En l’an 2000, l’ONU adopte 8 ambitieux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) couvrant des enjeux humanitaires comme réduire l’extrême pauvreté, assurer l’accès à l’éducation, ou encore lutter contre plusieurs épidémies dont le Sida. Les engagements étant arrivés à expiration en 20151, ils ont été remplacés par 17 Objectifs du Développement durable (ODD)2, adoptés en septembre 2015 par 193 pays lors de l’Assemblée générale des Nations unies, et qui sont à réaliser d’ici les quinze prochaines années au titre de l’Agenda 2030 pour le développement durable.
L’approche promue dans le cadre des ODD amorce un changement de paradigme dans la conception du développement.
Premier changement, l’indivisibilité des ODD qui relient les différentes dimensions du développement. Neven Mimica, Commissaire européen à la Coopération internationale et au Développement, explique : « [La structure] des OMD était plus ou moins simple : plus de croissance, moins de pauvreté, peu importe ce que la croissance allait changer en termes de tissu social ou de protection environnementale. Maintenant [avec les ODD] toutes ces [dimensions] sont liées », lors de la signature du Consensus européen sur le développement3 le 7 juin dernier en marge des Journées européennes du développement (JED) à Bruxelles.
Second grand changement : l’universalité des ODD, qui s’appliquent à tous les Etats et non plus seulement aux plus pauvres d’entre eux. Erna Solberg, Première ministre de la Norvège et coprésidente du groupe des Défenseurs du Développement durable4, à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des JED le 7 juin, détaille : « Les discussions que nous avons eues jusqu’alors ont séparé le monde entre ceux qui étaient développés et ceux qui ne l’étaient pas vraiment. Maintenant, peut-être à différents niveaux, mais nous sommes tous des pays en voie de développement. ».
Quels sont les défis qu’une telle conception du développement entraîne ? Passons en revue trois défis parmi les plus importants.
DÉFI N°1 : FAIRE QUE CHACUN SE SENTE CONCERNÉ
S’approprier l’Agenda à l’échelle individuelle
L'Agenda 2030 ne pourra être « l'Agenda du peuple », comme beaucoup aiment à l’appeler, que s'il répond aux besoins de tous et prend en compte le principe fondamental sur lequel il a été construit : « Ne laisser personne sur le bord du chemin ».
Les 17 ODD adoptés en septembre 2015 par 193 pays lors de l’Assemblée générale des Nations unies,
à réaliser d’ici les quinze prochaines années dans le cadre de l’Agenda 2030 pour le développement © ONU.
« Rien de tout ceci n’est réaliste sans l’inclusion [...] Si cet [agenda] va réellement changer notre monde[...], alors nous devons faire un effort pour nous assurer que [tous] soient architectes du projet. Que les projets ne soient pas construits à Bruxelles ou à New York ou à Londres et parachutés dans des pays ou des villes, mais plutôt que ces villes et individus puissent construire les projets et dire quelles sont leurs priorités », précise Alaa Murabit, fondatrice de l'association « Les voix des femmes libyennes » et membre du groupe des Défenseurs du Développement durable.
Leymah Gbowee, prix Nobel de la paix en 2011 et également membre de ce groupe, prend l'exemple de son village natal : un bâtiment a un jour été construit par une entreprise, mais dès la première émeute dans le village, ce bâtiment a été détruit. Les jeunes n’avaient jamais été associés au projet et ne voyaient pas ce que ce dernier pouvait leur apporter. Le parallèle avec l’Agenda 2030 est immédiat : « Pour que l’agenda puisse être une réussite, les personnes doivent se l’approprier et projeter leur vie dedans ». « Si on commence à parler de développement durable [...] eh bien [par exemple] ma grand-mère ne comprendrait pas », alors que si on explique que « Ce dont nous parlons [avec cet agenda] c'est [par exemple] de s'assurer que chaque enfant de ce village ait de quoi manger chaque jour », alors là les personnes se sentiront concernées.
Ancrer les ODD au niveau des Etats
C'est cette approche bottom-up qu'a mise en place Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l'association des femmes et peuples indigènes du Tchad. Elle raconte être allée au sein des communautés Peule Mbororo pour déterminer leurs besoins et les faire remonter au niveau national afin de dessiner un plan de développement national cohérent. Tout un travail de redéfinition des indicateurs des ODD, par nature globaux, pour les adapter au contexte des populations indigènes des différents pays a également été réalisé par l'Institut danois pour les Droits de l'Homme5.
Ce travail d'adaptation des cibles des ODD au contexte national propre à chaque pays doit aussi être effectué par les pays les plus développés comme la France. Par exemple pour évaluer l’amélioration de la santé des Français, des indicateurs de suivi de l’obésité seront plus pertinents que des indicateurs de suivi de la sous-nutrition. L’Institut du Développement durable et des Relations internationales - IDDRI a souhaité apporter de manière indépendante sa contribution : avec une dizaine d’experts, ils ont retenu 29 des 169 cibles des ODD, et les indicateurs adaptés. Si sur la question de l’environnement, les objectifs de la France sont souvent plus ambitieux que ceux de l’Agenda - en matière par exemple de réduction des pesticides, de développement des énergies renouvelables ou de réduction des émissions de CO26 - les ODD représentent aussi de nouveaux défis avec des engagements chiffrés sur la réduction des inégalités de revenus, ou encore sur la réduction des inégalités hommes-femmes dans la vie économique7. Si l’on s’en tient à la tendance actuelle, la France court le risque de ne pas atteindre plus de la moitié de ces 29 cibles d’ici 2030 (cf. le graphique ci-dessous). Les Français aussi doivent donc pouvoir se sentir concernés, à leur niveau, par l’Agenda 2030, car tout n’est pas acquis en matière de développement, loin de là.
Evaluation des tendances pour atteindre les ODD d’ici 2030 par rapport à l’objectif quantifié le plus ambitieux (ONU / France) © HEGE Elisabeth, VAILLE Julie, DEMAILLY Damien et BRIMONT Laura, « La France passera-t-elle le test des Objectifs de Développement durable ? », IDDRI, janvier 2017.
1 GALATSIDAS Achilleas, SHEEHY Finbarr, « What have the millennium development goals achieved ? », The Guardian, 6 juillet 2015 [en ligne], https://www.theguardian.com/global-development/datablog/2015/jul/06/what-millennium-development-goals-achieved-mdgs - consulté le 10 juin 2017.
2 Les 17 Objectifs du Développement durable se déclinent en 169 cibles au total. 43 d’entre elles sont des cibles de moyens (comme les réformes du commerce international), le reste sont des cibles de résultats à obtenir. Ces cibles de résultats sont très souvent quantifiées, quelquefois non (par exemple « assurer la viabilité des systèmes de production alimentaire ») et plus rarement de nature « aspirationnelle » (comme atteindre le plein-emploi). A un troisième niveau, chaque cible est dotée d’indicateurs de suivi qui sont en cours de développement.
3 Ce consensus doit définir un cadre d’action commun en matière d’aide au développement afin de permettre d’atteindre les ODD. « The new European Consensus on Development - EU and memberstates sign joint strategy to eradicate poverty », Conseil européen, 7 juin 2017 [en ligne], http://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2017/06/07-joint-strategy-european-consensus-development/ - consulté le 10 juin 2017.
4 Le groupe des Défenseurs du Développement durable (« Sustainable Development Advocates ») réunit 17 personnalités éminentes des sphères politique, économique et culturelle comme le président du Ghana Nana Akufo-Addo, l’homme d’affaires chinois Jack Ma ou encore la chanteuse colombienne Shakira. Ils ont été mandatés par l’ONU pour soutenir le Secrétaire général, pour contribuer à mieux faire connaître les ODD et favoriser l’engagement des différents acteurs dans la mise en œuvre de ces objectifs.
5 Le « Navigateur indigène » que l’on peut trouver en ligne : http://indigenousnavigator.org/index.php/en/, adapte les indicateurs des ODD pour les cibles pertinentes dans le contexte des populations indigènes. Par exemple, le droit à la prospérité économique n’y est pas un droit à un revenu décent mais un droit à la possession de la terre.
6 Cf. Tableau 6 : comparaison du niveau d’ambition entre les ODD et les objectifs français p. 43, in HEGE Elisabeth, VAILLE Julie, DEMAILLY Damien et BRIMONT Laura, « La France passera-t-elle le test des Objectifs de Développement durable ? », IDDRI, janvier 2017 [en ligne] http://www.iddri.org/Publications/Collections/Analyses/ST0217_rapport%20ODD_EH%20et%20al.pdf
7 En France : « en 1998, la proportion de femmes occupant des postes de direction (cadres moyens et supérieurs) était de 30,9 %. Sur les treize années suivantes, cette proportion s’est nettement améliorée : elle a atteint 39,1 % en 2011. Mais, depuis 2011, ce taux est à la baisse pour atteindre - en trois ans seulement - le niveau de 1998. Finalement, la tendance sur les quinze dernières années est insuffisante pour atteindre l’objectif de parité », Ibid.
Légende de la photo en bandeau : de gauche à droite, Leymah Gbowee, prix Nobel de la paix 2011, Alaa Murabit fondatrice de l'association « Les voix des femmes libyennes », et Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix 2006. Panel avec des membres du groupe des Défenseurs du Développement durable le 7 juin 2017, JED © Union européenne.
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