En 1995, la déclaration et la plate-forme d'action de Pékin ont été créées et adoptées par 189 gouvernements. Un programme visionnaire pour l'égalité entre les femmes et les hommes, qui a permis de prendre des engagements dans 12 domaines de préoccupation majeure, dont la promotion des droits fondamentaux des femmes. Mais 26 ans après, en 2021, aucun pays n’a atteint pleinement l'égalité des genres. Et les droits fondamentaux des femmes et des filles restent menacés, notamment les droits sexuels et reproductifs - DSSR, ces « droits de toute personne de prendre des décisions libres, informées et responsables et d’exercer un contrôle entier sur les aspects élémentaires de sa vie privée [...] sans s’exposer à quelle que forme de discrimination, de stigmatisation, de contrainte ou de violence que ce soit ».
Pourtant, le respect de ces droits est essentiel pour atteindre d’ici 2030 les Objectifs de Développement durable définis par l’Onu, et construire des sociétés plus durables et inclusives pour tous. Et la situation s’est encore aggravée avec la pandémie de la Covid-19, qui a malheureusement confirmé qu'en temps de crise, l'autonomie corporelle des femmes et des filles est l'un des premiers droits mis en péril. La mobilisation de tous les acteurs est donc majeure, des gouvernements et organisations internationales à la société civile en passant par les entreprises et les associations, afin de faire de l'autonomie corporelle, de l'accès et du respect de la santé sexuelle et reproductive, une réalité pour toutes et partout. Pour relever les multiples défis, légaux, réglementaires, socio-culturels, financiers, géographiques, comme sanitaires, ce travail multi-acteurs doit s'inscrire dans une dynamique durable.
La marginalisation des populations les plus vulnérables
En 2019, 190 millions de femmes en âge de procréer à travers le monde n’ont pas eu accès à des méthodes de contraception, ni aux services de planning familial. Des millions de femmes ont donné naissance sans aucun soutien de la part de professionnels de santé, même en cas de grossesse compliquée. Des millions de femmes n’ont pas pu recevoir les soins qui leur étaient nécessaires, voyant ainsi leur propre vie mise en danger.
Plus encore, les systèmes de santé du monde entier ne répondent que peu, ou partiellement, aux besoins de santé des femmes - c’est également souvent vrai pour les personnes transgenres et non-conformes au genre, celles travaillant dans le secteur informel, les migrants et plus généralement les communautés marginalisées. Cet état de fait s’explique notamment par la fragmentation des services de santé et le déficit de professionnels de santé qualifiés, qui s’aggrave. L’OMS estimait en effet, avant la crise de la Covid-19, le manque global de professionnels à 18 millions de personnes à travers le monde d’ici 2030 en l’absence de mesures déterminées. Or ce chiffre risque d’augmenter à l’aune de la crise, en raison à la fois de la réduction du nombre de professionnels - liées aux décès comme aux retards pris dans la formation des nouveaux entrants - et de l’augmentation des besoins en matière de santé des populations.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que les politiques de santé ne prennent pas suffisamment en compte les besoins spécifiques de certaines populations, notamment les plus marginalisées, tandis que les financements ne sont pas nécessairement durables et que leur distribution peut s’avérer par trop inégale. Le manque d'investissements notamment en soins primaires (soins de base incluant dans une perspective de justice sociale et d’équité) et dans la prévention s’ajoute à la liste des problèmes que rencontrent souvent les services de santé.
De nombreux pays peinent ainsi non seulement à atteindre la couverture santé universelle, c’est-à-dire à permettre un accès équitable aux services de santé de qualité, et à un coût supportable, mais également à y inclure les DSSR, et à faire les respecter au quotidien. Les stigmatisations, violences, discriminations sont de manière générale d’autant plus importantes pour les plus jeunes, les femmes souffrant de handicap, les afro-descendantes, LGBTQI, vivant avec le VIH, migrantes ou travailleuses du sexe.
Garantir l’accès à des services de santé sexuelle et reproductive de qualité
Relever les nombreux défis des droits sexuels et reproductifs demande d’adopter une approche globale des soins en santé sexuelle et reproductive, et de placer cette priorité au centre des politiques publiques. L’objectif est ainsi de favoriser l’accès à la contraception, à l’avortement, et à des services qui répondent aux besoins de santé des populations les plus vulnérables. En Amérique latine par exemple, le pourcentage de femmes en âge de procréer déclarant avoir besoin de contraceptifs modernes mais ne pas pouvoir y accéder, serait passé de 11,4 % début 2020 à 14,5 % - dans un scénario optimiste - voire à 17,7 % - dans un scénario pessimiste - fin 2020. En cause notamment, l’insuffisance de l’offre dans le secteur public, et des moyens financiers trop faibles pour acquérir les contraceptifs dans le secteur privé, des difficultés financières majorées par la crise économique. Dans ce contexte, il est nécessaire pour les acteurs publics de fournir des services de santé sexuelle et reproductive suffisants, et de proposer des méthodes contraceptives variées.
Des engagements budgétaires publics durables pourront ainsi permettre d’augmenter les investissements en matière de santé et de droits sexuels et reproductif, et de lutter contre les inégalités en matière d’accès, y compris pour les services pré- et postnatals, les services de planification familiale, la santé mentale, la contraception, l'avortement, et la lutte contre le VIH. Prendre à bras le corps les droits sexuels et reproductifs, c’est prendre à bras le corps la question plus générale de l’état de santé des personnes.
Plus encore, les effets concrets attendus pour les populations vont bien au-delà des enjeux uniquement sanitaires. Améliorer l’accès des adolescentes au planning familial permettra par exemple d’augmenter leurs chances de terminer leurs études en évitant des grossesses non désirées, d’augmenter le niveau d’éducation et de formation, de réduire les difficultés d’intégration sociale et de réduire le risque de pauvreté.
Pour parvenir à une telle évolution, il est impératif d’investir dans les ressources humaines en matière de santé et d’améliorer les conditions de travail et la reconnaissance des professionnels de santé, quel que soit leur statut. D’autant plus que les femmes représentent 70 % de la main-d'œuvre du secteur de la santé et de l'aide sociale à travers le monde : elles dispensent ainsi des soins à 5 milliards de personnes. Pourtant, la majorité occupe des postes de statut socio-professionnel inférieur, mal rémunérés, ou dans le secteur informel, et travaillent dans des conditions précaires. Garantir à toutes et tous, partout, des services abordables et de qualité, demande de veiller à ce que les professionnels de la santé puissent exercer leur activité de manière décente.
S’attaquer aux déterminants sociaux de la santé
Pallier les inégalités en matière de droits sexuels et reproductifs, c’est répondre aux enjeux budgétaires et de politiques publiques, mais également prendre en compte les déterminants sociaux, une de leurs principales causes. Ces déterminants sociaux de la santé concernent les circonstances dans lesquelles chacun naît, grandit, travaille et vieillit, ainsi que les systèmes de santé qui lui sont offerts pour se soigner. Souvent sujets aux choix politiques et dépendant des ressources financières disponibles, à l’échelle individuelle comme étatique, ces déterminants sociaux de la santé sont facteurs d’inégalités au sein d’un même pays comme entre pays.
Lutter contre ces déterminants appellent à relever de nombreux défis comportementaux, économiques et environnementaux, et demande notamment de sensibiliser dès le plus jeune âge, notamment à travers l’éducation. Les prendre en compte permet également de favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. En effet, les premières sont à la fois plus fortement affectées par les conséquences du changement climatique et par la crise économique : face à des difficultés financières, elles ont tendance à donner la priorité à la santé et aux soins de leurs enfants par rapport à la leur.
Respecter les droits sexuels et reproductifs suppose donc de créer un environnement légal, réglementaire et politique favorable afin de favoriser un accès équitable pour tous à des soins de qualité et à un coût raisonnable. Un exemple : la mortalité maternelle mondiale a baissé de 38 % entre 2000 et 2017 mais reste élevée. Or l’une de ses causes principales réside dans les avortements non encadrés médicalement dans les pays où l’interruption de grossesse n’est pas permise. De même, la criminalisation des professionels du sexe limite leur accès aux services de santé sexuelle et reproductive.
L’engagement politique en faveur des droits sexuels et reproductifs doit s’accompagner d’un travail de co-construction avec une multitude d’acteurs variés - qu’il s’agisse du secteur privé ou de la société civile, ou de la jeunesse elle-même. Au programme : fixer des objectifs communs ambitieux, déterminer des feuilles de route pour les atteindre et en assurer un suivi régulier. L’engagement de la société civile féministe constitue ici un aiguillon majeur pour les politiques publiques, au service des citoyens et de l’égalité réelle.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Audrey Fontaine, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy travaille sur les politiques de santé et le système sanitaire international.