Le 15 janvier 2021, Armin Laschet est élu à la tête de l’Union chrétienne-démocrate - CDU. Le nouveau président de la CDU ne cache pas son ambition d’être candidat à la succession de la chancelière allemande, à quelques mois de son départ. S’il s’affiche comme un fidèle de la chancelière, sa nomination marque la fin de l’ère Merkel. Après plus de quinze ans au pouvoir, Angela Merkel a profondément marqué la politique allemande, mais aussi celle de l’Union européenne - UE.
La présidence allemande du conseil de l’UE, qui s’est achevée fin décembre, a été un exemple éclatant de la place importante du pays au cœur de l’Union. Pour son dernier grand rôle sur la scène internationale, la chancelière a mené à terme les négociations du plan de relance et du budget européen, ainsi qu’un accord de libre échange avec la Chine. Celle qui est surnommée « Mutti » (« maman ») de l’autre côté du Rhin a contribué à affirmer le leadership allemand au sein des institutions européennes et son impact dans le processus décisionnel européen. Le changement de personnalité à la chancellerie en septembre laisse présager une évolution pour l’avenir de l’Allemagne, mais aussi sur celui de l’Union.
L’Allemagne, au cœur des institutions européennes
Dès sa construction, l’Allemagne a joué un rôle majeur au sein des institutions européennes. Membre depuis les années 1950 et pilier des différentes étapes de la construction de l’Union, l’Allemagne est incontestablement le pays leader du fonctionnement européen de par sa prédominance dans les institutions. C’est dans un premier temps le chancelier Adenauer qui initia les différentes étapes de la construction européenne dès 1952 avec la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), puis en 1957 avec la Communauté Économique Européenne (CEE). Le couple franco-allemand a joué un rôle majeur dans cette construction européenne : avec le tandem Adenauer-De Gaulle, le projet a évolué de la pacification à un véritable rapprochement économique stratégique entre les pays.
La place fondamentale de l’Allemagne peut d’abord être observée au sein du Conseil européen, institution qui donne les grandes lignes de la politique générale de l’Union, où se réunissent les 27 chefs d’Etat et de gouvernement. Comme nos voisins d’outre-Rhin occupent une place majeure tant en termes de puissance que de démographie ou de participation au budget européen (quasiment 20 % de celui-ci), ils peuvent largement influencer les orientations stratégiques du Conseil. L’élargissement de l’Union vers les pays de l’Est de l’Europe, par exemple, a été un choix majoritairement porté par l’Allemagne sous Gerhard Schröder.
Cette prédominance allemande s’illustre également au Parlement et à la Commission. Au Parlement européen tout d’abord 96 sièges sont occupés par des députés d’outre-Rhin, trois commissions sont présidées par l’Allemagne et huit coordinateurs de commissions du parti majoritaire (PPE) sont allemands (contre un français). La Commission, organe central européen est présidée par Ursula Von Der Leyen ; et trois autres institutions clés encadrant l’Union européenne sont présidés par des allemands : la Cour des comptes européenne, la Banque européenne d’investissement, et le mécanisme européen de stabilité (qui avait été créé en réaction à la crise des dettes souveraines en 2012).
Lors de la signature des traités déjà, l’Allemagne a fortement mis en avant son rôle moteur dans les prises de décisions européennes. En 1992, lors de la signature du traité de Maastricht, nos voisins ont accepté de se séparer de leur puissant Deutsche Mark pour adopter une monnaie unique, l’Euro, au côté de 11 autres pays. Ainsi a-t-elle pu négocier d’importantes contreparties : des garanties monétaires et budgétaires particulièrement strictes, allant des missions et statuts de la future Banque Centrale Européenne à la mise en place de critères de convergence (3 % de déficit public, 60 % de dette publique maximum, limite du taux d’inflation, interdiction de dévaluer la monnaie pour maintenir un taux de change fort, etc.) dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance.
L’Allemagne, au coeur de la politique européenne
L’Allemagne a donc joué un rôle majeur dans le façonnement des institutions européennes depuis leur création. Le leadership de nos voisins s’est également illustré au niveau de la politique internationale de l’UE et dans des domaines tels que la politique économique et environnementale.
Sur le plan économique, l’Allemagne se place en décideur incontournable de l’intégration économique européenne. Le pays a d’abord longtemps freiné le soutien budgétaire entre les pays de la Zone, se plaçant comme leader des pays du Nord réputés « frugaux » et en faveur de plans d’austérité. En septembre 2012, elle accepte malgré tout de soutenir les pays les plus vulnérables de la Zone euro (Grèce, Italie) face à la crise de la dette souveraine. A cette occasion, elle ratifie et préside le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) dont le droit de véto lui est accordé ainsi qu’à la France uniquement. L’objectif est de créer une institution financière dont la mission est de lever des fonds destinés à soutenir des Etats qui se retrouvent en situation d’endettement excessif, à cause de taux d’intérêt d’emprunt trop élevés. Ce mécanisme a dû être accompagné de l’action de la BCE qui, dès 2015, met en place des politiques non conventionnelles (Quantitative Easing).
Ce n’est qu’en 2020, à la suite de la crise du Covid-19 que l’Allemagne accepte finalement la mise en place de mesures symboliques fortes afin d’affirmer son soutien aux pays les plus touchés et de relancer le projet européen : mutualisation des dettes des pays de la Zone Euro et élaboration du plan de relance européen Next Generation EU de 750 milliards d’euros. Ce revirement, malgré une opposition des « quatre frugaux » (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède), a permis la mise en place d’une politique économique européenne pour laquelle l’Allemagne avait jusque-là mis son véto. La décision de l’Allemagne et l'impulsion du couple franco-allemand a été un propulseur d’une politique économique européenne forte en symbole et en ambition.
Si l’Allemagne est souvent vue comme la gardienne de la politique économique européenne, son influence va bien au-delà. La première puissance économique européenne s’est montrée pionnière en matière de protection de l’environnement depuis les années 1980. C’est sous la présidence allemande du Conseil de l’UE en 2007 qu’a été adopté le Paquet sur le climat et l’énergie. Celui-ci affirmait l’ambition de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport aux niveaux de 1990 et de faire passer à 20 % la part des énergies renouvelables d’ici 2020. Treize ans après, c’est à nouveau sous présidence allemande qu’est adopté l’objectif de réduction des gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030, s'alignant ainsi avec les ambitions de l’Accord de Paris sur le climat. Pourtant premier pollueur de l’Union européenne, l’Allemagne souhaite pleinement s’engager pour le climat et se placer en précurseur de la décarbonisation de l’industrie ; en ce sens, Berlin a annoncé un plan d’investissement de 6 milliards d’euros pour soutenir l’hydrogène vert. Nos voisins se sont enfin illustrés l’année passée par leur rôle moteur dans les diverses négociations du Green Deal, porté par Ursula von der Leyen.
Mais la présidence allemande du Conseil a aussi été l’occasion de réaffirmer son poids sur la scène internationale : accord in extremis avec le Royaume-Uni évitant un no-deal, accord de principe sur l’accord global sur les investissement avec la Chine permettant à l’UE de se repositionner sur la scène internationale entre Washington et Pékin. Sur d’autres sujets de conflit, l’Allemagne s’est positionnée comme médiatrice, comme lors du litige qui oppose la Grèce à la Turquie sur la recherche d’hydrocarbures en Méditerranée orientale. Alors que la France privilégie une approche plus directe en envoyant des rafales en Grèce, l’Allemagne a fait le choix de la diplomatie, en envoyant son ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, en Grèce puis en Turquie. La manœuvre diplomatique visait à renouer le dialogue entre les deux pays et permettre une désescalade des tensions.
Au fil des années, l’Allemagne d’Angela Merkel s’est imposée, un peu malgré elle, comme une puissance non plus seulement en matière d’économie mais sur tous les domaines politiques couverts par l’Union.
Quel leadership allemand post-Merkel ?
Cependant, l’ère Merkel touche bientôt à sa fin. Celui ou celle qui prendra sa succession en septembre prochain pourrait bien faire évoluer la position de notre voisin sur les scènes européenne et mondiale.
Avec le nouveau président de la CDU, Armin Laschet, le choix se porte sur la continuité. Ce fidèle d’Angela Merkel conserve une vision modérée et pragmatique qui peut plaire à l’électorat centriste. Cependant, le président du parti n’est pas désigné d’office comme candidat pour la chancellerie. L’actuel ministre-président de Bavière, Markus Söder lui fait de l’ombre. Plus populaire que son homologue de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, il s’est illustré par sa gestion de la crise de la Covid-19. Comme chef de la CSU - le parti frère bavarois de la CDU - sa candidature serait plus marquée à droite avec un retour aux valeurs traditionnelles de l’Union Chrétienne-Démocrate. Les deux candidats potentiels se sont donnés jusqu’au 23 mai 2021 pour s’accorder sur celui qui représentera officiellement la droite.
La définition du candidat au poste de chancelier pour la CDU/CSU est cruciale pour esquisser la future coalition à la tête du gouvernement pour les quatre prochaines années. Les sondages et résultats des dernières élections régionales pourraient suggérer une future coalition Schwarz-Grün (Vert-Noir), c’est-à-dire entre le parti des Verts (die Grünen) et la CDU/CSU. Si Armin Laschet s’est dit ouvert à une telle coalition, Markus Söder, moins favorable à une transition écologique rapide de l’industrie allemande, montre plus de réserves. Tous les scénarios restent encore ouverts quant aux coalitions, bien que celui d’une alliance avec l’Aternative für Deutschland (AfD) à l’extrême droite semble s’éloigner. Le parti nationaliste et eurosceptique avait pris son essor conjointement à la vague d’immigration de 2015, mais depuis, sa position négationniste et anti-masque face à la crise du Covid-19 n’a fait que le décrédibiliser. Bien ancré dans les anciens Länder de RDA, le parti voit, depuis des mois, sa base électorale baisser.
C’est ce nouveau paysage politique qui influencera la position de l’Allemagne sur la scène européenne et internationale. La coalition noir-vert serait celle qui apporterait une plus grande continuité avec l’ère Merkel. Avec un fervent défenseur de l’Union européenne tel qu’Armin Laschet, député européen de 1999 à 2005, l’Allemagne continuerait d’occuper une place centrale dans la politique européenne. Les Verts pourraient également se rapprocher de la volonté d’autonomie stratégique, défendue par le Président Macron, que les Allemands réfutent traditionnellement. Pourtant si certains parmi les Verts s’expriment en faveur d’une européanisation de la défense, le sujet reste encore tabou dans un pays attaché à un atlantisme plus classique.
Le départ de « Mutti » pourrait également bouleverser les équilibres au sein de l’Union. Le président français pourrait profiter de l'arrivée d’un ou une chancelier(ère) moins influent(e) sur la scène internationale pour se placer comme le dirigeant porteur du projet d’une Europe puissance. Mais, le leadership français pourrait être vu d’un mauvais œil par les autres pays européens. En février 2021, Mario Draghi a fait une arrivée remarquée dans le paysage politique européen en prenant la tête du Conseil des ministres d’Italie. Profondément pro-européen, l’ancien dirigeant de la BCE apparaît ainsi comme un contrepoids dans une Europe post-Merkel.
Même s’ils forment un couple inégal, la puissance allemande doit toujours être analysée en regard de son partenaire français. Depuis la création de l’Union, le couple franco-allemand a en grande partie porté et dirigé le projet européen. Les échéances électorales à venir en Allemagne, puis en France, plongent l’Europe dans une certaine incertitude quant leadership des deux pays vis-à-vis du reste de l’Union.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que ses auteurs. Arno Fontaine, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, s'intéresse aux politiques économiques européennes et aux transformations structurelles. Noémie Galland-Beaune, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille sur le couple franco-allemand et la politique européenne de l’Allemagne.