Le 8 mai 2020, les négociateurs du premier chapitre de l’accord commercial sino-américain, le Vice-Premier Ministre chinois Liu He et le représentant au commerce américain Robert Lighthizer, se sont entretenus pour la première fois depuis la signature de l’accord le 15 janvier 2020. Dans leurs communications officielles, Pékin et Washington ont voulu se montrer rassurants, rappelant leur engagement à appliquer les modalités du texte… objectif ? Mettre fin à deux ans de guerre commerciale entre la Chine et les États Unis.
Cette guerre commerciale a été déclarée par l’administration Trump. Le président américain accusait la Chine d’avoir recours à des pratiques commerciales déloyales, contribuant à l’important déficit commercial américain. Ces tensions se sont traduites par une escalade des tarifs douaniers. De nombreuses entreprises chinoises ont également été inscrites à la Entity List américaine, ce qui complique leur capacité à commercialiser avec les Etats-Unis.
Cet accord commercial, structuré en 8 chapitres, a permis de balayer des sujets sensibles tels que la propriété intellectuelle, l’accès au marché ou encore la manipulation du taux de change.
Malgré des avancées concrètes, la crise provoquée par le COVID-19 a révélé que les tensions entre les deux pays étaient loin d’être résolues. Concernant l’application de l’accord, la première question qui se pose porte sur la capacité de la Chine à tenir son engagement à acheter 200 milliards de dollars de produits américains d’ici 2021. Elle est d’autant plus pertinente depuis que la Chine a décidé de suspendre ses achats de soja américains suite aux désaccord avec les États-Unis sur le cas de Hong Kong. Pour Donald Trump, les termes du débat sont limpides : « If they don’t buy, we’ll terminate the deal. Very simple ». Cet accord du 15 janvier 2020 est-il donc réellement en mesure d’apaiser les relations entre les deux premières puissances économiques mondiales ? Ou alors sert-il uniquement d’alibi dans un prochain round d’escalade des tensions durant la période électorale des États-Unis? Décryptage.
L’accord traite des trois principaux problèmes
Il aborde en premier lieu les enjeux de transferts de technologies forcés. En effet, l’implantation des entreprises étrangères sur le marché chinois est parfois soumise à des conditions favorisant les transferts de technologies. Ces conditions se trouvent, entre autres, dans la « negative list ». Ce document publié par les autorités chinoises énumère les secteurs interdits aux entreprises étrangères ou dont l’accès est soumis à des conditions. Parmi ces dernières, on trouve la mise en place de joint-ventures (JV). Ce modèle de co-entreprise favorise le transfert de technologies car il permet au partenaire chinois de s’approprier du savoir-faire de l’entreprise étrangère et une fois mature, de devenir un important concurrent. Le cas de Siemens dans le milieu ferroviaire est un exemple flagrant. En 2005, l’entreprise allemande avait créé une JV avec l’entreprise chinoise CNR. Aujourd’hui son partenaire a fusionné avec son rival chinois pour constituer CRRC, l’une des entreprises les plus compétitive dans le secteur au niveau mondial. Au travers l’accord de janvier 2020, les États-Unis et la Chine s’engagent mutuellement à interdire les transferts de technologie forcés.
Deuxième point sensible soulevé par l’accord commercial : les enjeux de propriétés intellectuelles. Le droit chinois de ce domaine s’est amélioré, mais le principal enjeu demeure. Il s’agit de protéger les entreprises étrangères présentes en Chine de façon uniforme sur tout le territoire chinois. Aujourd'hui, la propriété intellectuelle n’est pas garantie de façon homogène sur l’ensemble du marché chinois, provoquant d’importants risques pour les investisseurs internationaux.
Enfin, l’accord vise à rééquilibrer les échanges commerciaux entre la Chine et les États-Unis. La politique commerciale de Trump est focalisée sur le déficit de la balance commerciale. En 2017, le déficit américain vis-à-vis de la Chine s’élevait à 375 milliards de dollars. Afin de corriger ce déséquilibre, la Chine s’engage dans cet accord à augmenter ses importations américaines de 200 milliards USD (par rapport aux importations de 2017) au cours des deux ans à̀ venir. Ce chiffre est précisé par secteurs : 32 milliards pour les biens agricoles, 78 milliards pour les biens manufacturés, 52 milliards pour les produits énergétiques et 29 milliards pour les services. Pour atteindre ces objectifs, Pékin a déjà entrepris des réformes. À titre d’exemple, elle a élaboré de nouvelles normes sur les résidus d’hormones dans le bœuf (auparavant interdit par les autorités chinoises) afin d’augmenter ses importations de viande bovine en provenance des États-Unis.
Mais il faut relativiser cet accord
Si l’accord parvient à traiter à des sujets les plus sensibles, son impact doit pourtant être relativisé.
D’abord parce que les mesures prises par la Chine pour limiter les transferts de technologie forcés sont encore limitées. Prenons l’exemple de l’annonce en 2018 de la levée des obligations de JV dans le domaine de l’automobile d’ici 2022 : cette mesure intervient tard, à un stade où les entreprises chinoises ont déjà atteint une certaine maturité et sont donc aptes à rivaliser avec leurs concurrents étrangers. Autre mesure phare prise par l’administration chinoise, l’entrée en vigueur en janvier 2020 de la loi sur les investissements étrangers. Cette loi vise à garantir un traitement égal entre les entreprises étrangères et chinoises. S’il s’agit une évolution positive, le contenu du texte est jugé par une partie de la communauté des affaires comme incomplète et trop vague.
Ensuite parce que nombreuses analyses démontrent que les objectifs d’achat de produits américains ne pourraient pas être atteints par la Chine. Prenons pour exemple le cas des produits agricoles. La Chine s’est engagée à doubler ses importations agricoles d’ici fin 2021 par rapport à 2017. L’accord est basé sur des transactions en valeur et non en volume. Or les prix des matières premières sont particulièrement volatiles. Si la demande chinoise stagne (voir diminue) alors que les prix baissent, Pékin devra redoubler ses efforts. Sans parler des effets de la crise pandémique sur les chaînes d’approvisionnement, qui rendent sans doute caduques les objectifs chiffrés de l'accord eux-mêmes.
S’ajoute à cela que le risque de guerre commerciale n’est pas formellement écarté. Pour assurer l’application de l’accord, les États Unis ont tenu à imposer un mécanisme de résolution des différends. Certes il incite la Chine à respecter ses engagements, mais il n’exclut pas une nouvelle escalade des tensions. Il permettrait aux États Unis de prendre des mesures unilatérales vis-à-vis de la Chine s’ils estiment que celle-ci ne respecte pas les modalités de l’accord. Pékin ne pourrait pas prendre des mesures de rétorsions, sauf si elle considère les actions américaines injustifiées. Elle peut dans ce cas se retirer de l’accord. L’efficacité de ce mécanisme de résolution reste donc à être prouvée en cette période de tensions exacerbées.
Enfin, ce premier accord est incomplet et n’apaise pas toutes les tensions. D’une part, il n’aborde pas la question des subventions et du poids des entreprises d'État dans l’économie chinoise.D’autre part, il ne peut être une solution au déficit de la balance commerciale américaine. En effet, ce dernier est d’ordre macroéconomique : il résulte d’une situation où l’épargne des américains est inférieure au niveau d’investissement. Une politique favorisant le développement de l’épargne publique (par l’augmentation des impôts) ou privée (par des taux directeurs plus favorables) contribuerait à corriger ce déséquilibre.
Les tensions commerciales se prolongent par les rivalités technologiques
L’accord commercial n’a pas réussi à apaiser les relations entre les deux premières puissances économiques. Au contraire, la crise pandémique a même ravivé ces tensions.
Outre la bataille diplomatique qui se joue entre ces deux rivaux stratégiques, les États-Unis ont repris des mesures de restriction vis-à-vis de la Chine. Le 27 avril 2020, l’administration Trump a annoncé un renforcement des contrôles des exportations vis-à-vis de la Chine. Le 5 mai, elle a étendu les restrictions sur les exportations de puces électroniques vers Huawei.
Ces annonces rappellent que derrière la guerre commerciale se trouve une rivalité technologique. En effet, les pratiques commerciales déloyales critiquées par les États Unis font partie des mécanismes utilisés par la Chine pour soutenir sa politique industrielle « Manufacturing China 2025 ».
Cette dernière vise à faire de la Chine une puissance technologique en devenant leader dans 10 secteurs stratégiques dont les TIC, la robotique et le ferroviaire. Elle permettrait à la Chine d’éviter de tomber dans le middle income trap et de relancer sa croissance.
Dans un pays où le parti communiste tire sa légitimité à assurer le développement du pays, il n’est pas sûr que la Chine accepte de revoir son modèle économique pour répondre aux critiques américaines.
Par ailleurs, les sanctions prises par l’administration Trump contre les entreprises de la tech chinoises risquent d’accélérer la mise en place de la politique industrielle chinoise. Le cas de l’industrie des semi-conducteurs en est un parfait exemple. Dans son plan Manufacturing China 2025, la Chine a identifié les semi-conducteurs comme une industrie stratégique. Le développement d’un filière chinoise apparaissant comme un nécessité, le pays a mis en place en 2014 un fonds industriel de 22 milliards de dollars spécifiquement dédié à cet objectif. Pendant la guerre commerciale, les sanctions imposées à ZTE en 2018 dans leur approvisionnement en semi-conducteurs américains ont grandement mis en difficulté l’entreprise chinoise. Renforcé dans leur conviction que la dépendance aux importations américaines constitue un facteur de vulnérabilité, les autorités chinoises ont inauguré en 2019 un deuxième fonds de 29 milliards de dollars destiné au développement des semi-conducteurs.
Sur fond de rivalité technologique, les tensions commerciales sino-américaines sont donc loin d’être résolues. Elles risquent même d'entraîner sur le long terme un découplage des écosystèmes américains et chinois. D’autant que Pékin assume le clash avec Washington et que le rapport de force avec la Chine fait l’objet d’un consensus bipartisan assez fort aux Etats-Unis.