Petit rappel
- Octobre 2007 : Le Président Nicolas Sarkozy lance une conférence autour des questions de climat et de pollution. C’est le Grenelle de l’environnement. À l’issue de cette conférence, le gouvernement s’entend sur la création d’une « une éco-redevance kilométrique pour les poids lourds » (éco-taxe).
- Septembre 2012 : Le Président François Hollande voulait faire de la France « la nation de l’excellence environnementale ». La même année, un comité pour la fiscalité écologique a été créé dans le but d’évaluer les politiques fiscales écologiques et afin de conseiller les décideurs politiques.
- La fiscalité écologique représente toutes les taxes portant sur des produits ou des actifs ayant des effets nuisant à la qualité de l’environnement. Également, la fiscalité environnementale concerne les dépenses fiscales favorisant le développement durable et/ ou les dépenses de redistribution des recettes. En 2016, selon Eurostat, l’ensemble des taxes environnementales représentait 51,2 milliards d’euros de recettes pour l’État.
- Novembre 2016, le projet d’une éco-redevance est abandonné à la suite de violentes manifestations. Deux ans plus tard, le mouvement des « gilets jaunes » est l’expression forte d’un mécontentement social autour de la hausse du prix des carburants. Ainsi, faces à ces difficultés politiques, la fiscalité écologique est-elle un bon outil afin de favoriser la préservation de l’environnement et la transition écologique ? Finalement, quel bilan peut-on faire et quelles sont les perceptives en matière de fiscalité environnementale ?
La fiscalité écologique est nécessaire
Elle permet de modifier les comportements
En matière environnementale, la fiscalité incite les agents à adopter des comportements plus respectueux de l’environnement. Pour les entreprises, elle consiste par exemple à imposer une taxe dont le montant dépend des émissions de gaz à effet de serre. La fiscalité conduit alors les agents à égaliser le coût marginal associé à l’effort de dépollution au bénéfice marginal de ce dernier. En d’autres termes, les agents vont réduire leurs émissions tant qu’il est moins coûteux pour eux de dépolluer plutôt que de supporter la taxe. La fiscalité conduit de ce fait à l’égalisation des coûts marginaux de dépollution. Le prix du carbone semble donc être un bon outil pour orienter les décisions des agents vers des solutions moins polluantes. Il s’agit là du principe du pollueur-payeur énoncé par Arthur Cecil Pigou, consistant à faire supporter au pollueur le coût de l’externalité qu’il génère pour l’ensemble de la société. On parle également de « signal prix » pour qualifier ces effets incitatifs.
La taxation introduit alors une distorsion en modifiant les prix relatifs, mais cette distorsion est souhaitée dans la mesure où elle vient corriger une défaillance du marché. A titre d’exemple, d’après une enquête du Ministère de l’Economie, une hausse de 10% des taxes sur la consommation d’énergies fossiles permet de réduire de 6% leur consommation à long terme. Enfin, la fiscalité environnementale impacte également le comportement des ménages. En renforçant le poids des factures d’énergie des ménages, les taxes écologiques incitent à réduire la consommation de produits énergétiques. Par exemple, la tarification incitative des déchets fait supporter aux ménages le coût du service d’enlèvement des déchets. Plus un ménage produit de déchets, plus il sera facturé. Cette mesure touche 5 millions de Français et a d’ores et déjà permis de réduire de 30% le volume de la poubelle grise, d’après une étude du Ministère de la transition écologique et solidaire.
Elle permet de nombreuses recettes fiscales
La fiscalité écologique a d’autres avantages. En effet, elle permet de générer de nombreuses recettes. Ces recettes peuvent alors être redistribuées dans l’économie en vue d’améliorer la situation sociale et économique des agents. On parle alors du « double dividende ». Le premier dividende est alors écologique et le second est économique. En 2016, les recettes de l’État tirées des taxes environnementales étaient de 51,2 milliards d’euros. Avec 28,456 milliards d’euros de recettes, la TICPE se situe au premier rang en matière de fiscalité environnementale. Parry (1995) avait déjà montré que redistribuer ces recettes fiscales permettait de compenser les pertes de pouvoir d’achat des ménages et de réduire les hausses des coûts des entreprises. C’est par exemple le cas en France avec le chèque énergie et la mise en place du CICE dès 2013.
Enfin, il peut être possible d’utiliser ce dividende économique afin de financer des investissements écologiques. Un article de l’OFCE montre alors qu’il faut rapporter le montant des recettes fiscales environnementales au montant des dépenses de protection de l’environnement pour mesurer « l’effort financier pour prévenir et réduire les dégradations de l’environnement ». Or , en 2012, celles-ci s’élèvent à 47,5 milliards d’euros soit 2,27 % du PIB. Il semblerait alors que le gouvernement s’oriente plus vers une politique de redistribution des gains en faveur d’une baisse du « coût du travail ».
Des résultats encourageants mais…
Malgré ces avantages, la mise en place de la fiscalité écologique n’est pas chose facile. En effet, la détermination du coût marginal social sur lequel le montant de la taxe est censé reposer est loin d’être aisée. Cela supposerait en effet de pouvoir mesurer parfaitement le coût pour la société des dommages associés aux activités polluantes. Le montant de la taxe est souvent celui qui permet de limiter les émissions à un certain niveau, respectant les engagements internationaux. Or, les taxes reposent sur la mesure de l’élasticité des émissions de gaz carboniques à la fiscalité et induit ainsi une forte incertitude quant aux résultats attendus en termes de réduction effective des émissions.
Au niveau des entreprises, les taxes sur le carbone sont également à l’origine de distorsions de concurrence. En effet, à l’échelle nationale, ces taxes touchent davantage certains secteurs spécifiques tels que celui de l’industrie, des transports. Or elles permettent de financer des baisses d’impôts qui profitent à bien plus de secteurs selon un récent rapport de Fipeco. Finalement, la France a encore des progrès à faire.
Selon un rapport de la Commission européenne (2016), les taxes environnementales représentaient 4,9% des prélèvements obligatoires en France, contre près de 9% aux Pays-Bas. Nous remportons ainsi l’avant-dernière place du classement européen. Des progrès significatifs restent également à faire en matière de transparence dans la mesure où seulement 20% des recettes issues des taxes sur les carburants contribueraient directement au financement de la transition énergétique. Une plus grande transparence sur l’utilisation des recettes et les objectifs visés est ainsi nécessaire pour réconcilier la légitimité des mesures établies et leur compréhension par le contribuable (OFCE). La France semble néanmoins emprunter la bonne direction avec l’annonce récente d’un soutien renforcé au développement des énergies renouvelables à hauteur de 8 milliards d’euros.
La fiscalité écologique est pourtant décriée
Des effets négatifs sur l’activité
La fiscalité écologique peut mener à une augmentation des coûts de production. En effet, elle comprend les taxes (véhicules de société, activités polluantes) qui sont susceptibles de se reporter sur les coûts de production des entreprises. Or, une telle hausse des coûts pourrait porter atteinte à la compétitivité des entreprises françaises. Dès lors, de nombreuses voix s’élèvent contre la fiscalité écologique sous prétexte que celle-ci découragerait l’activité et encouragerait les délocalisations. En effet, il existe un dumping fiscal et environnemental.
Cette préoccupation est d’autant plus importante que les secteurs français les plus polluants, comme l’industrie, sont déjà soumis à une très forte concurrence internationale. Le manque de coordination fiscale à l’échelle internationale induit ainsi des distorsions de concurrence susceptibles d’inciter certaines entreprises à se tourner vers le dumping environnemental. La question de l’harmonisation fiscale entre les pays semble alors primordiale pour prévenir ce genre de comportements. Finalement, la prise en compte des intérêts à court terme (les coûts) fait oublier les objectifs initiaux de la fiscalité écologique (préserver l’environnement). Ces dites pertes de compétitivité doivent cependant être nuancées. En effet, les hausses des coûts pour les entreprises à forte intensité énergétique peuvent être fortes mais elles ont souvent la possibilité de modifier leurs méthodes de production afin d’atténuer les effets de la taxation (Martin, 2014).
Des effets négatifs sur le pouvoir d’achat et les inégalités
La fiscalité écologique semble également pénaliser les consommateurs. Elle renchérit le prix de consommations que l’on peut juger comme incompressibles. Ruiz et Trannoy montrent que les biens les plus touchés sont généralement liés à des dépenses dites restrictives, qui répondent à des besoins primaires (le chauffage, le carburants, l’eau…). Or ces biens sont peu facilement substituables. Si le prix du carburant augmente, il est difficile d’orienter la consommation vers d’autres biens non taxés et moins polluants. Or, les ménages les plus pauvres ne disposent souvent pas des marges de manoeuvre budgétaires nécessaires pour investir dans un véhicule ou un mode de chauffage moins polluant. La possibilité de substitution est alors faible. Plus les ménages sont aisés, plus il est facile pour eux d’investir dans d’autres biens moins taxés. Ainsi, l’effet substitution est positif pour ces ménages.
Finalement la fiscalité écologique semble toucher inégalement les ménages et pénaliser le pouvoir d’achat des plus modestes. Par exemple, une étude menée par l’OFCE montre que l’impact de la fiscalité sur l’énergie « pèse cinq fois plus en proportion du revenu pour les 10% des ménages les plus modestes que les plus aisés ». La crise récente liée au mouvement des “gilets jaunes” peut être interprétée de cette façon. La fiscalité verte semble générer des inégalités écologiques.
Face à ces difficultés, différentes mesures sont mises en oeuvre
Les pouvoir publics ont développé différentes mesures dans le but d’atténuer ces effets. Ces mesures peuvent se décomposer en deux : celles prises afin de préserver la compétitivité des entreprises et celles décidées afin de soutenir le pouvoir d’achat des Français. l’Etat a fortement soutenu la compétitivité des entreprises françaises en cherchant à diminuer le coût du travail pour les entreprises tout en taxant les activités les plus polluantes (CICE). De surcroît, l’État a la possibilité d’exonérer (niches fiscales) certaines industries parmi les plus énergivores afin d’éviter les délocalisations. Pour les ménages les plus modestes, l’État a mis en oeuvre différentes mesures de compensations. L’objectif est alors de réconcilier fiscalité écologique et justice fiscale. Par exemple, il existe un dispositif d’aide au paiement des dépenses d’énergie : le chèque énergie. Par ailleurs, en réponse à la crise des “gilets jaunes”, l’État a annoncé la hausse de ce dispositif. Afin de financer cette mesure, le gouvernement a mobilisé 860 millions d’euros supplémentaires cette année.
Enfin, pour favoriser les effets de substitution, l’État approfondit la prime à la conversion qui encourage le remplacement des véhicules anciens (plus polluants) par des véhicules plus récents (moins polluants). Toutefois, ces mesures ne sont pas des solutions miracles. Elles peuvent diminuer l’efficacité des taxes (contre-incitatives). Par exemple, selon une étude de Terra Nova, le chèque énergie reste principalement utilisé pour payer les dépenses de chauffage. De plus, la prime à la conversion a des effets inflationnistes (les concessionnaires prennent en compte la prime dans le prix de vente). La fiscalité écologique est donc perfectible.
Quelles pistes pour améliorer la fiscalité écologique ?
Une coordination européenne et une lutte contre le dumping écologique
Dans le cadre du PSC (Pacte de Stabilité et de Croissance), qui vise à coordonner les politiques économiques des Etats membres, la Commission Européenne a publié des recommandations en matière de fiscalité environnementale. Si la Commission Européenne donne des orientations, elle ne permet pas encore une harmonisation de la politique fiscale européenne. En effet, une politique fiscale européenne permettrait d’éviter, au sein de la zone euro, le dumping fiscal. De surcroît, elle permettrait de rendre plus efficace l’ajustement aux frontières.
Ce dernier permettrait de taxer les importations provenant de pays n’ayant pas adopté de tarification carbone. La totalité des recettes serait alors utilisée afin d’alimenter un fonds européen. Ce fonds permettrait de redistribuer les gains au sein de la zone euro sous les diverses formes évoquées précédemment. Il est alors possible de penser qu’un tel projet, à l’échelle européenne, serait une grande avancée en matière de politique fiscale écologique.
De nouvelles taxes moins “nocives” pour l’activité économique
De nouvelles taxes ont été pensées afin d’améliorer la fiscalité écologique. Par exemple, la taxation incitative sur la collecte des déchets ménagers consiste à faire payer les usagers du service de gestion des déchets selon les quantités qu’ils produisent afin de les inciter à réduire leur production de déchets. La diffusion de la tarification incitative s’est largement accélérée (Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte :«LTECV», 2015) et concerne 5000 communes françaises en 2016. Selon une enquête de l’ADEME et de l’INSEE, entre 2009 et 2013, suite à l’instauration de cette taxe, les quantités d’ordures ménagères ont été réduites de 32% par habitant. La « taxe matière » est un autre exemple de mesure qui permet la réorientation des comportements.
Cette taxe touche les entrées et sorties de matières premières polluantes dans l’économie afin d’en réduire leur utilisation. Ainsi, le Royaume-Uni a mis en place en 2002 une taxe sur l’extraction de granulats, à l’origine d’une détérioration des fonds marins.Néanmoins, l’existence de nombreuses niches fiscales pénalise l’efficacité du système écologique. En effet, diverses exonérations d’impôts, d’un montant total de 6,6 milliards d’euros en 2011, ont été accordées en soutien à certains secteurs de l’économie française (agriculture, BTP, transport). Ces niches fiscales peuvent brouiller la qualité du signal prix envoyé aux consommateurs et aux producteurs d’énergies fossiles, ce qui complique la réorientation souhaitée des comportements.
Une prime d’accompagnement
Si la hausse de la fiscalité écologique est nécessaire afin de changer durablement les comportements de tous, il ne faut pas négliger la perte de pouvoir d’achat. Afin de réconcilier la fiscalité écologique et le pouvoir d’achat, de nombreuses voix suggèrent une prime de transition écologique. D’ailleurs, cette idée est au coeur du projet de taxe carbone du gouvernement de Justin Trudeau au Canada. Cette prime devrait être proportionnelle aux salaires des ménages afin de cibler les plus défavorisés. Elle prendrait la forme d’un crédit d’impôt et serait proposée aux 50% des ménages les plus modestes.
Afin de ne pas être contre-incitative et de ne pas avoir un effet inflationniste, cette prime devrait être plus forte pour les ménages très modestes et plus faible pour les ménages les moins modestes. Terra Nova, a donc proposé de créer une prime de transition écologique proportionnelle aux revenus et d’un montant de 100 à 500 euros. Cette idée semble efficace afin de ne pas faire subir aux plus modestes le poids de la fiscalité environnementale. Effectivement, cette dernière permettrait de réduire les inégalités écologiques tout en favorisant la protection de l’environnement.