Fustigée de toute part pour son inaction, l’UE a pourtant bel et bien pris des mesures contracycliques pour atténuer l’impact économique de la pandémie de coronavirus. Pour 1 000 milliards d’euros environ ; et le Conseil européen, qui rassemble la semaine prochaine les 27 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union, pourrait faire d’autres annonces, plus musclées encore. Le but est simple : anticiper les conséquences économiques car l’onde de choc impactera toutes les ambitions de la nouvelle Commission, y compris en matière de défense.
En temps de crise, les budgets consacrés à la défense sont souvent sacrifiés. Mais attention : si l’effet des coupes budgétaires dans ce secteur est moins visible à court terme, les répercussions capacitaires à long terme sont bien réelles. Les dépenses militaires, en particulier de R&D, devraient subir une contraction malvenue alors que l’Europe fait face à un contexte géopolitique de moins en moins clair et plus en plus instable.
Sur l’industrie de défense, l’impact COVID-19 est à craindre. Et ce d’autant que le secteur est aussi frappé par le trou d’air que connaît le secteur aéronautique avec une baisse de 77% du trafic aérien. Les pertes de revenus sont estimées à 252 milliards de dollars. C’est toute une base industrielle et technologique (les Airbus, BAE, Thales, etc.) qui va s’épuiser. C’est la base stratégique qui s’érode, avec 900 000 emplois à la clé en Europe. Base industrielle, qui, par ailleurs, se trouve au cœur du dispositif en temps de crise (transport de malades et d’équipements, rapatriements, technologies spatiales à l’appui de la gestion de crise). La pandémie met à l’épreuve toute la chaîne de valeur. Elle frappe la production et les transactions desquelles dépend tout un écosystème de PME réputées mondialement.
De son côté, l’administration américaine a d’ores et déjà annoncé un soutien financier massif à hauteur de 17 milliards pour les entreprises « essentielles au maintien de la sécurité nationale ». L’absence d’un soutien similaire en Europe risquerait de mettre en danger la compétitivité des acteurs européens face à des concurrents américains bien accompagnés. A plus long terme, la disparition et le risque d’acquisition par des acteurs étrangers d’infrastructures et de compétences essentielles à l’autonomie stratégique européenne pourrait signer la fin de l’ambition d’une Europe plus capable. Alors que faire ?
Dans un premier temps, les autorités européennes devront apporter un soutien financier suffisant pour préserver l’activité de toute la chaîne de valeur et maintenir en vie les compétences critiques. En particulier, les programmes phares de l’UE doivent être sanctuarisés : le système de combat aérien du futur comme les programmes spatiaux Galileo et Copernicus.
Il y a un risque réel que les priorités budgétaires européennes soient revues dans les prochaines « perspectives financières ». Dans ce contexte, il faut espérer que les négociations protègent le Fonds Européen de Défense (13 milliards d’euro), et les programmes spatiaux (16 milliards d’euro).
Dans un deuxième temps, il faudra s’assurer que les États membres maintiennent leur intérêt pour la coopération européenne alors que celle-ci nécessite souvent des échanges transfrontaliers, directement affectés par la pandémie. Le risque que les priorités soient rebattues au détriment des programmes communautaires aurait des conséquences opérationnelles immédiates. Par exemple, l’absence de budget pour la mobilité militaire (actuellement non-financée) pourrait impacter le transport transfrontalier dans une crise qui, elle, ne connaît pas de frontières.
En ces temps de crise sanitaire, qui prendra rapidement une dimension humanitaire, la nécessité d’entretenir une base industrielle et technologique de défense paraît inaudible, absconce. Mais la mobilisation des personnels et équipements militaires pour répondre à la crise dépend inévitablement des investissements qui leur ont été octroyés par le passé. Par conséquent, sauver une base industrielle relève de cette nécessité impérieuse de garantir nos capacités critiques, indispensables en temps de crise. Face à la tentation du repli, il incombe à l’UE de convaincre pour préserver les programmes communautaires en soulignant leur utilité opérationnelle.