En 2015, le FMI a annoncé une baisse de 2,1 % du PIB irakien. Le pays, qui doit faire face à de nombreux défis, est aujourd’hui au bord de la faillite. La lutte armée contre l’organisation Etat islamique a considérablement affaibli l’économie du pays. Et dépendant à plus de 90 % de ses ressources pétrolières, l’Irak doit faire face à la chute des prix du baril. Une baisse des prix du pétrole qui a fortement alourdi la balance des paiements du pays.
Le FMI monte au créneau
C’est à l’aune de la banqueroute imminente de l’Irak que le Fond monétaire international a décidé d’intervenir, sous conditions. Quinze milliards de dollars sur trois ans : c’est l’enveloppe promise fin mars 2016, qui sera accordée après la mise en œuvre d’un certain nombre de réformes exigées par le généreux prêteur.
Capitale d’un appareil étatique défaillant, Bagdad n’avait, jusque là, jamais dressé le bilan de ses comptes publics ; ce sera la première des nouveautés. D’autres satisferont notamment les compagnies pétrolières étrangères, puisque la dette contractée par les Irakiens devra être remboursée.
Mais, parmi ces mesures, certaines seront beaucoup moins bien accueillies. Afin d'augmenter les revenus de l’Etat irakien, le FMI mise notamment sur une augmentation de la facture d’électricité pour des usagers déjà privés de lumière plusieurs heures par jour. Les salaires des fonctionnaires devront quant à eux baisser - alors que beaucoup ne se présentent jamais à leur travail. Une bureaucratie déjà chaotique, en passe d’être alourdie par ces réformes, qui comprennent également la mise en place de pensions pour les seniors alors qu’aucun âge de départ à la retraite n’est fixé par la loi.[1]
Garant de l’orthodoxie budgétaire, le FMI impose également une augmentation des taxes et de l’impôt sur le revenu, dans un pays rongé depuis deux ans par l’extrême pauvreté et par des déplacements et des départs massifs de population.
Une réponse éloignée du contexte irakien
Si ces solutions paraissent crédibles sur le papier, elles ne sont sans doute pas réellement applicables à l’Irak, dont le problème endémique de corruption n’est à aucun moment pris en compte officiellement par l’institution internationale. Un facteur empoisonnant, dont le traitement devrait passer avant les mesures évoquées précédemment - qui risquent de ne faire que menacer la paix sociale dans un territoire déjà déchiré par de nombreuses luttes intestines.
D’autant que le FMI avait déjà accordé une aide à l'Irak en 2015, de plus d’un milliard de dollars, censée renflouer des réserves de change vidées par la guerre contre Daesh et par la chute du baril de pétrole. Une perfusion déjà en place depuis de nombreuses années. Plus de trois milliards de dollars ont été prêtés entre janvier 2010 et février 2013.
A la lumière de telles injections de devises sans réelle évolution positive de la situation sur place, le FMI occulte-t-il l’insuffisance de simples ajustements budgétaires ? A moins que ces réformes ne poussent le Premier Ministre irakien Haider al-Abadi à « démettre son gouvernement, remplacer les fragiles institutions du pays, réécrire la Constitution, réformer les partis politiques et réinventer la classe politique », le journaliste irakien Mohamed Chebarro estime que cette aide va dans le mur et fera exploser la dette du pays. « Même s’il y parvenait, Al-Abadi pourrait à peine envisager de gratter à la surface de la pointe émergée de l’iceberg de la corruption »[2]
D’autant que l’espoir d’un changement de gouvernement, ravivé par Moqtada al-Sadr, principale figure chiite de l’opposition, sera de courte durée. Le remaniement doit encore être voté par les parlementaires le 9 avril [ndlr : ce remaniement a finalement été annulé, suscitant une vague de protestions au sein de la société irakienne] . Craignant de perdre ses privilèges, la classe politique irakienne entend bien peser de tout son poids sur cette approbation.
La corruption, un fléau bien ancré
Le Shia Moqtada, influent chef religieux chiite, est réapparu dernièrement sur la scène politique en appelant les Irakiens à manifester contre la corruption. Moqdata réclame au Premier Ministre une réorganisation du gouvernement actuel. La corruption constitue en effet un défi majeur pour l’Irak, profondément entaché par cette pratique. De 2006 à 2014, 500 milliards de dollars ont disparu des caisses de l'Etat, selon un membre du comité officiel anti-corruption. Des sommes colossales sont ainsi dépensées pour payer des « soldats fantômes », ou alors une partie du budget servant à payer les soldats se retrouve dans les poches des généraux. D’après Mishan Al Jabouri, leader du comité anti-corruption, « 1 milliard de dollars a servi à acheter des avions de guerre qui ne sont jamais arrivés ». Il avoue avoir lui-même été corrompu. D’après ses dires, c’est la société entière qui est corrompue, toutes classes incluses. Au XIXe siècle déjà, le pays devait faire face à une forte corruption. Un héritage que le soulèvement de 2003 n’a pas endigué. Au-delà d’un problème structurel, la corruption est un fait culturel ; en Irak, chacun se vante d’avoir volé telle ou telle somme. C’est un signe de pouvoir dont on se targue, interprète Maria Fantappie, analyste senior des questions iraqiennes et kurdes au sein de l’ONG International Crisis Group[3].
Si une douzaine de ministres est aujourd’hui mise en cause dans des affaires de corruption, il reste difficile de les incriminer. Les plus impliqués dans ces affaires sont beaucoup trop protégés. Il est difficile pour le comité anti-corruption de mener des investigations à leur encontre, ses membres sont soit achetés avec de l’argent, soit menacés de mort. Au cours des derniers mois, le Premier Ministre Al Abadi, soutenu par l’Ayatollah Al Sistani, a lancé une nouvelle campagne contre la corruption visant à un contrôle plus strict des comptes, à tous les niveaux des entreprises et de la politique.
Face à la pression du peuple, Al Abadi saisit l’urgence de réorganiser son gouvernement et plus précisément de convaincre l’assemblée de voter en faveur du remaniement. Cet enjeu est d’autant plus important que l’Irak pourrait se voir retirer l’aide promise par le FMI en raison de progrès insuffisants dans la lutte contre la corruption.
[1] FERAT Angélique, « L’Irak et les aides du FMI », RFI, 1er avril 2016 [en ligne], consulté le 3 avril 2016 : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20160401-irak-dettes-aides-fmi-taxes-impots.
[2] CHEBARRO Mohamed, « Why Abadi’s efforts to reform Iraq will fail », Al Arabiya, 14 août 2015 [en ligne], consulté le 3 avril 2016 : http://english.alarabiya.net/en/views/news/middle-east/2015/08/14/Why-Abadi-s-efforts-to-reform-Iraq-will-fail.html.
[1] « Can Iraq make headway against corruption? », Débat sur la chaîne d’information Al Jazeera, 30 mars 2016 [en ligne], consulté le 3 avril 2016 : http://www.aljazeera.com/programmes/insidestory/2016/03/iraq-headway-corruption-160330163342788.html.
N.B. : cet article a été rédigé initialement le 3 avril 2016, lors du Forum Devenir Reporter 2016 organisé par l'Institut Open Diplomacy.
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