Beaucoup a été écrit sur le financement du plan de relance européen. Cet emprunt de 750 milliards d’euros a en effet été effectué grâce à une méthode révolutionnaire : une garantie commune des Etats membres, permettant à la fois de gagner la confiance des marchés et d’effectuer un brusque saut vers une union économique plus intégrée.
Si cet emprunt en commun est assurément important, il ne doit pas non plus cacher les nouveautés - discrètes, mais tout aussi réelles - apportées par la Facilité pour la reprise et la résilience, l’instrument permettant de distribuer aux 27 Etats membres la plus grande part de l’argent ainsi levé sur les marchés. Ce dernier innove en effet à plus d’un titre, au point qu’on peut légitimement y voir une nouvelle étape dans la gouvernance économique du bloc.
Une transformation en profondeur de l’économie
Qu’est-ce que cette Facilité ? Une enveloppe totale de 672,5 milliards d’euros, vouée à être reversée sous formes d’enveloppes pré-allouées à chacun des Etats membres (40 milliards pour la France). En échange, ces derniers doivent rédiger des « plans de reprise et de résilience » dans lesquels ils s’engagent à faire une série de réformes et d’investissements prédéterminés en échange de ces fonds.
Ces plans et ces mesures ne visent pas seulement à fournir un stimulus économique de court terme ou à remédier aux problèmes immédiats causés par la crise. Leur but est de moderniser l’ensemble des économies des 27 et de les préparer aux chocs futurs, tout en accélérant les transitions vertes et numériques. Ils doivent apporter « une réponse complète et adéquatement équilibrée à la situation économique et sociale » de l’État et « renforcer (leur) potentiel de croissance, de création d’emplois et leur résilience économique, sociale et institutionnelle », précise le règlement européen dédié.
En cela, la Facilité se distingue des autres programmes de financement européens, qui ont une portée plus ciblées - comme le soutien à la production agricole pour la PAC ; ou la cohésion économique pour le Fond européen de développement régional (les programmes d’ajustement macroéconomiques déployés en Grèce, en Irlande et au Portugal constituent un cas à part. Ils étaient mis en place par le Mécanisme européen de stabilité, qui n’est pas une institution de l’UE au sens propre).
Cet objectif n’a pas toujours été bien compris par les Etats eux-mêmes, qui insistaient au printemps 2021 pour accéder aux fonds aussi vite que possible. La Commission leur répondait en retour qu’il n’y avait pas d’urgence - l’important pour ses services étant d’obtenir un instrument permettant de réellement moderniser l’économie européenne.
Un processus sous étroit contrôle
Le second aspect qui caractérise la Facilité pour la reprise et la résilience est le contrôle très strict opéré sur la mise en œuvre des réformes. Loin d’être un « chèque en blanc », les fonds ne sont en effet versés qu’en échange des réformes promises.
Le processus se déroule à l’aide d’un double contrôle en amont et en aval. En amont, les Etats ont dû détailler les réformes prévues via une grosse centaine de mesures concrètes - des « jalons » ou « cibles » que la Commission a validé. Ce sont des étapes précisément chiffrées, et dont la complétion est facilement observable. A titre d’exemple, parmi les 175 jalons de la France, on trouve la validation de 400 000 dossiers éligible à une aide pour la rénovation du logement (MaPrimeRénov’), le fait d’avoir fait des travaux dans 681 écoles, collèges ou lycées, l’engagement de subvention de 30 000 hectares de forêts, ou encore la modernisation de 32 centre de tri (voir la liste complète compilée par le journal en ligne Contexte).
En aval, la Commission vérifie systématiquement que les réformes ont été faites, et débloque en échange les tranches de financement prévues. Le tout se déroule sous le contrôle étroit des 26 autres Etats membres - autrement dit, les Pays-Bas peuvent vérifier que la France mérite l’argent qu’elle demande, et peut même renvoyer le sujet au niveau des 27 chefs d’Etat si elle n’est pas satisfaite.
Le système est novateur, et implique un contrôle bien plus fort que sur les fonds européens plus classiques. Il se rapproche des plans d’ajustements macroéconomiques mis en œuvre dans des pays comme la Grèce - où une liste de réformes était avalisée en amont, puis les tranches déboursées au fur et à mesure que ces dernières étaient mises en œuvre.
La Commission apprécie d’ailleurs tellement ce système qu’elle a décidé de le reprendre pour son fonds social pour le climat, une enveloppe de 72 milliards d’euros sur 2025-2032 qui doit permettre d’atténuer le coût de la transition écologique pour les ménages les plus modestes. Le projet de texte, dévoilé mi-juillet, propose en effet à chaque Etat de décider lui-même comment dépenser sa part du fonds, le tout sous contrôle étroit en amont et en aval de l’exécutif européen et des autres Etats membres.
Une nouvelle étape dans la gouvernance économique : le poids quasi-obligatoires des recommandations spécifiques par pays
Mais l’innovation la plus importante du plan de relance est peut-être aussi la plus discrète. Elle découle des deux points précédents : mettant en place des plans de réforme complets des économies nationales, la Commission a notamment demandé aux 27 de suivre leurs « recommandations spécifiques par pays ». Il s’agit de suggestions de réformes que ses services délivrent chaque année, dans le cadre du « semestre européen », le cycle de coordination des économies nationales. Souvent dénoncées comme un « diktat » de Bruxelles, ces recommandations ne sont en fait pas contraignantes - la France s’empresse en général de les ignorer.
Sauf que le règlement relatif à la Facilité pour la reprise et la résilience précise que les plans nationaux de relance doivent « relever efficacement l'ensemble ou une partie non négligeable des défis recensés dans les recommandations par pays pertinentes ». Autrement dit, ils doivent suivre ces recommandations, au risque de ne pas être validés par la Commission, et donc de ne pas permettre à l’Etat en question de retoucher les fonds. En bref, le plan de relance européen a rendu les recommandations par pays de facto contraignantes, - soit un brusque mais réel pas en avant pour la gouvernance économique européenne.
La phrase exacte du règlement (« l'ensemble ou une partie non négligeable des recommandations par pays ») permet toutefois d’alléger un peu la contrainte. Les Etats peuvent se permettre d’ignorer une ou deux recommandations. C’est d’ailleurs ce que la France a fait pour la réforme des retraites, qui n’était pas dans son plan de relance.
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