« Alors que sur le papier le Processus de Kimberley (sur les diamants de conflit) est encore un processus tripartite, en réalité c’est avant tout un organe dominé par les gouvernements dont le but est de protéger les intérêts de leur secteur diamantaire national, avec quelques représentants de la société civile qui sont mis sur la touche » c’est en ces termes que Shamiso Mtisi, président de la Coalition de la société civile, concluait l’assemblée plénière du Processus de Kimberley (PK) le 22 novembre 2019 à New Delhi.
Le Processus de Kimberley est un forum international tripartite réunissant des gouvernements, des représentants de l’industrie du diamant et des membres de la société civile pour encadrer le commerce global de diamants bruts – c’est-à-dire des diamants non-taillés et non-polis – afin d’empêcher la diffusion des « diamants de conflit ».
Selon la définition onusienne, les diamants de conflit sont « des diamants bruts utilisés par les mouvements rebelles pour financer leurs activités militaires, en particulier des tentatives visant à ébranler ou renverser des gouvernements légitimes ».
Souvent pris pour exemple d’initiative multilatérale réussie dans le secteur extractif, mais aussi de diplomatie inclusive, le Processus de Kimberley n’en demeure pas moins perfectible, comme le laisse entendre le discours de Shamiso Mtisi. Le cycle de réformes qui s’est clôturé à New Delhi en 2019 avait pour objectif de pallier les manquements du Système de certification lancé en 2003 par les membres du PK.
Comment fonctionne le Processus de Kimberley ?
Le Système de certification du Processus de Kimberley (SCPK) entend éradiquer le commerce des diamants de conflit, principalement en standardisant et en intensifiant les contrôles douaniers aux points d’exportation et d’importation des diamants bruts dans les États participants. Des contrôles internes sont également prévus dans les pays producteurs pour assurer la traçabilité des diamants depuis leur lieu d’extraction jusqu’à leur point d’exportation.
Un peu à la manière du G7 ou du G20, le PK ne possède ni siège, ni personnel, ni budget propres. Ses travaux s’organisent de manière décentralisée, dans sept groupes de travail et comités, autour de la présidence tournante annuelle. Durant le cycle de révisions et de réformes, le PK a été présidé par l’Australie (2017), l’Union européenne (2018) et l’Inde (2019). En 2020, il est présidé par la Russie.
La participation au SCPK se fait sur une base volontaire et est réalisée par l’inclusion d’une série de normes minimales dans le droit national de ses membres. Il n’existe pas à ce jour de mécanisme permettant de sanctionner les membres PK en cas de non-respect de ces standards.
Quand le Conseil de sécurité des Nations Unies décrète un embargo sur l’exportation de diamants bruts en raison d’un conflit, comme c’est par exemple le cas en République centrafricaine, le Processus de Kimberley entre en scène pour s’assurer de la bonne mise en œuvre de cet embargo.
Depuis sa création, le Système de certification du Processus de Kimberley est la cible de nombreuses critiques émanant des ONG et membres de la société civiles. Elles sont de deux ordres et concernent, d’un côté, les faiblesses internes du SCPK et, de l’autre, l’étendue et la nature du mandat du PK.
Absence de contrôles effectifs ou de sanctions… le Processus de Kimberley face à la critique fonctionnelle
Tout d’abord, certaines ONG dénoncent l’absence de contrôles efficaces sur le terrain dans les contextes où l’extraction des diamants se fait de manière artisanale. Par exemple, les ONG Global Witness et Impact ont toutes les deux montré que des diamants bruts franchissaient illégalement la frontière entre la République centrafricaine et le Cameroun, afin d’être exportés sous un certificat camerounais. Ce cas est d’autant plus marquant que les diamants bruts de République centrafricaine sont aujourd’hui les seuls « diamants de conflit » selon la définition de l’ONU.
Ensuite, certaines ONG regrettent le fait que le SCPK n’ait pas pu prévenir, et qu’il soit même utilisé pour mettre en œuvre, des pratiques d’évasion fiscale. En Belgique, par exemple, l’affaire Omega Diamonds a fait couler beaucoup d’encre. Cette société belge importatrice de diamants faisait transiter des diamants angolais par Dubaï en surévaluant la valeur des pierres – une bonne partie des recettes restaient donc aux Émirats arabes unis, invisibles aux yeux des services fiscaux du pays importateur final, la Belgique. À Dubaï, toujours selon les enquêteurs, de faux certificats de Kimberley étaient émis afin d’exporter les pierres vers l’Afrique du Sud, et ensuite vers Anvers. Le montant de cette fraude fiscale s’élèverait 2,3 milliards d’euros. L’enquête lancée en 2006 se soldera par un règlement à l’amiable entre le gouvernement belge et Omega Diamonds, et la plus grande transaction pénale de l’histoire belge. Le dossier a cependant été rouvert en mars 2019 à la cour d’appel de Gand…
Ainsi, certaines ONG, parmi lesquelles Justice et Paix, regrettent la faiblesse des contrôles de la mise en œuvre du SCPK, ainsi que l’absence de sanctions en cas de non-respect du SCPK. En effet, le contrôle de la mise en œuvre est effectué par les membres du Processus de Kimberley lors de « visites de contrôle » organisées tous les trois ans environ dans chaque État membre, sur une base volontaire. Après ces visites, des recommandations peuvent être formulées mais aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect de la mise en œuvre des normes minimales du SCPK.
Projet ambitieux au périmètre limité : le Processus de Kimberley face aux critiques conceptuelles
Peu de temps après le lancement du Système de certification du Processus de Kimberley, des membres de la société civile ont rapidement regretté l’étroitesse de la définition onusienne des « diamants de conflit », et a fortiori du mandat du Processus de Kimberley.
D’une part, les ONG attirent l’attention sur l’absence de contrôle sur toute une partie de la chaîne d’approvisionnement du diamant. En effet, le SCPK ne s’intéresse qu’aux diamants bruts. Une fois que les pierres sont taillées et polies, elles échappent à son contrôle. Dès 2005, Global Witness met en garde contre la possibilité d’introduction de diamants de conflit à d’autres étapes de la chaîne d’approvisionnement que celle de l’import-export de diamants bruts.
D’autre part, et c’est la critique la plus connue du SCPK, les membres de la Coalition de la société civile, mais également du World Diamond Council, qui représente l’industrie du diamant au sein du PK, regrettent le fait que la définition des « diamants de conflit » ne prenne pas en compte l’évolution de la nature des violences entourant l’extraction des diamants depuis vingt ans.
Presque chaque année depuis 2003, soit après la fin de la guerre civile et le lancement du SCPK, le gouvernement angolais organise l’expulsion de milliers de migrants congolais illégaux travaillant comme creuseurs dans les champs diamantifères. D’après un rapport de l’ONG Human Rights Watch, ainsi que de récentes révélations de la Coalition de la société civile, ces expulsions, justifiées par la volonté du gouvernement de vouloir mettre en œuvre le SCPK, donnent lieu à de multiples exactions.
En 2006, la découverte de nouveaux gisements à Marange (Zimbabwe) attire un très grand nombre de creuseurs dans la région. Rapidement, le chaos s’installe et les diamants bruts quittent le territoire zimbabwéen de manière clandestine en direction de l’Afrique du Sud. Pour remédier à cela, Harare envoie la police, et puis l’armée, pour rétablir son contrôle sur la région. Les travailleurs illégaux sont massacrés ou exploités par les forces de l’ordre pour trouver des diamants. Face à l’indignation de la communauté internationale, le Processus de Kimberley décidera d’interdire l’exportation de diamants de Marange en 2010, en parallèle aux sanctions européennes et états-uniennes visant les entreprises extractrices de diamants de la région.
Les exemples de l’Angola et du Zimbabwe montrent que les exactions commises dans le cadre de l’extraction des diamants ne sont pas seulement le fait de groupes rebelles, mais peuvent aussi être commises par des gouvernements dits « légitimes ». Par ailleurs, certains ont rapporté le fait que ces violences pouvaient également être commises par des sociétés militaires privées.
Ainsi, pour le centre de recherche anversois IPIS, le Processus de Kimberley « néglige non seulement de nombreux types de violences et de conflits, tels que les violences sexuelles, la torture ou les traitements inhumains, qui ne financent pas les guerres contre les gouvernements. Il néglige également les abus commis par des acteurs autres que les rebelles, particulièrement les forces de sécurité publiques et privées ».
Vers une nouvelle méthode pour la nouvelle décennie ?
En décembre 2019 s’est clôturé à New Delhi le cycle de révisions et de réformes entamé trois ans plus tôt en Australie. Tous les cinq à six ans depuis sa création, le Système de certification du Processus de Kimberley (SCPK) entreprend ce type d’exercice. Durant celui-ci, le président du PK peut jouer un rôle moteur plus ou moins important. Si l’Union européenne s’est montrée très proactive lors de sa présidence en 2018, ce fut moins le cas de l’Australie et de l’Inde, présidentes en 2017 et 2019.
Durant ce cycle de réformes, les participants au Processus de Kimberley se sont attelés à quatre grands dossiers visant à réformer le Système de certification.
Tout d’abord, les participants ont évalué la possibilité de créer un secrétariat permanent qui assurerait le suivi administratif des dossiers entre les présidences annuelles, ainsi que la mémoire institutionnelle du PK. Il s’agit d’un des dossiers sur lequel les discussions ont le plus avancé au cours de ce cycle de révisions et de réformes. Cependant, lorsque la question de la localisation du secrétariat a surgi lors de la plénière de New Delhi, les discussions ont pris un tournant très politique : cinq pays se sont portés volontaires (l’Autriche, le Botswana, la République populaire de Chine, la Russie et les États-Unis) et les membres du PK n’ont pas pu statuer sur la localisation du secrétariat permanent. La réflexion sera toutefois poursuivie durant la présidence russe de 2020, et une décision devrait être prise durant l’assemblée plénière de fin 2020.
Le deuxième axe de réforme est l’amélioration du système de contrôle par les pairs. La mise en œuvre du SCPK dans chaque État membre est contrôlée tous les trois ans environ par une délégation du PK, idéalement tripartite. La rigueur des contrôles varie d’une visite à l’autre. Les réflexions visant à l’amélioration de ce mécanisme ont donné lieu à l’adoption d’une nouvelle décision administrative à New Delhi. Outre un renforcement du système de contrôle, la grande nouveauté est d’inclure la possibilité pour les gouvernements de superviser la bonne mise en œuvre du Système de garanties du WDC (ou autre système similaire), qui est un système volontaire proposé par l’industrie du diamant. Les entreprises ayant décidé de le rejoindre doivent mettre en œuvre une série de bonnes pratiques dans leur commerce de diamants et rendent des comptes au WDC. Jusqu’à présent, seul le gouvernement belge vérifiait la bonne mise en œuvre de ce système par les entreprises de son pays qui avaient décidé de le rejoindre.
Le troisième axe de réforme concernait la création d’un fonds d’affectation spéciale multi-donateurs ou multi-donor trust fund qui devait permettre, à l’origine, aux membres de la société civile ne disposant pas de moyens financiers suffisant de participer aux réunions du PK. Certains s’inquiètent cependant de la possibilité de politisation de ce fonds : qui attribuerait les financements ? Le Processus de Kimberley, lui-même contrôlé par les gouvernements ? Le financement bénéficierait-il uniquement aux membres de la société civile ou pourrait-il s’étendre à d’autres acteurs ou projets ? Ces questions demeurent ouvertes et cette réflexion devraient se poursuivre cette année.
Le quatrième axe de réforme est la révision du document fondateur du SCPK. Ce document, adopté en 2003, a été complété au fil du temps par une série de décisions administratives. Celles-ci sont nombreuses et parfois contradictoires. Un travail de rationalisation formelle, de refonte du texte fondateur et de ces décisions administratives, était donc essentiel.
Un sous-dossier de ce quatrième axe est responsable du gel de la plupart des discussions durant la plénière de New Dehli : l’élargissement du champ d’application du Processus de Kimberley. Grâce au rôle de facilitateur joué par l’Union européenne, la Coalition de la société civile et le World Diamond Council se sont mis d’accord en 2018 sur une proposition de nouvelle définition des « diamants de conflit ». Cette proposition, portée par le Canada lors de la plénière de Bruxelles en 2018, allait beaucoup plus loin que la définition onusienne en prenant en compte des violences de diverses natures, ainsi que celles commises par d’autres acteurs que les groupes rebelles.
Si, à New Delhi, la majorité des pays d’Afrique sub-saharienne se sont joints à la proposition du WDC et de la Coalition de la société civile (CSC), quelques États refusent encore tout changement de définition. La prise de décision au sein du PK se faisant par consensus entre les gouvernements, donc à l’exclusion de la CSC et du WDC, une seule objection suffit pour geler toute prise de décision.
D’aucuns avaient espéré prolonger le cycle de révisions et de réformes d’une année afin d’avancer sur ces dossiers brûlants, mais ce cycle s’est formellement terminé en novembre à New Delhi. Ces questions ont cependant été ajoutées à l’agenda des discussions de l’année 2020, les participants du PK ayant reconnu la nécessité de poursuivre ces réflexions.
Élise Rousseau, Fellow de l’Institut Open Diplomacy est aspirante FNRS et doctorante en Science politique à l’Université de Namur. Elle est l’auteure de l’ouvrage Le Processus de Kimberley et la lutte contre le commerce des « diamants de sang ».