Au premier trimestre 2023, l’économie chinoise retrouve de la vigueur, comme en témoignent les prévisions de croissance du FMI réévaluées à 5,2 %. Pour autant, cette reprise ne doit pas cacher les dynamiques de long terme. Au second semestre 2022, la Chine a multiplié les messages visant à mettre en lumière la robustesse de son économie. Lors du XXème congrès du parti communiste chinois (PCC), d’abord, puis lors du G20 de Bali, ensuite, il s’est certes agi de mettre en scène le pouvoir du président Xi Jinping, mais l’enjeu pour le pays le plus peuplé du monde était aussi de montrer que sa prospérité était toujours d’une brûlante actualité, même après deux ans de difficultés liées à la pandémie de Covid-19. Les analystes occidentaux font, le plus souvent, état d’un ralentissement conjoncturel de l’économie chinoise. Or, la dynamique économique chinoise est en réalité ambivalente depuis une vingtaine d’années. Si des progrès considérables ont été accomplis, il n’en reste pas moins que des risques structurels pèsent sur cette économie, lesquels nécessitent une réaction rapide.
Le miracle économique chinois
Le discours traditionnel sur l’économie chinoise ne fait jamais l’impasse sur les formidables réussites économiques du pays. En 1978, lorsque Deng Xiao Ping voit sa ligne consacrée par le comité central, il hérite d’un pays ruiné par les guerres, le Grand Bond en avant, la révolution culturelle et l’instabilité politique. Le monde a alors pu constater la capacité du pays à engager son redressement, en se fondant sur des investissements à grande échelle, la croissance rapide de la productivité et l’abondance d’une main d’œuvre peu coûteuse. Les réformes mises en œuvre, tant dans le secteur agricole que pour promouvoir les exportations et attirer les investissements étrangers, ont produit des résultats spectaculaires. Cela d’autant plus qu’elles ont été accompagnées de politiques sectorielles structurantes, visant à doter le pays d’infrastructures robustes, favoriser le crédit bancaire et doter les gouvernements locaux de marges de manœuvre sur le plan économique. Ainsi, de 1976 à 2016, la croissance chinoise a été en moyenne de 9,6 %.
Cette politique économique efficace s’est aussi accompagnée d’une forme de redistribution, laquelle est nettement mise en valeur par les autorités chinoises. Ainsi, Sylvie Bermann, ancienne ambassadrice de France en Chine (2011 – 2014), souligne le recul massif de la pauvreté dans le pays et la naissance d’une classe moyenne, en particulier dans les provinces littorales. Des moyens élevés ont également été engagés pour développer certaines régions plus rurales et l’espérance de vie en Chine a dépassé celle des États-Unis en 2020. Signe suprême de son succès économique, la République populaire de Chine dispose désormais même de son propre programme spatial et envisage d’envoyer une mission habitée sur la Lune d’ici à dix ans.
Un ralentissement progressif
Les journaux occidentaux n’ont toutefois pas manqué de souligner le coup d’arrêt qu’a constitué pour la Chine la pandémie de Covid-19. Ainsi, la croissance chinoise est tombée à 2,3 % en 2020, soit le taux le plus bas depuis quarante ans. En 2022, la croissance économique de 3 % n’a pas atteint l’objectif de 5,5 % adopté par les autorités chinoises. Ce ralentissement, partiellement conjoncturel, était néanmoins nettement prévisible. Dès le milieu des années 2000, le sinologue Jacques Gernet, dans la dernière édition de son Monde chinois, relevait les failles de la transformation chinoise, et en particulier la baisse de la croissance démographique et l’industrialisation sans freins.
Le ralentissement économique actuel est en grande partie lié à la fin de cycles de transformation, qu’ils soient démographiques, industriels ou sociaux. À court terme, ils ont des conséquences économiques directes qui nécessitent des réponses puissantes. Tout d’abord, la politique de « zéro-Covid » a entraîné de nombreuses fermetures d’usines en début d’année touchant le secteur de la production manufacturière et de l’énergie. La mobilité réduite des citoyens et des étrangers dans le pays touche encore plus durement le secteur touristique qui était responsable avant 2020 de plus de 10 % du PIB chinois.
Ensuite, le secteur immobilier, lequel représente entre 14 et 30 % du PIB selon les estimations, est déstabilisé par la colossale dette privée détenue par de grandes entreprises immobilières dont Evergrande. Malgré les efforts de Pékin pour soutenir le marché immobilier, les prix des logements dans des dizaines de villes ont baissé de plus de 20 % cette année.
Enfin, ces défis sont accentués par des phénomènes climatiques. Dans certaines provinces où le mix électrique repose en grande partie sur l’énergie hydraulique, des vagues de chaleurs ont réduit la production qui n’a pas pu répondre à la hausse de la demande en climatiseurs, touchant tout le réseau électrique. Une combinaison de grandes sécheresses et d’inondations dans le sud-ouest de la Chine ont également entraîné des pannes de courant répétées affectant des milliers d’usines.
Traditionnellement, la réponse du gouvernement face à ce type de ralentissement économique est l'injection massive de liquidités dans les secteurs concernés. Pékin a en effet annoncé en août 2022 un plan de 1 000 milliards de yuans (140 milliards d’euros) pour stimuler les petites entreprises, les infrastructures et l'immobilier. Néanmoins, l’accumulation de ces mauvaises données économiques a même incité la banque centrale chinoise à agir. Elle a réduit ses taux d'intérêt de 10 points de base, le 15 août 2022, allant ainsi à l'encontre de la tendance mondiale au resserrement de la politique monétaire.
Le long chemin de la prospérité
Face à ces défis, la Chine reste bien armée. Le progrès technique et l’innovation deviennent, comme pour les économies avancées, un déterminant central de sa croissance, laquelle bénéficie moins d’effets de rattrapage. C’est le signal d’une Chine qui termine pour de bon son émergence dans les affaires économiques du monde. Pour autant, ce pays a encore besoin d’une forte croissance pour soutenir le développement de l’ensemble de son territoire et financer ses projets politiques et sociaux.
Tout d’abord, la Chine devra continuer à compter sur ses entrepreneurs en leur donnant les moyens d’exercer dans de bonnes conditions pour capitaliser sur leurs succès. Pour cela, le XXe congrès a annoncé avantager l’économie fondée sur l’innovation plutôt que sur la consommation.
Ensuite, le régime devra continuer à proposer un minimum d’avantages aux entreprises étrangères. Les afflux de capitaux dans le pays restent forts mais ont diminué au fur et à mesure de la durée des restrictions de voyages et des durcissement règlementaires. En ce sens, la fin inopinée de la “politique zéro covid” a permis, à court terme, de ré-attirer les investissements à Hong Kong et en Chine continentale. Toutefois, à long-terme, le XXe congrès a mis en exergue la primauté de l’idéologie marxiste sur le pragmatisme économique. Reste à voir, l’application réelle de cette nouvelle doctrine.
Ainsi, les autorités devront trouver des réponses économiquement viables aux sanctions américaines. Le plan “Made in China 2025” présenté en 2015 par l’administration Li Keqiang a apporté des premiers éléments de réponse, dans le contexte de l’époque, en engageant l’autonomie technologique du pays. Toutefois, l’engagement des États-Unis dans un protectionnisme assumé en adoptant l’IRA (Inflation Reduction Act) couplé aux interdictions d’exportations vers la Chine des semi-conducteurs conduisent la Chine à se projeter dans un avenir de plus en plus découplé des États-Unis. Une première réponse est envisagée fin janvier 2023 en introduisant une interdiction d’exportations de composants clés à la fabrication d’énergies renouvelables.
Enfin, la Chine devra assurer dans la durée la crédibilité du yuan, le renminbi (RMB), si elle souhaite poursuivre effectivement la dédollarisation de ses échanges et s’affirmer comme une puissance monétaire d’ancrage pour ses partenaires régionaux.
Pour faire face à ces défis, rappelons que la Chine a deux atouts dans son sac. Sa civilisation, qui s’est si longtemps développée indépendamment de l’Occident, lui assure une forme de stabilité que beaucoup d’économies émergentes peuvent lui envier. Surtout, à l’image des autres pays asiatiques, elle a une connaissance beaucoup plus fine de nos cultures que celle que nous avons de la sienne. Voilà un déséquilibre qu’elle saura utiliser à son profit dans un monde où les avantages informationnels tendent à devenir décisifs.
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