La crise du coronavirus a accéléré l’inversion des priorités dans l’opinion publique européenne. Elle place désormais la santé et l’environnement au rang des premières préoccupations des Européens. Comment la Commission européenne peut-elle s’emparer de ces sujets - avec tout l’ambition écologique qu’elle développe pour son Green Deal et son plan de relance Next Generation EU - alors que les politiques publiques qui déterminent les principaux « budgets carbone » de l’Union, à commencer par l’énergie, le transport, le logement et l’aménagement du territoire, sont encore du ressort national ? En somme, comment bâtir une coalition européenne pour le climat ? Décryptage.
Le climat au premier plan
La question climatique n’est pas nouvelle en Europe. L’UE s’en est déjà saisie à plusieurs reprises. Le Traité d’Amsterdam, signé en 1997, a installé la notion de développement durable au coeur de la construction européenne. L’Union a concrétisé cette première ambition entre 2014 et 2020 dans un programme d’action climatique reposant sur trois piliers : la préservation du capital naturel ; une économie sobre en carbone ; et la protection de la santé humaine.
Cette ambition s’est amplifiée avec le Green Deal présenté par la nouvelle Commission européenne pour atteindre l’objectif de la neutralité carbone d’ici 2050. Cette ambition renouvelée a pris encore une autre dimension lorsque, le 23 avril 2020, le Conseil européen a chargé la Commission d’élaborer un plan de relance aligné avec le Green Deal pour sortir de la crise du coronavirus.
Ce plan, historique par son ampleur de 750 milliards d’euros, est régi par un principe de transfert : la mutualisation d’une partie importante de la dette publique permet des flux nets positifs vers les territoires les plus touchés par le COVID-19. Ce projet de plan de relance inclut pleinement la dimension écologique. En effet, les transferts seraient conditionnés à la mise en place d’investissements et de réformes qui doivent être compatibles avec le Green Deal.
Plusieurs défis à surmonter
Cependant, cette Europe de l’écologie se confronte encore à plusieurs défis. La Commission doit convaincre l’ensemble des Etats européens des bénéfices du plan « Next Generation EU » et, pour y parvenir, de surmonter les réticences qui s’exprimaient déjà vis-à-vis du Green Deal.
Les « quatre frugaux » que représentent les Pays-Bas, la Suède, l’Autriche et le Danemark ont manifesté leur opposition à une Europe des transferts. Ils ont ainsi présenté un autre plan s’opposant au principe de subvention et proposant l’octroi de prêts aux pays qui en ont besoin, prêts liés à des conditions et des délais de remboursement déterminés. Le fait que la Chancelière Merkel, jusqu’alors opposée aux transferts, ait revu sa position sur un principe aussi déterminant pourrait être un véritable atout pour faire valoir la proposition de la Commission européenne… dont elle avait, le 18 mai, pavé la voie par l’initiative portée avec le Président Macron.
Au-delà de la question des transferts, c’est le Green Deal lui-même qui est sujet à caution. Car tous les pays de l’Union européenne n’accordent pas à l’écologie la priorité que lui porte la Commission européenne. La Pologne en est un exemple : le charbon y représente près de 80 % de la production d’énergie primaire, ce qui en fait le premier producteur européen. La transition écologique sera donc une transition coûteuse pour Varsovie.
L’écologie, nouvel attribut de la souveraineté européenne ?
Les consultations citoyennes menées dans le contexte du Covid pour imaginer « le monde d’après » montrent une forte attente de relocalisations vers l’Europe. Ces relocalisations permettraient de réduire les émissions de CO2 liées au transport des marchandises et assureraient que les biens et services soient produits dans les normes sociales et environnementales européennes.
Le débat aura lieu pour arbitrer entre cette ambition écologique et sociale et l’offre diversifiée et à moindre coût que permet la mondialisation des échanges. À tout le moins, les relocalisations concerneraient les industries stratégiques ou à forte valeur ajoutée pour lesquels l’Europe dispose d’un réel avantage comparatif : l’industrie pharmaceutique en est un exemple parmi d’autres. Elles permettraient alors de donner une assise plus forte à l’idée de souveraineté européenne.
Il faut néanmoins souligner que - politiquement - cette nouvelle donne géoéconomique aurait des conséquences. Le rapport de force avec nos partenaires commerciaux - la Chine en particulier - se musclerait d’autant.
Par ailleurs, si elle veut devenir une Europe de l’écologie souveraine, l’Union devra se doter de tous les outils juridiques et politiques nécessaires pour rassembler ses forces. Impossible d’imaginer une filière photovoltaïque européenne par exemple sans un brevet européen pour développer en commun tous les savoir-faire utiles et les protéger ensemble à l’échelle mondiale. Le fameux « Airbus des batteries » montre à quel point ces coopérations économiques sont tout aussi complexes que la construction européenne elle-même.
Convergence économique, convergence climatique
Plus largement, la promotion d’une Europe de l’écologie peut être l’occasion de manifester notre attachement au modèle démocratique européen… dans un contexte international où les Etats autoritaires et démocraties illibérales avancent à visage ouvert. La « convention citoyenne pour le climat » en est un exemple éloquent.
Cela répond à une attente politique forte de faire une transition juste car fondée sur l’inclusion des citoyens dans sa conception. Il n’est pas nouveau de dire que consommateurs et entreprises doivent être les acteurs de la lutte contre le changement climatique. Des idées commencent à émerger pour développer cette logique à l’échelle européenne : pourquoi ne pas envisager une directive sur les « entreprises à mission » faisant écho à la PACTE adoptée en France en 2018 pour permettre aux firmes de se doter d’une raison d’être qui dépasse la lucrativité ?
Si tous les pays de l’UE ne progressent pas à la même vitesse vers la neutralité carbone ou la mise en route d’une économie plus circulaire, la politique de cohésion de l’Union européenne peut aussi être un levier. Il s’agit de mettre cet outil de convergence économique au service d’une convergence écologique. Nous avons développé des fonds de soutien pour les régions européennes les plus éloignées de la trajectoire macroéconomique de l’Union. Pourquoi ne pas réfléchir aussi à sa trajectoire de développement durable ?