De nombreuses instance de coopération internationale ont émergé au XXe siècle pour gérer, à l’échelle planétaire, une crise sanitaire de grande ampleur. Ce système, loin d’être optimal, comporte aujourd’hui de nombreuses failles. La pandémie de coronavirus révèle chacune de ces défaillances jusqu’à remettre en question le système international lui-même. En revanche, l’étude historique de ces phénomènes nous amène à penser que, mondialisation économique ou non, le risque pandémique est un invariant de l’humanité.
Les bases internationales ont été posées après la grippe espagnole
Historiquement, cette souche H1N1 de la grippe se serait développée aux Etats-Unis au printemps 1918 et se serait répandue sur la planète par différents flux de soldats et de marchandises qui transitent alors dans le contexte de la Première guerre mondiale.
La grippe espagnole a connu trois vagues épidémiques entre le printemps 1918 et le début 1920 et a fini par disparaître, vraisemblablement à la suite d’une mutation du virus en une souche moins agressive. Il aurait fallu entre 6 et 9 mois pour atteindre un niveau de contamination pandémique, et la plupart des historiens s’accordent sur le fait qu’elle a fait plus de victimes que la Première guerre mondiale elle-même.
Cette pandémie permet de comprendre notre situation contemporaine. En effet, elle jette les bases d’une entraide internationale entre Etats dont les structures politiques sont toujours actuelles. En 1919 notamment, avec la naissance de la Société des Nations, apparaît un comité d’hygiène international, fruit d’une prise de conscience liée à la grippe espagnole. Il préfigure l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) créée en 1948.
Les disparités économiques continuent de fragiliser le système sanitaire international
Avec la création de l’OMS en 1948, l’enjeu sanitaire devient un enjeu diplomatique à part entière car la communauté internationale reconnaît la santé comme un droit fondamental de la personne humaine.
Les Etats décident alors de consacrer un budget à la recherche et à la protection sanitaire car ils ont pris conscience de la capacité destructrice d’un agent infectieux au sein d’un foyer de population.
La Guerre froide a démontré les premières menaces d’armes bactériologiques et souligné l’impuissance des Etats à pouvoir se protéger contre ce type de menace sans coordination internationale.
Face à de tels risques, des mesures sont prises. À échelle nationale, chaque Etat développe des protocoles à suivre en cas de crise. On peut citer en France la création du plan bleu en 2003 ou du plan blanc en 2004. À l’échelle internationale, des conventions sont signées, comme la convention sur les armes biologiques de 1972, et le Règlement Sanitaire International est révisé régulièrement.
Avant l’apparition de ces instances sanitaires internationaux, la coopération médicale se limitait à des colloques scientifiques. Elle prend aujourd’hui de nombreuses formes :
- La recherche scientifique est mise en partage, y compris pour accélérer le développement et le test de vaccins, comme c’est le cas pour le COVID-19.
- La coopération hospitalière permet le soulagement à court-terme des hôpitaux saturés dans certaines régions transfrontalières, entre la France, l’Allemagne et la Belgique par exemple.
- Les Etats peuvent s’entraider sur le plan matériel. Par exemple, la Chine, la Russie et même Cuba ont récemment envoyé des médecins et du personnel soignant vers l’Italie afin d’aider au mieux à gérer l’afflux de malades.
Mais malgré tout, des disparités sont à observer entre régions du monde si l’on regarde les investissements en matière de santé. C’est ainsi que l’on redoute, aujourd’hui la propagation de la pandémie de coronavirus vers l’Afrique où les moyens techniques et sanitaires sont jugés insuffisants par les gouvernements locaux.
L’ordre sanitaire international butte sur les écueils habituels du multilatéralisme
De l’impréparation mondiale à la désinformation internationale, des rivalités aux conflits ouverts, le multilatéralisme sanitaire butte sur une première défaillance : il est d’abord et avant tout fondé sur la bonne volonté de ses membres. Le repli national fragilise donc ce système d'interdépendance. Cet exemple en est le plus frappant : quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni a refusé de participer à un programme européen de commande de matériel médical à un prix avantageux pour lutter contre le COVID-19, Londres faisant déjà « ses propres efforts ».
La deuxième défaillance tient à sa difficulté à évaluer le risque sanitaire lui-même. L’OMS a pour responsabilité de déterminer s’il existe un risque planétaire ou non. L’organisme a tardé à déclarer l’état d’urgence sanitaire et à avertir sur les risques encourus, à cause de divisions au sein du comité d’urgence. Cela s’est traduit par de mauvaises décisions : dans un communiqué du 27 janvier, l’OMS déconseillait aux autres pays de restreindre le trafic aérien avec la Chine, ce qui a énormément contribué à la propagation du virus.
Cette deuxième défaillance va d’ailleurs renforcer la première. Désormais, les Etats-Unis, principaux bailleurs de l’OMS, vont se retirer de l’agence onusienne et de son financement et donc fragiliser encore plus la coopération internationale.
L'échec pourrait venir du manque de fiabilité des informations partagées à l'international
Depuis la grippe espagnole de 1918 - 1920, le chemin parcouru par un siècle d’évolutions géopolitiques est riche d’enseignements.
1918 c’est d’abord la fin d’une guerre mondiale, où la reconnaissance d’une épidémie dans ses rangs donne un avantage à l’ennemi. Ceci explique qu’une grippe vraisemblablement issue des Etats-Unis soit finalement présentée comme “espagnole”... car l’Espagne était le premier pays dont les médias, non-mobilisés par la guerre, ont révélé le caractère exceptionnel de la maladie qui frappait ses sujets.
Cela nous rappelle à quel point l’information, si possible aussi indépendante que pluraliste et fiable, joue un rôle crucial dans la gestion d’une telle crise. La censure voire la désinformation (comme ce fût le cas sur la grippe de Hong-Kong qui a tué 35 000 Français entre 1968 et 1979) sont un danger démocratique, y compris en matière de santé publique.
Aujourd’hui, l’objectif de transparence doit donc nous guider. Le débat fait rage sur la fiabilité des informations fournies par de nombreux pays depuis le début de cette crise. C’est aussi l’héritage de la façon qu’elle a eu de gérer la crise du SRAS en 2003.
Face à l’ensemble de ces défaillances, nous sommes tenus de réagir. Pour le 75e anniversaire des Nations unies, nous aurions pu célébrer la naissance et la montée en puissance d’un système sanitaire international mais celui-ci reste à parachever. La pandémie de coronavirus nous le rappelle violemment. Incomplet, il ne permet pas de réagir résolument et rapidement ; il n’y a pas à l’heure actuelle de réponse globale pour endiguer la pandémie.
Mais il ne faut pas s’y tromper. L’Histoire nous invite à relativiser nos intuitions. La mondialisation économique n’a pas rendu le risque sanitaire plus lourd. La preuve : en 1918, la grippe espagnole s’est diffusée à toute la planète en seulement deux mois de plus que le COVID-19. En réalité, la globalisation, fondée sur des interdépendances économiques et financières plus fortes, nous oblige à mieux coordonner les gestions de crise, car elle aggrave les conséquences économiques de la crise pandémique.