La pandémie de coronavirus est un événement de type « Black Swan » : très rare et avec des impacts majeurs. Des millions de travailleurs sont dans l’impossibilité de travailler. Des secteurs industriels complets sont à l’arrêt. La majorité des pays de l’OCDE va connaître une récession d’au moins 3% malgré l’activisme des gouvernements qui mobilisent tous les moyens budgétaires et monétaires, sans négliger le risque majeur d’instabilité la stabilité financière ni la contraction immédiate et brutale du commerce international.
Les efforts déployés sont aussi exceptionnels que la crise elle-même : la relance budgétaire américaine équivaut à près de 10 % du PIB. Si l’Etat doit prendre ses responsabilités, le choc est si violent que le secteur privé devra nécessairement y apporter son concours.
La situation, totalement inédite, va obliger toutes les organisations à changer rapidement. Nombreux appellent les décideurs économiques à « penser le monde d’après »… si cette métamorphose économique a lieu, elle s’appuiera forcément sur le catalyseur technologique. Décryptage.
La globalisation économique s’est déjà arrêtée
Le cabinet Gartner ancre la réflexion sur cette métamorphose dans un contexte déjà mouvant : « bien avant l'émergence du coronavirus, la confiance des consommateurs envers le gouvernement et les grandes marques s'était érodée ».
La pandémie ne change pas la nature de ces interrogations. Elle agit plutôt comme un moment d’alerte majeur sur notre habitus économique et offre une opportunité nouvelle de repenser les choses en profondeur avant un « retour à l’anormal ». Le confinement généralisé a provoqué une onde de choc qui force à s’interroger : nos modèles économiques sont-ils viables ?
Cet appel à l’introspection est relayé par certains gouvernements qui appellent à « reprendre le contrôle ». Par exemple, tandis que Bruno Le Maire, ministre français de l’économie en appelle au patriotisme agroalimentaire, des initiatives digitales émergent déjà, comme la plateforme Loop-Market.fr qui permet aux agriculteurs et producteurs de vendre directement aux consommateurs.
Aux termes de l’analyse de l’économiste Georges Dib, on imagine volontiers que « le recours à des mesures protectionnistes sous couvert d’autosuffisance et la régionalisation, voire la nationalisation des chaînes d’approvisionnement, jadis pensée comme une tendance de long-terme, s’impose dans l’urgence de la crise et perdurer ». La Chine, décrite comme un véritable hub de la chaîne d’approvisionnement mondiale bien plus que comme l’usine du monde par notre collègue Juliette Lamandé, pourrait chuter de son pied d’estale. Surtout si les relocalisations vers l’Union européenne s’accélèrent comme le prédit notre collègue Anaïs Voy-Gillis.
Le chemin de crête pour sortir par le haut de la crise est une voie digitale...
L’impact immédiat et brutal de la pandémie vient accélérer la transition économique numérique.
Le télétravail généralisé en période de confinement pourrait changer la donne dans la durée, à condition de tenir compte de l’importance des efforts d’adaptation que cela nécessite pour ⅔ de la population.
Plus fondamentalement, la crise met en valeur le modèle économique de l’entreprise sans contact. Pour le cabinet de conseil en stratégie Bain & Cie, la pandémie donne un avantage à ces entreprises qui, s’appuyant sur les nouvelles technologie, ont su rester à l’écoute constante de leurs clients et fournisseurs. Ce modèle économique s’impose de plus en plus, y compris dans des secteurs habitués aux interactions sociales comme la médecine ou l’éducation.
En revanche, la transition numérique sera au bénéfice de la relance économique à condition d’anticiper les risques de « capture » par les grandes multinationales du digital.
… pourvu que les géants respectent les règles du jeu
Malgré la volonté des consommateurs de traiter avec des entreprises locales, le journal The Economist révèle la tendance à la concentration des pouvoirs économiques aux mains des GAFAM. Cela affecte l’état de la concurrence et donc des incitations à l’innovation et des gains de compétitivité. Les géants du numérique risques de se tailler la part du lion.
Il leur revient donc une responsabilité toute particulière à faire émerger des solutions numériques nouvelles au service de la sortie de crise.
A commencer par la responsabilité fiscale, qui est le principal litige qu’ils ont avec le public, très défiant envers les GAFAM. Et pour cause : ces entreprises vont capter des bénéfices extraordinaires avec la digitalisation accélérée de l’économie en sortie de crise alors qu’elles poursuivent selon leur optimisation fiscale à outrance, protégé par leurs positions dominantes sur le marché acquise avec leur stratégie d’ultra-croissance appelée « Blitzcalling ».