L’Allemagne se distingue par l’efficacité de sa réponse sanitaire à la pandémie de coronavirus. Son succès fait exception. Mais les conséquences économiques de l’épidémie frappent plus durement l’économie allemande, fortement dépendante de la bonne santé du commerce international, en particulier de ses partenaires européens. Sa fragilité fait aussi exception. Le discours tenu à Berlin sur la solidarité européenne est donc tout aussi exceptionnel : pourquoi préconiser l’isolement quand vous êtes aussi dépendants de la survie de vos partenaires ? L’exception allemande c’est de dépendre des autres pour performer et de minimiser (jusqu’à nier) cette dépendance quand il s’agit d’aider ses partenaires.
La réponse sanitaire allemande se distingue par son succès
L’Allemagne a commencé son déconfinement le 15 avril. En premier, les petits commerces ont pu rouvrir dès le 20 avril. Les écoles, elles, ouvriront leurs portes dès le 4 mai (seulement pour les élèves en fin de cycle devant préparer des examens). Cependant, les « grands rassemblements » sont annulés jusqu’à la fin août et aucune date n’est encore prévue pour la réouverture des hôtels, restaurants et bars.
La chancelière annonce un « succès d’étape ». En effet, le taux d’infection, qui mesure le nombre de personnes en moyenne contaminées par chaque malade du Covid-19, est pour la première fois est descendu en dessus de 1 pour atteindre 0,7 selon l’Institut Robert Koch, l’autorité fédérale de la santé en Allemagne. Selon le ministre de la Santé Jens Spahn, avec environ 4 000 décès et près de 130 000 cas recensés, la pandémie semble « sous contrôle » en Allemagne. Le ministre se félicite de la préparation de l'État qui a permis de contenir l’épidémie.
Le bilan allemand reste, en effet, bien meilleur que celui des voisins français, espagnols, italiens et anglais. Tout semble une gestion exemplaire de la crise, du moins sur le plan sanitaire. Le succès de l’Allemagne repose essentiellement sur une politique de test à grande échelle, une recherche scientifique très avancée et un système de santé efficace.
Dès la première contamination mi-janvier en Bavière, le gouvernement allemand lance une politique expansive de test sur le modèle sud-coréen. Chaque semaine près de 350 000 sont effectués depuis le 16 mars, ce qui place l’Allemagne en tête concernant le nombre de tests pratiqués dans le monde. Cette politique de tests est rendue possible par la découverte du premier test mondial de détection du Covid-19 par le scientifique allemand Olfert Landt, et par la collaboration des différents laboratoires médicaux, hospitaliers et universitaires dans la fabrication de ces tests.
En parallèle d’une politique de test offensive, l’Allemagne peut se targuer d’avoir « peut-être le meilleur système de santé au monde » comme l’annonce la chancelière allemande lors de son discours télévisé le 18 mars. En effet, avec 6,02 lits pour 1 000 habitants, le système allemand est l’un des mieux dotés de l'OCDE en lits pour « soins aigus ».
Cette gestion sanitaire a permis d’éviter à la population allemande un confinement strict, mais également une surcharge de système hospitalier, ce qui laisse envisager un déconfinement plus rapide que dans les pays voisins.
La crise économique allemande est aussi exceptionnelle
Avec un déconfinement progressif, le pays espère une reprise de l’activité pour atténuer les conséquences économiques désastreuses de la pandémie. L’Allemagne, qui connaissait déjà un ralentissement de sa croissance depuis 2018, craint une forte récession.
Ainsi, le pays réfractaire à l’endettement, décide exceptionnellement d’enfreindre la règle constitutionnelle lui interdisant les dettes pour mettre à disposition 822 milliards d’euros de prêt pour aider les entreprises et les salariés touchés dans leurs activités. Cette enveloppe doit permettre de financer un grand nombre de mesures sociales, comme le chômage partiel qui devrait toucher environ 2,5 millions de personnes. Un fonds de secours est prévu dans cette enveloppe pour permettre jusqu’à la nationalisation partielle et provisoire des grandes entreprises pour surmonter la crise liée au coronavirus.
Même avec son déconfinement, l’Allemagne reste très exposée à la récession. Son économie repose essentiellement sur les exportations et se trouve donc fortement ralentie du fait de la pandémie. « L’arrêt brutal de la demande globale, l'interruption des chaînes d’approvisionnement, les changements de comportement des consommateurs et les incertitudes des investisseurs ont des répercussions massives sur l'économie allemande » a précisé le ministre de l’économie. Toutefois, partant du principe que « la situation économique se normalise à nouveau au cours de l'été », les experts prévoient un recul de - 2,8 % du PIB en 2020, partant sur un rebond de croissance à + 3,7 % l'an prochain. A mettre en regard de la croissance entre 0 % et 1 % pour la France.
La politique européenne de Berlin fait (malheureusement) tout autant exception
Face aux difficultés créées par la pandémie, l’Etat allemand ne cède pas au discours martial. Lors de son discours le 16 avril 2020, le président allemand Frank-Walter Steinmeier a rappelé que « la pandémie n’est pas une guerre où les nations s’opposeraient les uns aux autres, mais ‘un test d’humanité’ ». Sur le même ton, la chancelière allemande en appelle à la solidarité européenne. Pour elle, la réponse à cette crise ne peut être que « plus d'Europe, une Europe plus forte et une Europe qui fonctionne bien ».
Ce discours prend le contrepied des mesures nationales prises un mois auparavant. Le 4 mars, alors que l’Italie se trouve dans une situation des plus délicates, le gouvernement allemand décide d’interdire l’exportation de matériels médicaux. Dans Der Spiegel, le ministre des affaires étrangères justifie cette réaction : « C'est comme dans les avions, il faut mettre son masque à oxygène avant d'aider les autres : on a fait les choses dans le bon ordre. ». Pour parachever son repli national, le pays décide le 15 mars de fermer ses frontières avec la France, le Luxembourg, la Suisse, l'Autriche et le Danemark.
Rappelée à l’ordre par la présidente de la commission européenne, Ursula Von der Leyen, l’Allemagne décide fin mars de réorienter son discours vers la solidarité européenne, notamment par l’importation de matériel médical et l’accueil de patients graves d’Italie, de France et des Pays-Bas.
La chancelière en appelle désormais à une Europe plus souveraine notamment dans la production de masques et de matériel médical pour que l’Europe sorte plus forte de cette pandémie.
Cependant la solidarité allemande se heurte aux limites naturelle de l’ordolibéralisme. L’Allemagne rejette en bloc l’idée des corona bonds dès le le Conseil européen du 26 mars. Depuis la crise de la dette souveraine en Zone euro (2010 - 2012), le gouvernement allemand a régulièrement montré son refus de devenir co-responsable des dettes des pays les plus vulnérables sans avoir la moindre possibilité d’influer sur leur politique budgétaire.
L’Allemagne se range là à l’avis d’autres pays du Nord de l’Union européenne, à commencer par les Pays-Bas. Pour Angela Merkel, une autre solidarité est possible en utilisant les instruments européens déjà existants comme le Mécanisme européen de solidarité. Cet instrument créé en 2012 sert à refinancer à moindre coût la dette des Etats et des institutions financières européennes quand les taux d’intérêt s’envolent pour les plus fragiles à cause d’une spéculation sur leur défaut. Cet outil n’est pas un moyen de partager les risques d’entrée de jeu en coupant court à la spéculation entre obligations d’Etat européennes avec une dette commune. C’est le seul outil que le gouvernement allemand accepte d’utiliser dans ces circonstances.
En conséquences, l’appel allemand à la solidarité européenne n’atténue pas la « fureur italienne contre l’Allemagne » comme titre un article du Spiegel. Le quotidien rapporte la colère d’un internaute italien : « Ils nous laissent nous vider de notre sang. ». Aux côtés de la péninsule, la France et l’Espagne reproche l’égoïsme de l’Allemagne, qui semble bien mieux tirer son épingle du jeu par temps de pandémie mondiale.
À moins de trois mois du début de la présidence allemande de l'UE, Berlin devra donc faire un choix : assumer le leadership européen pour sortir de la crise pandémique et ses conséquences économiques, ou s’attirer durablement (définitivement ?) l’ire de ses partenaires européens.