Au cours des dix dernières années, des pays comme la Belgique, la Chine et la Russie ont encouragé l'exploration minière sous-marine sans qu'un cadre international clair ne permette de prévenir les dommages environnementaux tels que la perte de biodiversité, l'altération des fonds marins et la production de déchets miniers. Ce type d'exploitation produit beaucoup de CO2. Les eaux profondes abritent des espèces et des écosystèmes qui fournissent des biens et des services environnementaux et dont les conditions sont très vulnérables. En parallèle, nulle norme mondiale existe pour l’exploitation minière, en dehors des juridictions nationales.
C’est dans ce contexte que la campagne internationale pour un moratoire sur l'exploitation et l'exploration minières en mer a pris de l'ampleur en 2019.
La 69e motion du Congrès mondial de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui se tient en septembre 2021 à Marseille, préconise un tel moratoire pour la protection des écosystèmes et de la biodiversité des grands fonds marins. S'il est approuvé, les 1 300 membres de l'organisation transposeront ces mesures dans leurs territoires respectifs au cours des quatre prochaines années.
Les prémisses de l’économie bleue promue par l’Union européenne : un ambition certaine mais des instruments nécessaires
L’Union européenne (UE) s’est dotée d’un ensemble d’instruments juridiques et financiers pour atténuer le changement climatique qui a crédibilisé son action à l’échelle internationale. La trajectoire de développement durable, définie lors du Conseil européen du printemps 2007, s’est traduite en objectifs de coopération au niveau européen et en objectifs nationaux dans chaque État membre. Concrétisée par la mise en œuvre d’instruments dédiés, elle peut, si elle est poursuivie, permettre à l’Union européenne de jouer un rôle déterminant à l’échelle mondiale.
Néanmoins, les limites des instruments existants appellent à l’introduction d’outils économiques innovants face à la persistance de l’exploitation des ressources de la mer, par exemple. La diminution de 800 millions de permis à polluer, décidée en 2017 par le Parlement européen, a été jugée insuffisante par les experts, soulignant un hiatus entre les ambitions et les moyens européens.
Dorénavant l'UE promeut les prémisses d’une « économie bleue » au moyen de divers instruments. A ce titre, le Fonds européen pour les investissements stratégiques a investi plus de 1,4 milliard d'euros dans des projets d'éoliennes en mer et a offert un soutien substantiel à d'autres secteurs de l’économie, notamment le développement des ports et la navigation propre.
Alors que le modèle économique linéaire produit de grandes quantités de déchets dans les océans et est émetteur de polluants, l’économie bleue est un concept relatif à des activités économiques liées aux océans, aux mers et à leurs côtes. Sa définition et son domaine d'application précis varient selon les organisations ou les chercheurs. La Banque mondiale définit l’économie bleue comme « l’utilisation durable des ressources océaniques en faveur de la croissance économique, l’amélioration des revenus et des emplois, et la santé des écosystèmes océaniques ».
L’économie des secteurs marins promue par l'UE contribue à la réalisation des objectifs environnementaux et est pleinement alignée à un cadre stratégique de long terme. Le soutien à la croissance durable dans les secteurs marin et maritime se concrétise par la stratégie de croissance bleue de l'Union européenne. Cette dernière est cadrée par divers dispositifs : le Pacte Vert européen ; la stratégie de l'UE en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030 ; les orientations relatives à un cadre stratégique pour le déploiement d'infrastructures vertes et bleues au niveau de l'Union.
Le rapport 2020 sur l'économie bleue de l'UE rend compte des performances des secteurs économiques de l'Union liés aux océans et à l'environnement côtier. Avec un chiffre d'affaires de 750 milliards d'euros en 2018, l'économie bleue de l'UE est en bonne santé. Si les secteurs tels que le tourisme côtier et marin, la pêche et l'aquaculture sont touchés par la pandémie de coronavirus, l'économie marine dans son ensemble présente un énorme potentiel en termes de contribution à la relance. Pour preuve, si le milieu marin est généralement associé à des activités traditionnelles telles que la pêche ou le transport, il abrite un nombre croissant de secteurs émergents et innovants, dont les énergies marines renouvelables.
Pour la première fois, le rapport aborde en détail la dimension environnementale de l'économie bleue, contribuant ainsi également à la réalisation des objectifs environnementaux. En outre, le rapport souligne la corrélation entre la pêche durable et les performances économiques positives.
Sous l'effet du plafond de soufre fixé par l'Organisation maritime internationale pour 2020, le transport maritime se tourne, quant à lui, de plus en plus vers des sources d'énergie à moindre intensité carbonique.
Vers une économie durable : entre survie des océans et essor du potentiel en faveur de la relance
La valorisation des écosystèmes peut aider à évaluer la durabilité de sa croissance. Se concentrer sur la durabilité signifie que nous prenons en compte les limites environnementales des écosystèmes marins, leur distribution spatiale et leur potentiel à fournir des bénéfices durables dans le futur. Cela est rendu possible en évaluant les impacts de l'activité humaine sur les services écosystémiques et leurs conséquences sociales et économiques. Par ce biais, nous pouvons mettre en évidence les compromis entre les actions visant à inverser les tendances au déclin de la biodiversité marine et de la santé des écosystèmes, et les éventuels intérêts économiques concurrents. Le coût de la préservation des écosystèmes marins engendré par la prise de mesures est largement compensé par les gains sur le long terme.
Plusieurs services écosystémiques sont fournis par l'océan, notamment les habitats pour la vie marine, dont la séquestration du carbone - les végétaux et les sols captent des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère et les stockent constituant ainsi des puits de carbone. C’est pourquoi il devient essentiel de soutenir tout d’abord le développement de la prochaine génération de modèles qualitatifs et quantitatives par le biais d'une plateforme de connaissances partagées pour la biodiversité marine.. Il convient ensuite de rendre les modèles d'écosystèmes marins plus compréhensibles pour la gestion et la prise de décision politique, les connexions transdisciplinaires et les possibilités de formation. C’est un des prérequis indispensable au développement d'un modèle économique pour la durabilité à long terme des observations océaniques, conçu conjointement avec les parties prenantes.
La recherche et le développement dans la modélisation des écosystèmes restent cependant lacunaires. L’innovation est primordiale et nécessite la collecte et l’intégration de nouvelles données informatives pour mieux appréhender la conservation de la biodiversité sur la base d'une compréhension critique des écosystèmes marins.
Les marges de progrès sont enthousiasmantes. Les cinq millions de personnes employées dans les secteurs de l’économie bleue en Europe en 2018 montrent qu’elle a surmonté le résultat de la crise économique et financière de 2008. La crise actuelle du coronavirus ayant un impact sur tous les secteurs économiques, la Commission européenne a tout intérêt à protéger cette économie d’autant plus que la transition vers une énergie propre nécessite des minéraux présents dans les fonds marins vers lesquels se tournent de nombreuses entreprises.
L’Union européenne, puissance motrice de l’économie bleue : impliquer l’ensemble des parties prenantes
Les instruments financiers pour les investissements stratégiques ont permis de susciter l’intérêt des acteurs économiques pour le secteur de l’économie bleue. Le déploiement des mécanismes de finance bleu orienteraient l’investissement en faveur d’une économie océanique durable.
Des propositions concourent au développement de nouveaux marchés et de nouvelles voies dans les secteurs émergents. D’autres cherchent à engager les secteurs connectés avec le bleu : technologie, commerce de détail, mode, santé et bien-être, infrastructure, finance.
De nombreuses initiatives sont à entreprendre. L’utilisation des plateformes existantes, comme BlueInvest, pour engager davantage la finance publique et privée, constitue une initiative porteuse d’avenir. De même, les propositions mises en avant par le Global Policy Lab de la London School of Economics, ouvrent d’intéressantes perspectives. Le laboratoire propose tout d’abord d’intégrer la finance bleue dans l'architecture de la finance climatique. Il suppose également d’orienter le financement des infrastructures vers des solutions fondées sur la nature. Il souligne également la nécessité de considérer le capital naturel bleu comme une nouvelle classe d'actifs. Il insiste aussi sur le besoin d’investir dans la résilience côtière pour faire face aux risques océaniques et côtiers. La mise en place des banques bleues, telles que la Banque de la durabilité des océans, et l’émission des obligations bleues, sont également des propositions centrales du laboratoire, tout comme inciter les investisseurs à long terme et les fonds de pension à investir dans l'impact environnemental. Enfin, le laboratoire politique préconise de protéger le marché de l’économie bleue afin de réguler l’exploitation minière des fonds marins. À bien des égards ces propositions doivent constituer le squelette des politiques de relance bleue de l’Union européenne.
La finance peut jouer un rôle essentiel dans le renforcement d’une économie durable. Toutefois, celle-ci doit être fondée sur l'engagement de toutes les parties prenantes, qui doivent inclure les secteurs traditionnels, émergents et les connecter. Pour cela, il est nécessaire de promouvoir le dialogue entre les disciplines incluant des partenaires de l'industrie et de la société civile et former des scientifiques spécialisés dans le domaine de la durabilité. Renforcer la science marine citoyenne, par exemple, permettra de surveiller davantage l'océan comme un bien commun dont la santé est cruciale pour l'humanité et dont les ressources minérales sont notre « patrimoine commun ».
En l’absence d’aires marines protégées en haute mer, les activités économiques se déroulent sans être organisées. D’ici la mise sur pied d’une gouvernance de ces activités, il convient de veiller à ce que l'Administration internationale des fonds marins (AIFM) délivre des permis d'exploration et d'extraction avec rigueur scientifique, jusqu'à ce que la protection internationale de la haute mer soit approuvée.
L’UE a réaffirmé sa détermination à jouer un rôle moteur en liant politique climatique, commerce et investissement, et nécessité de réduire les émissions de GES issues de la navigation aérienne et maritime. Si elle atteint ses objectifs, l’UE renforcerait sa capacité à exercer un effet d’entraînement, à l’échelle mondiale, en matière de développement durable, notamment à l’égard des pays émergents et en développement.
Toutefois, les dissensions entre États européens restent trop fortes pour laisser espérer une gestion des ressources de la mer à brève échéance. Il existe, en particulier, une opposition entre pays du Nord, partisans d'une pêche industrielle ou hauturière, et ceux du Sud, souvent défenseurs d'une pêche artisanale ou côtière.
Notons également, l’intérêt des entreprises à se tourner vers la mer, en raison de l'augmentation de la demande de minéraux, dans le contexte de l'industrie des énergies propres.
Ainsi, la géopolitique des ressources de la mer pourrait devenir un sujet majeur des relations internationales : moins spectaculaire que celle des matières premières comme le gaz ou le pétrole, elle n'en est pas moins traversée par des tensions croissantes entre États liées essentiellement à une régulation défaillante. Cette géopolitique des ressources de la mer apparaît bien comme le miroir des difficultés à construire un ordre international qui fasse consensus.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Gabriela Martin, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille principalement sur les enjeux de l'Europe sociale, et les relations entre l'Union Européenne et l'Amérique latine.