Malgré les mesures drastiques prises dès le début de l’épidémie, le COVID-19 n’a pas épargné Israël. Et alors qu’il doit gérer ce virus hyper-contagieux, le pays a aussi fait face à une crise politique sans précédent. Benyamin Netanyahou est accusé d’instrumentaliser la pandémie pour renforcer son pouvoir, au risque d'abîmer la démocratie.
Chaque jour offre son nouveau lot de surprises dans l’Etat hébreu. Comme 3 milliards d’autres êtres humains, les Israéliens traversent une période surréaliste. Interdiction de sortir à plus de 100 mètres de leur domicile, sauf pour les achats de première nécessité, les rendez-vous médicaux ou les activités professionnelles essentielles… les rues israéliennes, habituellement si animées, sont presque vides. Depuis leurs foyers, les Israéliens observent avec inquiétude l’évolution de l’épidémie qui s’étend peu à peu dans le pays. La contagion a masqué les derniers soubresauts étonnants, parfois dangereux, de la politique israélienne.
« King Bibi » et la crise sanitaire
Pendant un an, Israël n’a cessé de s’enfoncer dans la crise politique et constitutionnelle. Avec trois élections législatives, un gouvernement mené par un Benyamin Netanyahou affaibli (devenu Premier Ministre par intérim), et aucun leader politique en mesure de former une majorité gouvernementale, le pays a navigué vers l’inconnu. Le général Benny Gantz, ancien numéro 1 de l’armée israélienne et leader du parti rival Bleu blanc, avait ses chances de remplacer “Bibi” (surnom de B. Netanyahou) comme Premier Ministre.
Mais ce jeudi, la donne a changé. Poussé par la crise du Coronavirus (et par le génie politique de Bibi), Benny Gantz a finalement accepté d’entrer dans un “gouvernement d’urgence nationale” dirigé par Benyamin Netanyahou. Aux oubliettes le rêve de faire tomber Bibi. Benny Gantz est aujourd’hui le Président de la Knesset (Parlement israélien), en accord avec le Likoud. Ce nouveau séisme politique est avant tout une victoire pour Benyamin Netanyahou, largement facilitée par la crise sanitaire.
Pour comprendre le cas israélien, un retour en arrière s’impose. Au lendemain des élections du 2 mars (les troisièmes en moins d’un an), Benyamin Netanyahou proclame un peu vite sa victoire. Si son parti, le Likoud, est en tête avec 36 sièges à la Knesset, le Premier ministre par intérim n’est pas en mesure de former un gouvernement. Avec ses alliés (les partis religieux et les partis d’extrême droite), il n’obtient que 58 sièges. Or, pour former une coalition, il faut réunir au moins 61 députés (sur un total de 120). L’illusion de la victoire au Likoud est vite étouffée par les manoeuvres du rival Benny Gantz. Le leader de Bleu blanc (33 sièges à la Knesset) se rapproche de l’ultra-nationaliste et séculier Avigdor Lieberman (chef du parti Israel Beitenou, 7 sièges) et de la Liste unifiée réunissant les partis arabes (15 sièges). Dans un retournement de situation improbable, il devient le mieux placé pour former un gouvernement. Le 16 mars, le président israélien Reuven Rivlin lui remet le mandat pour former une coalition. Mais les discussions patinent, car les députés qu’il souhaite rassembler sont issus de courants idéologiques radicalement différents. La coalition dont il rêve est fragile.
Entre temps, le Coronavirus s’étend dans le pays, malgré les mesures strictes prises très tôt par l’Etat hébreu et l’Autorité palestinienne pour le contenir. Benyamin Netanyahou saisit l’occasion pour demander la formation d’un “gouvernement d’urgence nationale” (avec lui-même comme Premier ministre) : “laissons de côté la politique, on pourra y revenir plus tard” affirme-t-il début mars. Une proposition opportune selon de nombreux analystes de la politique israélienne. Bibi profiterait de la crise du Corona pour se maintenir au pouvoir. Car comme le rappelle Raviv Drucker dans un article du quotidien israélien Haaretz, Benyamin Netanyahou n’a pas toujours privilégié l’union nationale en temps de crise. A l’aube de la meurtrière Seconde Intifada, il avait refusé la formation d’un gouvernement d’urgence nationale proposé par Ehud Barak (Parti travailliste) : “pourquoi était-il acceptable de faire de la politique à l’époque, mais pas aujourd’hui?” s’interroge le journaliste israélien.
Une véritable course contre la montre s’engage pour Bibi. Mis en examen dans trois affaires pour corruption, fraude et abus de confiance, il risque de finir sa vie derrière les barreaux. Quitte à abîmer les fondements démocratiques de l’Etat hébreu, il cherche à se maintenir au pouvoir à tout prix. Son procès devait s’ouvrir le 17 mars. Mais deux jours plus tôt, le 15 mars, le Ministère de la justice décide de limiter les activités judiciaires aux “cas urgents uniquement” pour limiter la propagation du virus dans les tribunaux. L’ouverture du procès est reportée au 24 mai 2020. A noter que le Ministre de la Justice, Amir Ohana, est très proche de Benyamin Netanyahou.
Tout au long du mois de mars, Bibi multiplie ainsi les appels à former un “gouvernement d’urgence nationale”. Benny Gantz propose d’y faire entrer les partis arabes (la population arabe est fortement représentée dans le personnel soignant en Israël). Refus net de Bibi, qui s’en prend régulièrement à la minorité arabe depuis plusieurs années. Comme d’autres leaders populistes, Benyamin Netanyahou instrumentalise régulièrement le racisme pour mobiliser ses soutiens. Marginalisés, les arabes israéliens ne représentent que 20 % de la société. Il est donc aisé pour un chef de gouvernement de les attaquer.
La formation d’un “gouvernement d’urgence nationale” pourrait être justifiée par la situation exceptionnelle de l’Etat hébreu. A cause de la crise politique, aucun budget n’a été voté depuis plus d’un an. La formation d’un gouvernement permettrait à l’Etat de retrouver une certaine stabilité et de planifier les investissements, à l’heure où le pays entre dans une crise économique et sociale majeure à cause du confinement. Cependant, Benyamin Netanyahou instrumentalise clairement cet argument pour se maintenir au pouvoir. Le Premier ministre par intérim s’est déclaré “en guerre contre un ennemi invisible” et a voulu endosser le costume de sauveur d’Israël. Au prix de manipulations politiques dangereuses pour la démocratie.
Coup de force à la Knesset
Le 18 mars dernier, une partie de la presse et de la classe politique israélienne s’ébranle. Le président de la Knesset, Yuli Edelstein, député du Likoud et proche de Benyamin Netanyahou, suspend le fonctionnement de la Knesset. Il refuse de laisser les députés de l’opposition se réunir. Menés par Benny Gantz, les élus souhaitent à la fois voter pour remplacer le Président de la Knesset, mais aussi se prononcer sur un texte qui interdit à un député mis en examen de diriger un gouvernement. Un texte qui empêcherait donc Benyamin Netanyahou de rester Premier ministre.
La décision du Président de la Knesset d’empêcher les députés de voter est motivée selon lui par des considérations sanitaires : en Israël, les regroupements de plus de 10 personnes sont interdits depuis le début de la crise du Coronavirus. Cependant, les motivations politiques semblent difficiles à cacher. Pour l’opposition et une partie de la presse israélienne, Yuli Edelstein agit pour le compte de Benyamin Netanyahou, pour lui faire gagner du temps afin d’imposer la formation d’un “gouvernement d’urgence nationale”. Certains analystes parlent de “coup d’Etat”. Dans la foulée, la Cour suprême, plus haute autorité judiciaire en Israël, exige du Président de la Knesset qu’il laisse les députés se réunir. Quelques jours passent, Yuli Edelstein ne s’exécute pas. Il finit par démissionner, accusant la Cour d’avoir réalisé une “intervention grossière et arrogante”. Ces dernières années, Benyamin Netanyahou et ses soutiens ont régulièrement attaqué le pouvoir judiciaire aussi bien que d’autres composantes de l’Etat de droit, à commencer par la police, les accusant d’être partiaux car acquis à la gauche israélienne. Ce type de discours, récurrent dans les régimes qui glissent vers l’autoritarisme, est efficace auprès d’une partie des électeurs du Likoud. Mais il est extrêmement dangereux, car il sape l’équilibre des pouvoirs dans le pays.
Finalement, la semaine dernière, sous la pression du parti de Benyamin Netanyahou, Benny Gantz finit par céder et accepte d’entrer dans un gouvernement mené par Bibi. Cet épisode montre que même dans certains régimes parlementaires, qui permettent pourtant une représentation large des composantes de la société, le populisme avance. Israël semble suivre le chemin inquiétant de pays comme la Hongrie, où un chef de gouvernement attaque régulièrement les composantes démocratiques, telles que la justice et l’opposition, pour renforcer son pouvoir. Dans ces pays, le glissement anti-démocratique s’est opéré avant le début de la crise sanitaire. Mais ces politiques dangereuses sont exacerbées par le Covid-19. Ainsi, Benyamin Netanyahou a profité du Corona pour imposer l’idée d’un “gouvernement d’urgence nationale”, faire taire le parlement, repousser son procès, le tout alors que la peur du Coronavirus a gagné le pays. Confinés chez eux comme la moitié de la planète, les Israéliens ont le regard tourné vers l’expansion de l’épidémie, plutôt que vers les manoeuvres politiques de leurs dirigeants.
Les manifestants en confinement ?
Les Israéliens, pourtant très politisés, sont habitués à contribuer au jeux démocratique. Mais la peur du Coronavirus a pris le pas sur les considérations politiques. Cette semaine, 5000 Israéliens ont été testés positifs au virus. 18 personnes sont décédées. Des milliers de personnes sont en quarantaine, surveillées de manière drastique par un système technologique emprunté aux services de renseignements israéliens. Comme dans de nombreux autres pays, le confinement limite les possibilités de se réunir en groupe, et donc de manifester. Après la démission de Yuli Edelstein, 1000 protestataires sont sortis dans les rues de Jérusalem pour s’opposer aux atteintes à la démocratie. Ils ont été interdits de se rassembler devant la Knesset selon les leaders du mouvement.
Malgré les affaires de corruption, et le rejet d’une large partie de la population, Benyamin Netanyahou est parvenu à se maintenir au pouvoir en instrumentalisant la crise sanitaire. En Israël, comme dans d’autres pays du monde, la peur du Coronavirus a été utilisée de manière dangereuse par les responsables politiques pour se maintenir au pouvoir et renforcer la mainmise sur le pays.