Cet article a été initialement publié sur Le Huffington Post le 24 août 2016.
« Si elle choisit ses juges, il n’y a rien que vous puissiez faire, les gars. Quoique, avec le second amendement, il y a peut-être une solution … »[1]. Quand Donald Trump suggère de recourir à la violence contre Hillary Clinton pour protéger le droit au port d’armes, il n’en est pas à sa première provocation. Cependant, le torrent médiatique déclenché indique qu’il s’agit d’une nouvelle erreur politique : à moins de trois mois des élections, un électeur républicain sur cinq souhaiterait qu’il se retire de la course à la Maison Blanche[2] (sondage Reuters/Ipsos du 9 août). La veille déjà, cinquante Républicains ayant exercé d’importantes fonctions de sécurité nationale dénonçaient dans une lettre ouverte son ignorance et son tempérament instable, qui feraient de lui « le président le plus dangereux de l’histoire des États-Unis ». Le modèle politico-médiatique de Trump est-il en perte de vitesse ? Persona non grata dans son propre camp, devancé par Clinton de 9 points dans les intentions de vote (sondage CNN/ORC) : tout se passe comme si ses propos outranciers commençaient à le desservir, à l’heure où il doit prouver qu’il est « présidentiable ». Malgré tout, Trump constitue un risque réel pour l’Amérique et le monde. Celui, d’abord, qu’il soit élu : son franc parler lui permet d’influencer le récit médiatique. Le danger d’ici l’élection est qu’il parvienne à dicter les termes du débat face à Clinton, alors amenée à se défendre plutôt qu’à donner le ton. Car à moins de cent jours du scrutin, tout n’est pas joué : le premier des trois débats entre Clinton et Trump est prévu pour le 26 septembre ; rappelons qu’en 2012 Barack Obama l’avait raté face à Mitt Romney…
Diviser pour moins bien régner
L’intuition politique de Trump lui a permis d’identifier les sujets sensibles et d’en parler sur un ton abrasif, exacerbant les sentiments identitaires. En annonçant récemment vouloir imposer des « tests de dépistage idéologiques » aux personne souhaitant émigrer aux Etats-Unis, Trump continue à instiller dans le débat public une haine de l’ « Autre » dont les premières victimes sont d’abord les minorités ethniques, religieuses et sexuelles. Populiste assumé, il divise la société américaine et accuse les institutions d’être déconnectées du peuple, bénéficiant d’un degré de défiance sans précédent à leur égard. Il risquerait aussi d’aggraver en quatre ans (voire huit, seuls cinq présidents n’ont pas été réélus au XXe siècle[3]) les conflits internes au « Grand Old Party »[4], déjà très divisé entre modérés, caciques et sympathisants du Tea Party. Cela pourrait avoir des conséquences sur l’ensemble du système politique. Le candidat du Parti libertarian (troisième force politique) Gary Johnson appelle à l’avènement du tripartisme, tendance qui pourrait s’affirmer aux législatives, concomitantes de la présidentielle.
Un programme politique à l’image du personnage : ambigu et peu fiable
Il est difficile d’imaginer à quoi pourrait ressembler une présidence de Trump, tant son programme semble contradictoire. Concernant l’immigration, le candidat ne semble admettre aucune marge de flexibilité, mais sur les autres sujets ses intentions réelles sont difficiles à cerner. Il met l’accent sur le besoin d’assainir les comptes publics et de limiter l’impôt, tout en suggérant une politique fiscale dispendieuse. En voulant nommer des juges non progressistes à la Cour suprême, il demeure attaché aux valeurs conservatrices, mais affirme son soutien à la communauté LGBT notamment suite à la tuerie d’Orlando. S’agissant de politique étrangère, il tient un discours isolationniste tout en faisant des propositions aux accents militaristes et interventionnistes. On peut espérer que Trump se verra obligé de clarifier son programme lors des débats, durant lesquels il sera face à une Clinton parfaitement au fait des dossiers et surentraînée aux argumentaires techniques.
Un risque pour la sécurité nationale … et les équilibres internationaux
Dans une tribune humoristique[5], un journaliste du New Yorker annonce qu’Obama emportera avec lui les codes nucléaires afin de ne pas les laisser entre de mauvaises mains. Une boutade fort révélatrice : l’impulsivité de Trump inquiète. D’anciens combattants d’Irak ou d’anciens fonctionnaires du Département d’Etat et du Pentagone sont abasourdis par ses propos sur la torture ou le fait qu’il sache très bien « faire la guerre »[6]. A leurs yeux, c’est un ignorant qui n’a jamais fait le moindre sacrifice pour son pays. Un Trump « Commander in Chief » rendrait la relation entre les sphères civiles et militaires problématique, le lien avec les armées étant aussi important que délicat. Sa vision de l'Amérique et de sa place dans le monde préoccupe les plus hautes sphères de la sécurité et de la défense. Prônant un rapprochement avec Vladimir Poutine, il n'hésite pas à remettre en cause les systèmes d’alliance américains en Europe et dans le Pacifique, faisant craindre un bouleversement des équilibres mis en place depuis la Seconde Guerre mondiale.
Faux politicien, mauvais businessman
Dans son livre Surviving at the top (1990), Trump explique que « si ce que l’on fait est important, le plus important est avant tout de faire quelque chose ». Mais lorsqu’il s’agit de diriger un pays, la patience n’est-elle pas aussi importante que l’action ? Dès lors, que vaut vraiment le « modèle Trump » ? Le « magnat de l’immobilier » a en fait peu construit mais beaucoup acheté, en empruntant des sommes pharamineuses garanties sur sa fortune. Trump n’est pas un « self-made man » mais un héritier, qui a connu de nombreuses faillites. A chaque effondrement financier il n'est parvenu à rester sur pieds que grâce aux banques. Sa stratégie consiste à vendre son nom comme une marque, et ça marche. Ses partisans prennent à la lettre ses phrases-choc égotiques (« je suis le meilleur »), un style politique à l’image de sa manière de diriger ses affaires : peu de talent, beaucoup d’esbroufe. Son engagement en politique peut d’ailleurs n'être qu'une nouvelle démarche commercial : quelle qu'en soit l'issue, il y aura gagné quelque chose.
Un risque pour l’économie américaine et mondiale
Trump promet aux électeurs ce qu’ils veulent entendre pour « rendre sa grandeur à l’Amérique » : plus d'investissements, de profits, d'emplois, de pouvoir d'achat, une fiscalité moins oppressante, le rétablissement des barrières tarifaires et la fermeture des frontières. Hasardeuses, contradictoires et difficiles voire impossibles à mettre en place, ses propositions créeraient un trou béant dans les comptes publics américains et une importante hausse du chômage. S’ensuivrait une chute du dollar, voire une guerre économique avec la Chine et le Mexique, déstabilisant l’économie mondiale. Selon l’unité de recherche de The Economist, Trump fait partie des 20 plus grands dangers pour l'économie mondiale[7]. Son investiture a même conduit à réévaluer à la hausse le risque représenté par Trump[8], passant d’une intensité de 12 à 16 (sur une échelle de 1 à 20), avant de revenir à 12 suite à sa chute dans les sondages.
Un risque à nuancer mais une influence à long-terme sur le Parti républicain
N'oublions pas que la tradition politique américaine est fondée sur la séparation des pouvoirs. Bien que le Président puisse faire usage de décrets présidentiels ou justifier certaines pratiques propres aux prérogatives du « Commander in Chief », il doit s’assurer le soutien du Congrès, tandis que les millions de fonctionnaires fédéraux ne sont pas forcément malléables. Mais quelle que soit l’issue des élections, la campagne de Trump aura modifié la trame idéologique du Parti républicain à long terme, l'imprégnant de sa virulence populiste. Rappelons-nous 1964[9] où le démocrate Lyndon Johnson avait remporté l’élection avec la majorité la plus écrasante de l’histoire : si le candidat républicain Barry Goldwater avait perdu, ses idées ultra-conservatrices ont profondément imprégné le Parti pour en faire ce qu'il est devenu depuis.
[1] “If she gets to pick her judges, nothing you can do, folks. Although the second amendment people, maybe there is, I don’t know. But I’ll tell you what, that will be a horrible day.” – Déclaration de Donald Trump lors de son meeting de campagne du 9 août à Wilmington, Caroline du Nord.
[2] GELIE Philippe, « Etats-Unis : Trump ne fait plus rire du tout les Républicains », LeFigraro.fr, 10 août 2016 [en ligne], consulté le 18 août 2016 : http://www.lefigaro.fr/elections-americaines/2016/08/10/01040-20160810ARTFIG00038-la-menace-voilee-de-donald-trump-contre-hillary-clinton-declenche-une-tempete.php
[3] William Howard Taft, Herbert Hoover, Gerald Ford, Jimmy Carter et George H. Bush.
[4] Surnom du Parti républicain, aussi appelé “GOP” ou « Parti de l’Eléphant » en référence à son symbole.
[5] BOROWITZ Andy, “Obama Plans To Take Nuclear Launch Codes With Him When He Leaves Office”, The New Yorker, 17 mars 2016 [en ligne], consulté le 18 juillet 2016 : http://www.newyorker.com/humor/borowitz-report/obama-plans-to-take-nuclear-launch-codes-with-him-when-he-leaves-office
[6] KROLL Andy, “Trump At War. How The Military Is Preparing For The Possibility Of A Very Different Kind Of Commander In Chief”, The Huffington Post – Highline : http://highline.huffingtonpost.com/articles/en/trump-at-war/
[7] The Economist Intelligence Unit, “Donald Trump Wins The US Election”, Global Forecasting Service, 16 mars 2016 [en ligne], consulté le 18 août 2016 : https://gfs.eiu.com/Article.aspx?articleType=gr1articleId=2866
[8] The Economist Intelligence Unit, EUI Global Forecasting Service, Août 2016 [en ligne], consulté le 20 août 2016 : https://gfs.eiu.com/Archive.aspx?archiveType=globalrisk
[9] EDWARDS Lee, « Barry M. Goldwater : The Most Consequential Loser in American Politics », Heritage.org, 3 juillet 2014 [en ligne], consulté le 20 août 2016 : http://www.heritage.org/research/reports/2014/07/barry-m-goldwater-the-most-consequential-loser-in-american-politics
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