier ministre palestinien
Nasser al-Qudwa : neveu de Yasser Arafat et représentant de l'OLP - Organisation de Libération de la Palestine auprès des Nations unies, puis Ministre des Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne
Mahmoud Al-Aloul : étoile montante du Fatah, il pourrait remplacer Mahmoud Abbas temporairement si le président se retirait
Majed Farah : à la tête du renseignement palestinien
Jibril Rajoub : secrétaire général du Fatah et ancien chef des services de sécurité préventive en Cisjordanie
Ou encore, et ces noms font plus de bruit :
Mohammed Dahlan : seul candidat à ne plus être membre du Fatah et à ne plus résider en Cisjordanie (chassé par Mahmoud Abbas en 2011), il vit actuellement aux Emirat arabes unis. Il est vu d’un bon oeil par Israël
Marwan Barghouti : incontestablement le plus populaire auprès des Palestiniens. Il est actuellement emprisonné en Israël pour ses actions violentes durant la Seconde Intifada.
La question principale en suspens est de savoir si le Hamas rival pourrait prétendre à la succession. Si des élections ont lieu, elles devraient en effet être organisées dans le cadre de l’OLP, selon des dispositions prises par le président Abbas après la guerre civile palestinienne de 2006-2007. Or, l’OLP ne comprend pas le Hamas. Ce système pose donc la question de la représentation démocratique des Palestiniens. Selon les sondages, en cas d’élections, le parti islamiste pourrait réunir un large nombre de voix, et même peut-être prétendre à la présidence.
Selon Bishara Bahbah, un certain nombre de conditions devrait être rempli pour que la population palestinienne accepte le successeur de Mahmoud Abbas : “s’il représente une rupture par rapport à l’actuel président palestinien”, “s’il prend des mesures concrètes pour la réconciliation interpalestinienne [Hamas-Fatah]”, “s’il prend à bras le corps le problème des réfugiés palestiniens” et “s’il montre un leadership assez fort, se concentre sur la lutte contre la corruption et renforce les relations avec les Etats régionaux et les acteurs internationaux.” Le successeur du Raïs Abbas devra aussi se pencher sur la situation économique et sociale des Palestiniens. En effet, le taux de chômage s’élève à plus de 20 %, en Cisjordanie, et 50 % à Gaza.
Après 15 ans comme Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas n’a pas su faire oublier son successeur Yasser Arafat. Durant la décennie 2010, la popularité du Raïs palestinien baisse progressivement. Pour faire taire les critiques, il renforce le système autoritaire, créant de vives frustrations parmi les Palestiniens, qui pourraient s’avérer explosives à l’avenir. En parallèle, l’Autorité palestinienne est de plus en plus isolée aux plans régional et international. Aujourd’hui, l’image de Mahmoud Abbas est celle d’un leader vieillissant, isolé, critiqué, qui ne peut plus compter que sur la stabilité des institutions de son régime. En effet, peu se réjouissent du leadership actuel à Ramallah, mais tous observent avec inquiétude sa succession et les troubles qui ouvriraient la période post-Abbas.