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Polycrise | L'étude

Face à la crise écologique, seulement deux options s’offrent aux Européens : reprendre les négociations complexes que nécessite la transition ou être terrassés par le choc climatique

Vue d'ensemble de la partie « Comprendre la crise écologique » de l'étude « Comprendre la polycrise »

· Polycrise,Crise écologique
Section image

Les signaux de crise écologique se multiplient partout dans le monde, avec leur cortège d’incendies, de records de chaleur continuellement battus, de pollutions jusque dans les habitats les plus reculés de la planète et de disparitions d’espèces vivantes. Au moment où nous nous apprêtons à fêter le 10e anniversaire de l’Accord de Paris qui avait fait naître un espoir quant à notre capacité à juguler l’accélération du réchauffement climatique, l’heure est au désenchantement, au renoncement, voire même parfois au déni pur et simple.

En effet, nous observons partout les traces de cet aveuglement délétère sur les causes des multiples dérèglements du climat et de la destruction de la biodiversité. De nombreuses forces de résistance se mobilisent, tant du côté des bénéficiaires du système économique actuel que de celui des courants populistes qui surfent sur la vague des mécontentements divers que suscite la polycrise. A mesure que la nécessité d’une transformation profonde de nos modèles socio-économiques et de nos modes de vie apparaît évidente et nécessaire, la conflictualité s'accroît, faute d’avoir encore pu faire émerger des compromis sociaux.

Les discours climato-sceptiques que l’on pensait enfouis sous l’avalanche de preuves rassemblées depuis plus de 30 ans par la communauté scientifique mondiale parviennent à se faire entendre à nouveau jusque dans les médias mainstream. La réélection de Donald Trump aux États-Unis a donné un nouveau souffle politique et médiatique aux défenseurs d’une société thermo-industrielle faisant totalement l’impasse sur la transition énergétique. Désormais, une large partie des dirigeants conservateurs occidentaux se sentent investis de la mission d’inverser la dynamique amorcée il y a 10 ans à la COP 21, au détriment immédiat des principales avancées obtenues depuis lors, et, in fine, de la population, à commencer par les plus vulnérables.

Ainsi, l’Europe qui avait entamé une construction législative sans précédent historique ni comparable géographique pour accompagner la transition écologique au plan économique et assurer sa propre résilience, revient désormais sur ces acquis fragiles. Les directives européennes dites « omnibus » entament en effet un processus de recul important sur quatre textes essentiels : la directive sur le reporting extra-financier des entreprises, dite CSRD ; le règlement sur la taxonomie verte ; la directive sur devoir de vigilance européen, dite CS3D ; et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Au prétexte court de la simplification, et sans tenir compte de l’insécurité juridique que représente de telles hésitations pour l’économie, il s’agit en réalité d’instaurer la dérogation comme principe conducteur de l’ensemble de la réglementation. Le problème est simple : on ne déroge pas avec la réalité climatique, pas plus qu’avec la réalité géopolitique. Elle est là, malgré tous nos petits arrangements.

La France n’est pas épargnée par cette vague climato-sceptique aussi profonde que dangereuse, même si ses thuriféraires n’adoptent pas les mêmes formes argumentatives qu’outre-atlantique, « pays des Lumières » oblige. Ces postures hostiles aux intérêts de la planète et de ses peuples avancent sous le masque d’une prétendue défense de la compétitivité, sans jamais tenir compte du coût économique des chocs climatiques ou de la maladaptation. In fine, c’est bien le business as usual qui est défendu et non la compétitivité, dans un court-termisme qui ne protège ni les populations, ni les écosystèmes. Cette posture met en péril l’avenir des territoires, le bien-être de chaque génération, le présent des plus âgés comme le futur des plus jeunes, et la capacité des entreprises à faire face à la perte massive de productivité qui s’annonce.

Plus inquiétant encore est la perméabilité des médias et d’une partie de la classe politique aux arguments climato-sceptiques. Au pays de Pasteur et de Poincaré, de Marie Curie et de Georges Charpak, de l’Encyclopédie de D’Alembert et Diderot, la difficulté que nous éprouvons désormais à débattre autour de politiques publiques à partir de constats scientifiques partagés devient inquiétante. L’exemple récent du débat public autour de la loi “visant à lever les contraintes liées à l’exercice du métier d’agriculteur” dite loi Duplomb, constitue un cas d’école. Autant il est nécessaire de débattre sur les modes et moyens de protection d’une agriculture française en grande détresse, autant le faire en recourant à la dénégation d’un consensus scientifique sur la dangerosité des néoniconinoïdes pose un problème de fond sur la reconnaissance de la parole scientifique.

Le débat médiatique sur les effets de l’acétamipride constitue un signal inquiétant de la capacité de notre pays à la délibération informée : entre mauvaise foi de part et d’autres, désinformation évidente et fake news, la parole scientifique semble avoir perdu toute valeur de référence normative. Au mieux caricaturée, au pire sacrifiée, la parole scientifique apparaît désormais contestée et niée alors qu’elle constitue un pilier majeur de la démocratie libérale.

Les enjeux de transformation écologique constituent un nexus dans lequel se débat une logique de croissance continue qui cherche, coûte que coûte, à s’affranchir de la réalité physique des limites planétaires, et donc de la science qui lui en rappelle l’existence. Nos économies sont ainsi piégées dans un combat contre-productif contre les penseurs et artisans d’une transformation radicale et rapide de la société d’hyper-consommation et de l’économie ultra-financiarisée. Plus que jamais, la contradiction entre nos systèmes politiques et socio-économiques actuels et les capacités de la Terre (comme de ses habitants) à en supporter les coûts / les coups crée le terreau de conflits de toute nature.

Pour sortir de nos contradictions infécondes, réaligner les valeurs et la nature

Face à l’accélération des dérèglements du climat, à la montée des conflits d’usage, à la fatigue citoyenne et à l’épuisement des référentiels classiques de régulation, l’enjeu n’est plus seulement d’inventer des solutions. Comme le souligne Pierre Rosanvallon, il convient de penser les “institutions invisibles” qui accompagneront la transformation nécessaire de nos sociétés résilientes. Pour passer d’un modèle de croissance à un modèle régénératif (modèle économique qui repose sur la capacité d’une activité à régénérer les milieux dans lesquels il puise ses ressources), il faudra s’appuyer sur de nombreux échanges locaux, des débats citoyens et une confiance retrouvée dans nos institutions.

Il s’agit désormais de réorienter le cours de l’Histoire : tous les flux physiques et financiers devraient diriger l’investissement au service du temps long au lieu de sacrifier l’épargne pour des rendements courts. Il faut dès lors mettre en cohérence les enjeux et les actions, et lutter contre ces dissonances cognitives qui fragilisent le corps politique et meurtrissent le corps social.

En effet, la concorde sur laquelle s’est construit le modèle de développement thermo-industriel depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale a conduit à une interdépendance extrême des économies du globe sans instaurer pour autant définitivement une gouvernance mondiale des biens publics mondiaux. C’est une société de la vitesse, permise par l’exploitation intensive des énergies fossiles, qui accélère vers le mur des limites planétaires. Ce faisant, c’est l’ensemble des infrastructures matérielles et des valeurs qui se sont progressivement sédimentées pour accompagner le développement sans précédent, bien que foncièrement inégal, des économies du globe. La structuration des rapports de pouvoir entre pays riches / pays en voie de développement, et au sein des pays eux-mêmes, entre détenteurs du capital et travailleurs, s’est ainsi progressivement dessinée, en fonction des cultures politiques. Remettre en cause cet équilibre qui s’est cristallisé depuis 80 ans implique de bouleverser l’ensemble des échelles de valeur et des rapports de pouvoir construits au profit d’un équilibre international sous domination américaine et pourvoyeur de paix en Europe. Ce diagnostic porté par Pierre Charbonnier explique les multiples contradictions auxquelles donnent lieu les remises en cause du modèle actuel. In fine, ce sont bien les structures de pouvoir, qu'elles soient politiques, économiques, sociales et symboliques qui sont interrogées à l’aune de la menace environnementale existentielle. C’est aussi à cette aune qu’il faut mesurer l’effort colossal à accomplir de manière collective. Il ne s’agit de rien de moins que d’inventer une nouvelle concorde internationale, fondée sur de nouveaux équilibres socio-économiques, alors même que les détenteurs de pouvoirs (entendus comme privilèges, zones de protection ou encore levier de puissance symbolique) ont - par nature - plus un instinct de conservation que d’adaptation face à la nécessité d’une nouvelle hiérarchie des normes.

Pour repenser les infrastructures matérielles et immatérielles de la modernité

La nécessité de repenser les infrastructures matérielles et immatérielles de la modernité passe donc par la résolution rapide de contradictions multiples dans la phase de transformation que nous vivons au pas de course puisque la crise climatique va en s’accélérant.

Pour n’en citer que quelques unes du quotidien : maintenir voire développer la création de richesse par les entreprises et décroître massivement les émissions de gaz à effet de serre, déployer les mobilités douces sans augmenter l’emprise au sol des infrastructures terrestres, éviter l’étalement urbain et tout en valorisant la propriété individuelle, promouvoir les voyages lointains sans pour autant prendre l’avion, limiter l’alimentation carnée ultra-émissive tout en valorisant les éleveurs, consommer toujours moins d’énergie tout en numérisant massivement toutes les dimensions de la vie quotidienne etc. La liste est sans fin. L’anthropocène est pris dans le filet de ces injonctions contradictoires si bien que les dissonances cognitives qui marquent la crise écologique n’ont d’équivalent que la sidération stratégique qui structure la crise géopolitique.

De son côté, l’industrie française peine à faire émerger une stratégie claire face aux pressions contradictoires du coût de l’énergie, de la compétition internationale, des incertitudes technologiques, de la course aux rendements immédiats, et des attentes sociales. Renoncer le plus largement possible aux hydrocarbures s’impose comme une triple nécessité pour répondre à nos objectifs climatiques, reconstituer notre souveraineté énergétique et dépasser le choc de compétitivité que nous subissons depuis l’agression russe de l’Ukraine. Mais nécessité ne fait pas loi à l’heure du backlash : au contraire, on défait la loi. Les investissements sont ralentis et réduits, écrasés par l’absence de vision stratégique, d’ambition écologique et de clairvoyance économique. L’absence de signaux prix efficaces pour réduire les risques économiques de l’engagement des entreprises dans la transformation doit encore être plus fortement soutenu par la commande publique, la fiscalité, et une profonde transformation des usages. L’indépendance énergétique devient un impératif géopolitique, mais la mutation des infrastructures (chaleur, mobilité, réseaux) reste trop lente. En effet, le gaz, redevenu peu cher, rend non-compétitifs les réseaux de chaleur qui pâtissent, par ailleurs, d’un manque d’information et de formation dans la société. Faute d’un cap clair et d’un pilotage partagé, les oscillations économiques et politiques se traduisent par une stratégie de transformation qui s’enferre dans le piège de l’inaction. Résultat, la puissance publique, les forces économiques et les individus se renvoient systématiquement la responsabilité jusqu’à ce que l’ensemble du corps politique perde le sens de l’action climatique.

Pour sortir de ces contradictions, une des options privilégiées par les pays démocratiques, dont la France, consiste à planifier la transformation écologique : c’est la mission qui a été confiée au Secrétariat général à la planification écologique (SPGE). Celui-ci s’est livré à un exercice remarquable autour de 5 piliers (climat, biodiversité, santé, ressources et adaptation). Les travaux de la planification écologique se structurent ensuite autour de 6 thématiques déclinées en 22 chantiers d’action, qui ont fait l’objet d’un état des lieux approfondi permettant notamment de rehausser les objectifs, prioriser les actions à mettre en œuvre et mobiliser les acteurs concernés : mieux se déplacer, mieux se loger, mieux préserver et valoriser nos écosystèmes, mieux produire, mieux se nourrir, et mieux consommer. Ainsi le SGPE permet-il de faire converger l’ensemble des politiques publiques et de leurs acteurs autour de quelques leviers transversaux, à l’impact critique pour mieux atteindre les objectifs – par exemple, inciter au covoiturage et développer les mobilités douces, favoriser les transports publics régionaux, atteindre l’objectif de zéro artificialisation net, développer les aires protégées, lutter contre les espèces envahissantes. La performance de cette administration d’état-major placée auprès du Premier ministre pâtit néanmoins d’un réel manque d’ancrage institutionnel. Son influence en dépend. Ainsi, certains textes essentiels n’ont pas vu le jour comme le projet de Loi de programmation énergie-climat, attendue depuis juillet 2023. Il devait définir les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de sobriété et d'efficacité énergétique de la France et donner lieu à la publication de deux documents phares : la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE 3) et la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC 3) pour la période 2024-2033. C'était, en outre, une obligation légale inscrite dans le code de l'énergie, issue de la loi énergie-climat de 2019, qui imposait un débat au Parlement et une révision de la stratégie tous les cinq ans. Il en résulte une incohérence entre les normes françaises et les normes européennes qui fragilise l’ensemble de l’édifice juridique de la transition écologique, comme a pu le noter le Haut Conseil pour le Climat.

Enfin, la planification reste largement théorique tant que l’appropriation territoriale, les indicateurs et les responsabilités ne sont pas stabilisés. Prisonniers d’une approche descendante et d’une institutionnalisation inachevée au sein des structures pérennes de l’administration, son influence multi-scalaire, en Europe comme en Régions, est restée limitée. Résoudre ces contradictions nécessitera plus qu’un décret de création, une capacité démontrée à construire des consensus politiques à chaque niveau géographique et économique de conflictualité : localement pour adapter les territoires aux nouveaux enjeux, nationalement pour arbitrer la nouvelle répartition des pouvoirs en prenant en compte le temps long, internationalement pour préserver la souveraineté dans un contexte de tensions extrêmes.

Lutter contre le poids culturel du « décisionnisme » à la française

La culture politique française reste fortement marquée par une approche décisionniste du politique : celle-ci, héritière de la pensée de Max Weber et de Carl Schmitt dans son versant le plus sombre, accorde la légitimité de la décision à celui qui incarne le pouvoir. Encadré par un corpus constitutionnel, il confère à l’autorité en place une légitimité d’action incarnée dans une autorité, voire un homme. La montée des périls (avérés ou socialement construits à dessein) justifie ainsi des pouvoirs d’exception ou d’urgence et une centralisation du pouvoir qui peut constituer, selon les époques, une véritable pathologie française.

Si planification écologique s'inscrit parfaitement dans cette dynamique de maîtrise centralisée du pilotage de la transformation écologique des sociétés, les moyens à mettre en œuvre doivent être eux, décentralisés, contextuels et largement dépendants d’habitus et de cultures locales. À la puissance heuristique de la science pour comprendre et modéliser les phénomènes à une échelle macroscopique, doit répondre une prospective locale qui, s'appuyant sur le sens de la carte et du territoire, facilite l’appropriation du sujet par tous les acteurs et trace de nouveaux équilibres et compromis normatifs ancrés dans la réalité socio-économique.

Cet exercice de « descente normative » ne correspond qu’en partie à l’exercice de décentralisation dans lequel nos institutions tentent péniblement de trouver un chemin. L’articulation nécessaire entre planification macroscopique et transformation mésoscopique - à l’échelle du pays et du paysage - devrait s’appuyer sur une logique similaire à celle des phénomènes naturels afin d’éviter les incohérences. D’une part définir les grandes tendances globales sur l’espace européen et national avec une gestion planifiée des ressources et des objectifs clairs faisant l’objet d’un consensus pour une juste répartition des efforts, la préservation des ressources essentielles et la protection des plus vulnérables ; d’autre part une bonne compréhension et anticipation de phénomènes spécifiques et de besoins situés localement et socialement. Il s’agit donc moins de transfert de compétences que d’articulation fine et cohérente de tous les niveaux de la transition. Cela suppose certes un sens de l’initiative et une réelle agilité mais surtout de la confiance. Or cette précieuse ressource indispensable au bon fonctionnement des démocraties s’est érodée à mesure que la crise géopolitique apporte son lot d’attaques informationnelles au détriment de la vision et de la résilience nationale, que la crise économique menace la pérennité de notre modèle social, et que la crise politique et morale instaure, entre classes d’âge et classes sociales, la défiance comme sentiment politique numéro 1.

Ainsi, du barrage de Sivens à l’Autoroute A 69, voyons-nous émerger la Gestalt de l’anthropocène : d’interminables conflits autour de projets d’infrastructures où s’entremêlent dialogue de sourd entre science et société, tensions entre différents niveaux de responsabilité politique, conflictualité devant les juridictions administratives, et manifestations d’un désir d’alternative écologique plus ou moins bien encadrée par la puissance publique. Le tout dans une atmosphère d’invectives où la radicalité de certains sert d’alibi au retour à l’autoritarisme des autres, laissant, dans ce champ de ruines qu’est devenu le débat public, place à toutes les formes de sinistres démagogies.

À l’inverse, on voit certains territoires se doter d’instrument de diagnostics locaux (le « parlement de la Loire » par exemple, ou le comité régional sur le changement climatique en Nouvelle-Aquitaine) qui, s’appuyant sur un état de l’art académiquement documenté, vient proposer des trajectoires de résilience territoriale pour s’adapter à l’évolution du trait de côte, aux enjeux de biodiversité, ou encore à la gestion de la ressource en eau.

Ainsi, plus que la simplification de notre « mille feuilles » administratif, c’est un nouvel équilibre, plus systémique, articulé avec les réalités physiques locales et les préférences normatives régionales que nous devrions dessiner pour faire face aux enjeux vitaux qui sont les nôtres à l’horizon de la fin du siècle.

Ressources, infrastructures et justice : vers un nouveau contrat écologique

Se dessinent ainsi les contours d’une nouvelle forme de contrat social écologique qui propose un chemin désirable autour de grands (dans le sens d’importants et d’enthousiasmants) compromis nationaux.

Ils devront articuler la connaissance scientifique et l’action politique autour d’une juste répartition des efforts de protection des vulnérabilités exacerbées par les multiples dérèglements climatiques et les menaces sur la biodiversité. La cartographie des inégalités environnementales ne se réduit pas aux inégalités sociales mais s’articulent avec des formes locales spécifiques de pollutions, de configurations géographiques, naturelles et physiques. Une vaste tâche d’analyse de vulnérabilité en métropole et en outre-mer reste à généraliser afin d’adapter les efforts aux justes besoins.

Le contrat social écologique devra également proposer un nouvel équilibre entre générations, afin que celles qui vont devoir payer le plus lourd tribu à l’adaptation aux nouvelles conditions de vie, n’aient pas l’impression de porter l’entièreté du poids des choix ou comportements de leurs aînés. Ce point, qui sera davantage traité dans la quatrième section de ce rapport tant il est constitutif de la crise politique et morale que nous vivons, doit être intégré dans toute réflexion politique actuelle. La société dans laquelle nous sommes désormais ancrés doit absolument se rééquilibrer au profit de la jeune population active qui devra financer, par son travail, l’effort de défense face à la crise géopolitique, l’investissement pour la transition écologique, et la solidarité malgré la crise démographique. Un défi d’autant plus lourd que cette génération-là est héritière d’une dette financière colossale et d’une dette écologique abyssale. La solitude de cette génération face à à l’ampleur des enjeux auxquels elle doit faire face est accentuée par le déséquilibre démographique qui rend sa parole moins audible, et ses revendications moins légitimes politiquement. Dans ce contexte, la polycrise fait planer sur toute la jeunesse un parfum de désespoir.

Le contrat social écologique devra également s’attacher à prioriser les domaines économiques à développer et ceux qu’il convient de réorienter dans un futur à déterminer. La stratégie emploi et compétences définie par le SGPE exprime très clairement que plus d’un quart des emplois (environ 8 millions) sont directement concernés par la planification écologique. Or on ne peut qu’être frappé par l’aveuglement global des filières industrielles face à cette transition. Vertige de l’ampleur de la tâche conduisant à une forme de déni, incapacité à mobiliser les ressources cognitives et financières ou cupidité de certains actionnaires décidés à profiter jusqu’au bout d’une rente non soutenable, il reste que très peu de secteurs industriels se sont aujourd’hui sérieusement saisis de la question de sa mutation profonde. Il est grand temps que les élites politico-économiques prennent enfin leurs responsabilités pour penser et déployer des trajectoires-filières compatibles avec la réalité climatique et des politiques de soutien à ceux qui verront leur emploi bouleversé par ces grandes mutations. Cette réflexion est devenue d’autant plus critique qu’une éventuelle entrée en économie de guerre entraînerait par ailleurs le transfert de talents au service d’objectifs géopolitiques avec un effet d’éviction immédiat sur les compétences nécessaires à la transition. Enfin, ce contrat social écologique devra contribuer à refonder un système international totalement défiguré par la brutalisation du monde (voir section 1) que viennent perturber violemment les effets des catastrophes naturelles, la pénurie des ressources et la détérioration des milieux naturels. Savoir articuler un cadre multilatéral afin de prendre en considération les contraintes et les vulnérabilités des pays tout en intégrant, de préférence au niveau européen, les éléments de souveraineté qui assurent la stabilité de nos sociétés en transformation, constitue évidemment un défi de grande ampleur. Cette dimension internationale du contrat social doit respecter certains principes, notamment de ne pas exporter les externalités négatives de nos économies, de protéger nos sociétés face aux comportements agressifs de certains pays, de favoriser la transparence des modèles économiques des entreprises afin d’éviter les comportements de prédation sociale et environnementale ou encore d’accompagner les pays lésés par des clauses miroirs introduites dans les contrats commerciaux. Autrement dit, le multilatéralisme doit permettre une discussion sur les nouvelles priorités du commerce mondial et de l’architecture financière internationale au profit d’investissements publics et privés pour la prospérité, les peuples et la planète.

De la nécessité de réinventer des récits porteurs

Pour écrire et donner vie à ce nouveau contrat social, encore faut-il être collectivement capable de produire un récit ambitieux et un narratif de progrès qui inclut, qui agrège et qui projette.

Une des limites à la planification écologique telle que nous la concevons en France tient à l’autre face de janus de son excellence technique : son langage particulièrement abscons pour le plus grand nombre. L’absence de vision politique et normative d’un futur désirable s’accompagne d’une vacuité narrative que ne sauraient combler les réglementations environnementales et planifications technocratiques.

Pour être en mesure de se projeter dans le futur, et ainsi d’agir en conséquence, citoyens comme entreprises doivent pouvoir le nommer, l’imaginer et le désirer.

S’il ne faut se raconter d’histoire, la puissance narrative est indispensable à mettre ces transitions à l'œuvre. Si bien que l’Europe doit ici jouer la carte de la puissance de son héritage culturel au cœur duquel elle peut puiser dans une histoire très riche, fondée sur des mythes extrêmement utiles pour avancer sans verser dans le registre exclusivement dystopique de la post-pop culture américaine articulée autour d’un seul horizon : la nouvelle frontière et le régime de la conquête. Nombre d’artistes, architectes, écrivains proposent ainsi des visions d’organisation sociales revisitées à l’aune de la sobriété, de villes biomimétiques adaptées aux nouvelles conditions climatiques, d’agriculture résiliente, autant d’innovations sociales pour mieux vivre dans les limites planétaires. Ces visions inspirantes peuvent nous aider à nous propulser dans un temps long à partir duquel construire une trajectoire permettant à la fois de briser la tragédie des horizons si bien décrite par Mark Carney, et de nourrir la motivation nécessaire au dépassement des habitudes et des conforts.

Produire une vision constitue sans doute une des plus nobles tâches du politique, mais il n’a pas à la produire seul, dans un vieux réflexe décisionniste. Elle peut s’articuler du local au global grâce à des dispositifs participatifs dont l’expérience montre qu’ils sont le creuset des redéfinitions industrielles : l’histoire récente regorge de territoires réinventés, de la vallée de la Chimie au Grand Est en passant par les Hauts-de-France et son grand projet citoyen Rev3.

Les grands exercices de prospective menés par l’ADEME et le Haut-Commissariat au Plan et à la Stratégie fournissent des éléments de méthodologie dont on pourrait tout à fait s’inspirer. Les relais locaux auraient ainsi le loisir de décliner à leur manière des aspirations des populations articulées à leur talent, leur histoire, leur géographie et leur environnement.

Cette dynamique constitue un des meilleurs remparts contre d’autres formes de construction identitaires reposant sur l’exclusion, le repli sur soi et le rejet de l’autre. Dans un contexte anxiogène qui favorise la circulation médiatique de contenus violents et discriminants, un des instruments de lutte contre la peur peut être la mobilisation pour un futur collectif souhaitable. Il s’agit dès lors moins d’imaginer moultes réformes institutionnelles que de s’appuyer sur notre base citoyenne pour la projeter dans un monde soutenable.

Résister au backlash et s’appuyer sur les bonnes pratiques qui se multiplient

Les résistances multiples à la transformation s’expriment aujourd’hui sous forme d’un « backlash » qui délégitime l’ensemble des efforts, mobilisations locales, et constructions juridiques qui se sont nettement dessinées depuis la COP 21 et son cortège d’engagements nationaux. Au discours de « réalisme » qui invite à ne pas faire plus d’effort que son voisin, qui qualifie d’écologie punitive toute velléité de régulation pour la réorientation des économies, et qui s’organise par dessus tout pour justifier la pérennisation d’un modèle non soutenable, il faut certainement répondre en deux temps.

D’une part se soucier des effets d’exclusion et d’accroissement des vulnérabilités potentiellement induites par les politiques publiques : nous avons pu constater combien l’alliance entre désinformation et mauvaise foi pouvait mettre à mal un pan entier de politique publique par ailleurs nécessaire avec les zones à faibles émissions.

D’autre part, ne rien lâcher des dynamiques entreprises dans les organisations, les collectivités ou les communautés pour assurer la résilience, l’adaptation et la diminution de l’empreinte environnementale des activités humaines. Reconnaître et valoriser les initiatives individuelles et collectives confère un fort sentiment de légitimité démocratique et cimente les collectifs. Nombreuses sont ainsi les entreprises qui passent outre l’ambiance délétère actuelle sur l’écologie pour affiner un modèle économique compatible avec un monde décarboné. Elles offrent à leurs jeunes salariés une opportunité pour agir en faveur de leur avenir tout en leur donnant un moyen de s’épanouir.

Il reste qu’un certain courage s’avère nécessaire à tous ceux qui subissent invectives, baisse de crédit, et délégitimation de leurs actions sur le terrain. Les associations professionnelles accompagnent les experts de la RSE dans ces moments difficiles.

Pour une gouvernance stratégique de la transformation écologique

Nous n’en sommes encore qu’au seuil de la transformation nécessaire pour la mutation de la société vers un modèle résilient compatible avec les limites planétaires. Déjà pourtant, dans un monde ici ou là en proie aux pires tentations autoritaires et prédatrices, se manifestent tous les stratagèmes des bénéficiaires et rentiers du système géopolitique et économique actuel. Plus la nécessité du changement s’affirme et se déploie, plus il faut se préparer à résister aux multiples instrumentalisations des souffrances et difficultés légitimes que rencontrent les sociétés. Au solutionnisme techniciste qui constitue la face acceptable du climato-septicisme actuel, il faudra apporter des réponses contextualisées, locales et surtout équitables.

La France et l’Europe disposent de très nombreux atouts pour conduire cette très difficile transformation : une population éduquée, une communauté scientifique et d’ingénieurs de grande qualité, des chefs d’entreprises responsables, une tradition démocratique bien ancrée, un tissu associatif dynamique et une expertise d’état de haut niveau.

Les démons qui nous hantent ont néanmoins prouvé par le passé qu’ils pouvaient nous conduire aux pires des conflits, au sein même de l’Europe. Attisés par la peur, la désinformation, l’individualisme, et la préservation de privilèges personnels, ils permettent la pérennisation du système à bout de souffle derrière l’illusoire défense d’une communauté imaginée sans avenir, entretenue par une terrible mécanique de rentes symboliques, démographiques et économiques.

Pourtant, la transformation écologique est l’objectif du pays tout entier : ses bénéfices réels sont attendus pour toutes les classes socio-professionnelles et toutes les classes d’âge. C’est pourquoi elle doit sortir des espaces strictement technocratiques pour se nourrir d’aspirations partagées à la justice sociale et environnementale, au profit des générations futures. Cette fabrique collective, délibérative, d’un futur commun pourra seule générer de l’espoir.

Pour y parvenir, plusieurs recommandations structurantes émergent :

  1. Reconstruire un récit mobilisateur, en des termes clairs et accessibles, fondé sur les réussites locales, un paradigme partagé de la sobriété qui fait rimer nos modèles économiques avec le paradigme géopolitique de la souveraineté. Pour cela s’appuyer sur des exercices de prospective territoriale et de dialogue multi-acteurs.
  2. Adopter une grille d’analyse systématique qui intègre adaptation, climat, biodiversité, santé, ressources et rentabilité dans chaque arbitrage public.
  3. Créer une fonction pérenne de coordination écologique, au sein de l’État, avec un rôle politique clair et un pouvoir d’alignement intergouvernemental.
  4. Dessiner la compétence politique locale autour des systèmes physiques, sociologiques, économiques et environnementaux locaux.
  5. Lutter fortement contre la désinformation, la manipulation et la diffusion de contre-vérités scientifiques, ainsi que contre la polarisation intergénérationnelle de la question écologique.

Il ne s’agit plus seulement de « faire plus ». Il s’agit de faire autrement. La crise écologique mobilise une pensée non-linéaire pour forger des solutions dans un moule différent de la matrice du XXe siècle. La bascule du double paradigme de la puissance prédatrice fondée sur une économie extractive vers une puissance partenariale propulsée par une économie régénérative impose surtout de faire ensemble.

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L’Institut Open Diplomacy, fondé en 2010 par Thomas Friang, est un think tank reconnu pour ses travaux d’intérêt général. En 2025, face à l’accumulation de crises géopolitiques, écologiques, économiques et politiques qui s’aggravent mutuellement, il s’est donné pour mission de « comprendre et combattre la polycrise ».

Pour mener à bien cette mission, l’Institut a constitué un groupe de prospective. Les 10 co-auteurs du rapport ont engagé la réflexion en consultant plus de 30 experts de haut niveau afin d’analyser ces quatre grandes systémiques et leurs rétroactions, pour comprendre la bascule historique qu’opère la polycrise.

Cette étude, intégralement accessible via ces pages, est présentée au Sénat le 31 octobre 2025. Elle marque ainsi le 15e anniversaire de l’Institut Open Diplomacy et pose les bases du prochain sommet du Y7. Organisé sous présidence française du G7, il aura pour thème « combattre la polycrise ».

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