Membre du Conseil d’orientation de l’Institut Open Diplomacy, Bertrand Badré a fondé et dirige actuellement le fonds d’investissement « Blue like an orange sustainable capital ». Diplômé de l’ENA, inspecteur des finances, il a - entre autres - été le Conseiller de Jacques Chirac pour le développement, le Directeur financier du Crédit Agricole et de la Société Générale. Sa carrière internationale l’a amené à occuper les fonctions de Directeur général pour les finances de la Banque Mondiale, représentant ainsi l’institution au G20, au G7 et au Conseil de stabilité financière. Amené à travailler avec Gordon Brown au cours de son parcours, il s’est associé à l’ancien Premier ministre britannique pour lancer un appel global pour une action rapide forte et mieux coordonnée de la communauté internationale pour faire face à la crise du coronavirus. Béatrice Leydier, Fellow de l’Institut Open Diplomacy, lui pose trois questions.
Béatrice Leydier | Votre appel commence par évoquer la gestion de la crise de 2008, qui avait donné lieu à une véritable réponse d’urgence coordonnée dans le monde entier. Qu’est-ce qui diffère aujourd’hui ?
L’appel auquel j’ai participé émane principalement d’anciens responsables et dirigeants qui constatent le retard et la timidité de la coopération internationale pour faire face à cette crise.
Par rapport à 2008, nous sommes dans un contexte de multilatéralisme dégradé. L’Union européenne est en questionnement existentiel suite au vote du Brexit et aux montées des nationalismes. Les Etats-Unis de Trump pensent ‘America First’. La Chine n’est plus le pays émergent en pleine croissance demandeur d’une reconnaissance géopolitique globale mais une nouvelle puissance qui s’affirme comme telle.
La tendance est moins à la coopération - en Europe, aux Etats-Unis et partout dans le monde. On le voit aussi avec les réflexes protectionnistes de ces dernières années, qui n’ont pas commencé avec cette crise, mais que celle-ci accélère. Face à la pénurie de matériel médical, on aurait pu créer la Communauté Européenne des Masques et des Ventilateurs (ndlr référence à la CECA) plutôt que de commencer par fermer les frontières à l'exportation.
Le contexte économique était aussi plus favorable en 2008. L’économie mondiale était en plein boom et la faillite de Lehman Brothers a mis les Etats dos au mur pour réagir immédiatement.
En pleine Guerre Froide, Gorbatchev et Reagan s‘étaient promis solidarité en cas d’attaque par des extraterrestres. Le COVID-19 devrait pouvoir réunir les Etats face une menace extérieure qui pourrait être assimilée à ces extraterrestres, mais pour l’instant, ce n’est pas le cas.
Béatrice Leydier | La question des pays en développement domine dans votre appel à agir. On constate aujourd’hui que les politiques de confinement ne sont pas possibles dans des pays où l’économie est souvent informelle, les taux de pauvreté sont élevés et les gouvernements ont peu de capacité fiscale. Le G20 a récemment accepté un soulagement de dettes pour les pays en développement. Est-ce suffisant ?
C’est un début : ce n’est pas une annulation de dettes, mais une suspension du service de la dette sur plusieurs mois. C’est mieux que rien, mais c’est peu. La réponse est rapide et bienvenue. Mais il va falloir faire beaucoup plus.
Pour l’instant, le G20 a mobilisé 14 milliards de dollars, ce qui est bien, mais bien trop peu, alors que certains pays mobilisent jusqu’à 10 % voire plus de leur PNB pour répondre à la crise.
Les pays en développement sont confrontés à plusieurs facteurs qui vont lourdement peser sur leur économie. Ils font face à la crise sanitaire d’abord, dont beaucoup n’ont pas les capacités pour l’affronter, même si elle est pour l’instant plus contenue qu’ailleurs.
D’un point de vue économique, ils vont être frappés de plein fouet par plusieurs facteurs importants : 1) la chute du cours des matières premières dont beaucoup d’économies dépendent ; 2) la récession globale qui aura une conséquence sur les commandes et le commerce ; 3) la chute des transferts d’argent en provenance des migrants ; et 4) la réorganisation globale de la chaîne de valeur dans les prochaines années, avec des pays qui se remettent à produire localement et des changements majeurs dans les relations commerciales.
Béatrice Leydier | Est-ce que les instances internationales qui existent aujourd’hui sont adaptées pour répondre à cette crise dans les pays en développement ?
Nous avons des outils, nous devons les utiliser même s’ils ne sont pas parfaits. La Banque mondiale, le FMI, le G20 sont des institutions qui peuvent agir.
Le soutien des banques nationales et la mobilisation de l’aide publique au développement bilatérale doivent continuer. Dans le contexte où les PNB des pays donateurs baissent, il faudra veiller à l’évolution des niveaux d’aide. Dans le passé l’aide publique au développement a été généralement maintenue au travers des différentes conjonctures économiques, mais avec le contexte politique de montée des nationalismes et populismes, c’est incertain.
Le G20 aujourd’hui devrait permettre de coordonner une réponse financière rapide pour appuyer la réponse sanitaire des pays en développement. La limite aujourd’hui de beaucoup d’institutions c’est qu’elles font des additions nationales plutôt qu’une multiplication internationale.
Il faut davantage de leadership pour que la coopération multilatérale prenne de la valeur. Le leadership international peut porter ses fruits. Face à Ebola la réponse coordonnée de plusieurs institutions et pays a été beaucoup plus forte et efficace qu’aujourd’hui.
Béatrice Leydier | D’un point de vue financier, beaucoup de gens se préoccupent de la durabilité de l’économie en Europe, avec une récession à venir et des niveaux d’endettement qui augmentent. Qu’en pensez-vous ?
Le cas va être différent pour chaque pays. Ne serait-ce qu’entre l’Italie, la France ou l’Allemagne, les situations sont très différentes.
Dans un contexte de taux bas et alors qu’une part importante des dettes nationales est détenue par les banques centrales, les niveaux d’endettement ne sont pas forcément si préoccupants en tous cas à court - moyen terme.
Mais le problème avec l’endettement, c’est que ça marche jusqu’à ce que ça ne marche plus, et des pays comme l’Italie peuvent se retrouver en situation difficile si on ne trouve pas à rassurer sur notre solidarité.
Ce moment fait appel à plus de solidarité européenne. La solidarité ne pourra pas se faire sans certains pays. Je suis Alsacien d’origine et très attaché à l’idée de collaboration et solidarité entre partenaires européens et notamment le couple franco-allemand.
Aujourd’hui la Banque Centrale Européenne, grâce à son indépendance, fait ce que les gouvernements ne peuvent ou ne veulent pas faire directement. Quand Mario Draghi a dit whatever it takes en 2012, ça a vraiment résonné, et pour l’instant c’est le mécanisme principal de solidarité économique. Les gouvernements doivent s’entendre pour une véritable solidarité politique.
Béatrice Leydier | Cette crise est sans précédent, et il y a beaucoup plus à faire qu’il n’y a de choses faites. Un mot d’optimisme pour finir ?
Je suis optimiste par nature. Nous avons tous les outils pour agir : nous avons des institutions multilatérales qui fonctionnent, une forte épargne disponible, et plus de chercheurs qui travaillent en même temps sur un vaccin que jamais dans l’histoire de l’humanité. Toutes les pièces du puzzle sont là. Beaucoup de gens se mettent à construire des puzzle en confinement. Aux dirigeants de construire le puzzle mondial pour sortir de cette crise !