Une séquence de politique étrangère particulièrement dense vient de s’achever avec l’enchaînement des sommets du G7, de l’OTAN, de celui entre les Etats-Unis et l’Union Européenne, et, pour finir, la rencontre bilatérale entre les États-Unis et la Russie. Il ne faut pas en minimiser l’importance pour la communauté transatlantique et les démocraties en général. À deux titres : celui de la forme et celui, curieusement passé inaperçu, du contenu. Car si l’exercice de communication était nécessaire, il ne doit pas occulter quelques décisions importantes, qui annoncent parfois un tournant.
En moins d’une semaine, de Carbis Bay à Genève, nous avons d’abord assisté à l’enterrement officiel des quatre années de division et de chaos géopolitique provoquées et entretenues par Donald Trump. Le soulagement était perceptible chez les dirigeants européens, même si le traumatisme transatlantique provoqué par l’ex-président américain ne doit pas être oublié et leur servir d’alerte, à l’avenir, pour une défense lucide de leurs intérêts stratégiques.
Le sommet de l’OTAN : la fin des dissensions ?
Le sommet de l’OTAN a été celui d’une solidarité retrouvée. On était bien loin, à Bruxelles le 14 juin dernier, des tensions qui avaient émaillé la précédente réunion des chefs d'États et de gouvernements de l’Alliance en décembre 2019. Celles-ci avaient en effet mis en exergue un manque d’unité politique au sein de l’organisation. Le communiqué final en date du 14 juin mérite évidemment une lecture attentive, et pas seulement par les « NATO geeks ». Pas moins de quatorze paragraphes du document sont consacrés à la Russie dont les actions déstabilisatrices sont qualifiées de menaces et rappelées de manière exhaustive. Cet état des lieux permet d’adresser à Moscou un message dont il faut constater la fermeté croissante, sommet après sommet, mais aussi de renforcer la posture militaire de l’Alliance.
Sans être qualifiée de menace, la Chine est pointée du doigt pour son comportement, considérée pour la première fois par l’OTAN comme un « défi » pour l’état de droit et la sécurité internationale, même si, à ce stade, il est exclusivement question de nécessité de dialogue, d’information mutuelle et de transparence avec Pékin. Au-delà de ce constat légitime, on peut d’ailleurs douter de l’intérêt pour l’Alliance de s’impliquer plus avant, notamment en termes de posture militaire. L’organisation perdrait sans doute en efficacité à vouloir disperser ses efforts.
Les observateurs avertis devront suivre, bien sûr, le lancement des travaux du nouveau concept stratégique de l’Alliance, qui sera soumis à l’approbation des chefs d'États et de gouvernements à l’occasion du prochain sommet. L’actuel document date en effet de 2010, avant l’annexion de la Crimée, la guerre du Donbass, l’embrasement de la Syrie, la vague des attentats terroristes en Europe, la militarisation des îlots de la mer de Chine méridionale… Les trois tâches fondamentales de l’OTAN - défense collective, gestion de crise, coopération de sécurité - seront maintenues, même si on peut légitimement s’attendre à une accentuation des efforts en soutien de la première d’entre elles, là où l’Alliance offre sa plus forte valeur ajoutée.
Enfin, l’insistance du communiqué sur l’importance de la fonction « consultation et dialogue politique » de l’Alliance Atlantique met paradoxalement en exergue ce qui est sans doute aujourd’hui la plus grande faiblesse de l’organisation au sortir des années Trump. A cet égard, le traitement de la divergence stratégique opérée par la Turquie d’Erdogan, qui impacte les intérêts de sécurité des autres membres de l’Alliance, constituera l’un des tests pour cette fonction consultation.
L’Union Européenne vue comme un partenaire
Coincé entre le sommet de l’Alliance et la rencontre Biden-Poutine de Genève, le sommet du 15 juin entre les Etats-Unis et l’Union Européenne aura moins attiré l’attention des médias. Pourtant, cette rencontre aura été porteuse d’une substance tout à fait intéressante. On est ainsi frappé, dans la déclaration conjointe, par le volontarisme mutuel affiché et le nombre d’initiatives concrètes décidées dans le contexte du lancement d’un « agenda transatlantique », focalisé notamment sur les questions de santé, de lutte contre les effets du changement climatique, de défense de la démocratie, et de déconfliction commerciale, technologique et normative. La décision la plus emblématique est peut-être celle de la mise sur pied d’un conseil bilatéral de haut niveau pour le commerce et la technologie (Trade and Technology Council – TTC) auquel est attribué une ambitieuse feuille de route (dialogue, partage d’information, coopération, régulation…). Il s’agit d’une avancée importante qui constitue une rupture avec le climat d’hostilité instauré par Donald Trump.
La proximité redécouverte entre les Etats-Unis et l’Europe sur la question des valeurs, ainsi que l’annonce d’un partenariat dans le cadre du futur sommet pour la démocratie, est un autre marqueur important de la réunion du 15 juin, tandis que le volet géopolitique de la déclaration conjointe aborde les défis posés par la Chine, la Russie, l’Iran, la Biélorussie et d’autres régimes pour les droits humains et la sécurité internationale.
Une avancée plus surprenante est la partie de la déclaration consacrée à l’Europe de la défense et à la contribution de celle-ci à la sécurité transatlantique. Pour la première fois en effet, les Etats-Unis affirment vouloir s’engager dans un dialogue bilatéral spécifique et coopérer avec l’Union Européenne sur les questions de défense : participation des USA à certains projets de la coopération structurée permanente, et travail conjoint sur les conditions et modalités d’un arrangement administratif avec l’agence européenne de défense. La signification de cet engagement est importante : le dialogue transatlantique sur les questions de défense n’est désormais plus l’exclusivité de l’OTAN. En d’autres termes, il s’agit d’une reconnaissance par Washington de l’atteinte d’une certaine maturité par l’Union Européenne dans le domaine de la défense.
Un message à la Russie
Fort de l’unité affichée avec ses partenaires européens au G7 puis à Bruxelles, véritable changement de paradigme après l’ère Trumpienne, Joe Biden s’est rendu à Genève en minimisant d’emblée ce que certains pouvaient attendre de sa rencontre avec Vladimir Poutine. Un entretien en deux temps et relativement court, un cérémonial très épuré, pas de déjeuner ni de conférence de presse conjointe ont été quelques-unes des caractéristiques de cette rencontre minimaliste dont l’objectif était de passer plusieurs messages au maître du Kremlin, « les yeux dans les yeux », comme celui d’un avertissement solennel des Etats-Unis en cas de nouvelle cyber-attaque russe contre des infrastructures américaines essentielles. La tonalité de cette rencontre aura donc été bien différente de celle d’Helsinki en juillet 2018, où Donald Trump – idiot utile, marionnette consentante ou bien objet d’un kompromat - avait publiquement pris parti pour le dictateur russe contre ses propres services de renseignement.
Des lendemains nécessairement vigilants
Finalement, s’il faut évidemment se réjouir de la clôture du chapitre international indécent écrit par le prédécesseur de Joe Biden, les relations transatlantiques ne se transformeront pas pour autant en un long fleuve tranquille. D’une part l’unité affichée par la communauté euro-atlantique ne diminue en rien les dangers politiques et les vulnérabilités sociétales qui pourraient se développer au cours des prochaines années ; d’autre part on ne peut exclure l’accentuation d’un lent décalage stratégique dans les priorités de sécurité entre les deux rives de l’Atlantique.
La société américaine, plus que jamais divisée, rongée par le sectarisme et le complotisme, n’est pas à l’abri du retour en 2024 ou en 2028 d’un leader disruptif et promoteur d’une Amérique unilatérale. En Europe, des forces politiques illibérales, des populistes ou des charlatans, déjà à l’œuvre en Hongrie ou au Royaume-Uni, fragilisent la cohésion entre les démocraties du Vieux Continent. La possibilité de voir la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur tomber dans quelques jours aux mains d’un politicien VRP d’une puissance étrangère hostile à la France n’est pas une perspective plus rassurante.
Et, sans aller jusqu’aux pires scénarios de divergence, une même perception des intérêts stratégiques de chaque côté de l’Atlantique, mais aussi entre les Européens eux-mêmes, ne constitue pas non plus un acquis. Le dossier Nord Stream 2, le décalage de tonalité vis-à-vis d’une Chine prédatrice, l’exemption des banques autrichiennes du régime de sanction de l’UE vis-à-vis de la Russie sont quelques signaux révélateurs de la relative fragilité du consensus transatlantique et intra-européen affiché aujourd’hui.
Surtout, la question de l’opérationnalisation concrète de la relance transatlantique reste ouverte. Il faudra bien sûr en assurer un suivi attentif et exigeant. C’est aujourd’hui que tout (re)commence !
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Patrick Chevallereau est Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy et travaille principalement sur les questions européennes de défense et les enjeux de la relation transatlantique.