Libye, Mali, Nigeria, République démocratique du Congo, Soudan… Du Maghreb à la Corne de l’Afrique, de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique centrale, les conflits et les guerres qui émaillent le continent africain font régulièrement la « une ». de la presse internationale. Si la réalité de chacun des cinquante-quatre États africains est différents, cinq des dix États aux indices de paix les plus faibles de la planète se trouvent en Afrique1. En première ligne, on retrouve les femmes, à la fois victimes et actrices des changements en cours. Dans des États où les conflits génèrent des situations sanitaires et humanitaires désastreuses, prendre le chemin de la paix est une nécessité absolue. Le 19 février dernier, quelques semaines avant la Journée internationale de la Femme2 le 8 mars, l’Institut Open Diplomacy s’est interrogé sur le rôle que peuvent jouer les femmes africaines dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale.
Face à un tel défi, des initiatives locales et nationales ont montré que l’inclusion des femmes dans le processus de pacification est nécessaire à une paix durable. Toutefois de nombreux obstacles subsistent, et un long chemin reste à parcourir pour la participation des femmes comme égales des hommes.
L’inclusion des femmes dans le processus de paix est nécessaire à sa pérennité
Le 20 mai 1999, les femmes de cinquante-trois États africains, réunies à Zanzibar à l'occasion de la Conférence panafricaine des Femmes pour une culture de la Paix, déclaraient regretter « que les négociations de paix actuelles soient un domaine essentiellement masculin ignorant les efforts et les initiatives des femmes en faveur de la résolution des conflits, et de la promotion de la paix sur le continent, notamment par le dialogue et le consensus »2. Seize ans plus tard, le constat n’est pas beaucoup plus encourageant. D’après UN Women, les femmes ne représentent que 10 % des négociateurs, et 3 % des signataires des Accords de paix3.
Au début des années 2000, un mouvement général pour l’égalité des droits et la promotion de la condition et de l’autonomie féminine a été lancé par les organisations internationales, les gouvernements et les sociétés civiles de nombreux États. Le 31 octobre 2000, le Conseil de Sécurité des Nations unies a ainsi adopté la résolution 1325 « Femmes, Paix et Sécurité »4, qui souligne l’importance – au même titre que leur protection contre les violences spécifiquement dirigées contre elles en temps de guerre – de la participation des femmes dans des conditions d’égalité avec les hommes au règlement des conflits, à l’édification et au maintien de la paix. Si les femmes sont souvent touchées de manière disproportionnée pendant les conflits, il ne s’agit plus de « continuer de les voir comme des victimes, nous devons les envisager comme des acteurs du changement »5.
Cette constatation relève du bon sens : une paix durable n’est possible que si elle est inclusive, et qu’elle envisage l’ensemble des défis à la paix et pour la paix6. Avant, pendant et après les conflits, les femmes sont confrontées à des problèmes et des considérations spécifiques. Elles sont souvent des « armes de guerre »7 et, par extension du champ de bataille, leur corps devient un territoire de combat comme un autre. Le viol est ainsi endémique dans de nombreuses zones de conflit en Afrique, notamment en République démocratique du Congo ou encore au Darfour. Les femmes – souvent exclues du privilège « masculin » de faire la guerre – représentent une grande part de personnes déplacées8 et se retrouvent bien souvent, après la guerre, à devoir élever seules leurs enfants et à se reconstruire tout en se retrouvant parfois victimes du stigmate de la honte. Les impliquer dans les processus de paix et dans la résolution des conflits constituerait ainsi une manière de leur donner voix au chapitre – au titre notamment de l’histoire nationale de leur pays – comme de combattre l’a priori qui voudrait qu’elles ne soient que des victimes passives.
Paix et femmes en Afrique : une histoire d’initiatives locales
Dans les sociétés traditionnelles africaines, le plus souvent patriarcales, le rôle des femmes est souvent confiné à la sphère domestique9. Toutefois, cela n’a jamais empêché les femmes africaines de prendre conscience du rôle positif qu’elles ont eu à jouer dans la promotion de la paix et le règlement des conflits. Que ce soit à la plus petite échelle ou au niveau national, de nombreuses associations ou regroupements informels ont vu le jour à travers le continent. Ces organisations promeuvent aussi bien la défense des droits humains, la démobilisation et le désarmement, la protection des enfants et la santé, que le dialogue interconfessionnel ou interethnique10. Ces organisations, dont le rôle social, voire économique11 n’est pas à négliger, permettent de cibler les divers besoins des populations locales et d'y subvenir, mais également d’inciter toujours plus de femmes à s'engager dans un mouvement en faveur de la paix. On constate toutefois que le défi n’est pas tant de mobiliser les femmes ou d’attirer l’attention de la communauté internationale sur leur rôle, que de leur permettre d’être entendues au sein des plus hautes instances de prises de décisions politiques, militaires ou diplomatiques12. En 2002, un groupe de travail sur les Femmes, la Paix et Sécurité soulignait en effet que sur les quatorze États africains en situation de conflit ou post-conflit, seuls le Burundi et la République démocratique du Congo avaient choisi d’inclure les femmes dans leur processus de paix13.
Cette exclusion des « voix féminines » a plusieurs raisons. Tout d’abord l’absence de visibilité et de lisibilité des organisations féminines, dont les revendications n’émergent pas de la société civile dans son ensemble, le manque de relais ou de plateforme politique conduisant le plus souvent à une confiscation de la parole par les hommes. Par ailleurs, un manque de ressources aussi bien financières que matérielles qui ne leur permet pas d’atteindre l’efficacité qu’appelle pourtant leur action, et qui les empêche d'avoir une visibilité nationale ou régionale. Les négociations de paix étant souvent organisées entre les parties « primaires du conflit »14 au sein lesquelles la participation des femmes est souvent exclue ou gommée à la fin du conflit, peu de femmes se retrouvent à la table des négociations et leur présence peut être considérée comme illégitime par certains de leurs homologues masculins.
Afin de permettre aux femmes africaines de pouvoir effectivement prendre part au processus de pacification, il est essentiel de mettre en place des législations et des politiques volontaristes de reconnaissance de leurs actions et organisations, tout comme de promotion des outils et des ressources leur permettant de disposer des mêmes atouts que les hommes, dans tous les domaines.
Un long chemin à parcourir
Depuis 2000, seize États africains ont mis en place des Plans d’actions nationales à l’application de la résolution 1325 du Conseil de Sécurité de l'ONU de 2000, « Femmes, Paix et Sécurité ». Depuis l'entrée en vigueur de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples en 1986, et le remplacement de l'Organisation de l'Unité africaine - OUA - de 1963 par l'Union africaine - UA - en 200215, cette dernière organisation régionale n’a cessé de s’engager en faveur des droits des femmes et de la promotion de leurs actions pour la paix. En 2004, l'UA a adopté une déclaration solennelle sur l’égalité des genres en Afrique16, à la suite de quoi elle a pris un certain nombre de mesures significatives, notamment des formations à la médiation destinées aux femmes, ou la nomination de femmes en tant qu’envoyées ou représentantes spéciales de l’Organisation. En 2014, Bineta Diop17 a ainsi été nommée Envoyée spéciale de la Présidente de la Commission de l’Union africaine pour les femmes, la paix et la sécurité.
Au niveau national, le travail des femmes commence à être reconnu. De nombreuses femmes ont été élues premières ministres, présidentes ou députées. Au Rwanda, par exemple, les femmes représentent 63,8 %18 des membres de lae Chambre des Députés. Le rôle des femmes africaines en matière de paix est également reconnu au niveau international. En 2004, la kenyane Wangari Maathai a ainsi obtenu le Prix Nobel de la Paix pour sa contribution en faveur du développement durable, de la démocratie et de la paix. En 2011, ce sont deux Libériennes, la Présidente de la République Ellen Johnson Sirleaf et la militante Leymah Gbowee, qui furent récompensées pour leurs efforts en faveur de la sécurité et des droits des femmes.
Face au défi de la paix et de la sécurité, les femmes africaines sont plus que jamais présentes, porteuses d’idées et d’un idéal, celui de leur solidarité comme une puissante force de changement et de développement futur pour tous19.
1 Institute for Economics and Peace, Global Peace Index 2015: Measuring Peace, its causes and economics values, juin 2014, p. 9 [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://economicsandpeace.org/wp-content/uploads/2015/06/Global-Peace-Index-Report-2015_0.pdf.
2 UNESCO – Conférence panafricaine des femmes pour une culture de la Paix, Agenda des femmes pour une culture de la paix en Afrique, Zanzibar, mai 1999, article 5 [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001164/116485Fo.pdf.
3 Département de l’information de l’Organisation des Nations unies, Les quatre conférences mondiales sur les femmes 1975-1996, DPI/2035/M-0039711, avril 2011 [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://www.un.org/french/womenwatch/followup/beijing5/session/fond.html.
4 Organisation des Nations unies, Résolution 1325 (2000), 4213ème séance du Conseil de Sécurité, le 31 octobre 2000 [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://www.un.org/womenwatch/ods/S-RES-1325(2000)-F.pdf.
5 Positive Economy Forum, Bineta DIOP [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://positiveeconomy.co/fr/speaker/bineta-diop/.
6 « Pour Johan Galtung, le concept de paix ne renvoie plus seulement à un état de non-guerre, mais à une définition positive (paix positive) qui inclut la recherche de la justice sociale et la lutte contre toute « violence structurelle » qui résulte de la pratique du pouvoir étatique. Il formule le terme de « paix négative » dans les années 60 pour exprimer l’absence de violence physique (de non-guerre) » in Graines de Paix : éveiller les réflexes de paix, article « GALTUNG Johann (1930- ) » [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://www.graines-de-paix.org/fr/outils_de_paix/citations_de_paix/auteurs/galtung_johan.
7 BARDET Céline, We are not weapons of war, Entrée « Accueil » [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://notaweaponofwar.org/?lang=fr_fr.
8 PAGET Christophe, « 45 millions de personnes déplacées dans le monde selon le dernier rapport du Haut-Commissariat pour les Réfugiés », Radio France Internationale, 19 juin 2013 [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://www.rfi.fr/afrique/20130619-45-millions-personnes-deplacees-monde-rapport-hcr-refugies-
9 IMAN Ayesha M., MAMA Amina, SOW Fatou (Dir.), Sexe, genre et société – Engendrer les sciences sociales africaines, Editions Karthala et Codesria, 2004, 461 pages.
10 AFSHAR Haleh, EADE Deborah, Development, Women and War: Feminist Perspective, Oxfam Professional, 2003, 400 pages.
11 CASTILLO DIAZ Pablo, TORDJMANN Simon, Participation des femmes aux négociations de paix : présence et influence, UN Women, août 2012 [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://www.unwomen.org/~/media/Headquarters/Media/Publications/fr/WPSsourcebook-03A-WomenPeaceNegotiations-fr%20pdf.pdf.
12 Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, Femmes, Gouvernance endogène et Préventions des conflits en Afrique de l’Ouest, Document de Travail OCDE, tome 2, 26 -28 avril 2006 [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://www.oecd.org/fr/csao/evenements/38518810.pdf.
13 NGO Working Group on Women, Peace and Security, "Resolution 1325 : Two Years on Report", 31 octobre 2002 [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://womenpeacesecurity.org/media/pdf-NGOWG-TwoYearsOnReport.pdf.
14 JOMMO Berewa in ALAGA Ecomo, “Challenges for Women in Peacebuilding in West Africa”, Policy Brief, Africa Institute of South Africa, n°18, juin 2010.
15 Union africaine, Charte africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, CAB/LEG/67/3, adoptée le 27 juin 1981, et entrée en vigueur le 21 octobre 1986 [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://www.achpr.org/fr/instruments/achpr/.
16 Commission africaine des Droits de l’Homme et des peuples, Déclaration solennelle pour l'Egalité de Genre en Afrique (DSEGA), 8 juillet 2004 [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://www.achpr.org/fr/instruments/declaration-on-gender-equality-in-africa/.
17 Présidente de Femmes Africa Solidarité, une « ONG de femmes qui cherche à développer, à consolider, à promouvoir le leadership des femmes dans la prévention, la gestion, et la résolution de conflit sur le continent. FAS œuvre pour une plus large campagne en faveur de la promotion et de la protection des droits de la femme en Afrique » in Genre et Actions, « Femmes-Africa-Solidarité » [en ligne], consulté le 17 avril 2016 : http://www.genreenaction.net/Femmes-Africa-Solidarite-F-A-S.html.
18 Inter-Parliamentary Union, Les femmes au Parlement, février 2016 [en ligne], page consultée le 17 avril 2016 : http://www.ipu.org/wmn-f/classif.htm.
19 « Solidarity between women can be a powerful force of change, and can influence future development in ways favourable not only to women but also to men » in EL-SAADAWI Nawal, HETTATA Sherif, The Hidden Face of Eve: Women in the Arab World, 2007, 368 pages.
Cet article a été rédigé à partir des réflexions auxquelles a pu donner lieu le DiploLab organisé le 19 février 2016 par l’Institut Open Diplomacy sur le thème du « Rôle des femmes africaines dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale » autour de Céline BARDET. Ce DiploLab, modéré par Moïse OLLIVIER, Journaliste à ELC Media, a en outre bénéficié des contributions audiovisuelles de deux observatrices africaines, Zeina MOULAYE et Solange FEOKETCHANG.
Céline BARDET, juriste et enquêtrice internationale spécialisée dans les crimes de guerre et la criminalité transfrontalière, a débuté sa carrière au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie puis au sein de l’ONU. Depuis 15 ans, elle parcourt le monde, des Balkans au Pakistan en passant par la République démocratique du Congo, le Kenya et le Nigeria. Invitée par TEDxParis, elle a donné deux talk shows : « Quelle réconciliation après la guerre ? » et « Le viol, une arme de guerre ? ». A la suite de son travail en Libye, elle a décidé, en 2014, de créer l’ONG We are NOT Weapons of War qui vise à sensibiliser et à lutter contre l’utilisation du viol comme arme de guerre.
Zeina MOULAYE, après des études en éco-gestion à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, et un master en Ingénierie financière, est devenue à l’âge de 26 ans, la plus jeune cheffe de cabinet de l’histoire institutionnelle du Mali, après sa nomination au Ministère de la Réconciliation nationale.
Solange FEOKETCHANG, après des études de droit privé à l’Université de Douala au Cameroun et l’obtention du barreau, s’est orientée vers la médiation. Assistante à la Cour pénale international et Conseil à la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, elle s’intéresse plus précisément à la question de la contribution des femmes africaines à la paix et à la sécurité.
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