Emmanuel Macron réunira ses homologues du G7 à Biarritz en fin de semaine avec, parmi les objectifs affichés, celui de faire de l’égalité femmes-hommes « une grande cause mondiale ». La devise d’une véritable diplomatie féministe dont la France entend se doter face aux reculs des droits des femmes dans le monde.
Dans une tribune conjointe publiée le 8 mars 2019, Marlène Schiappa et Jean-Yves le Drian ont esquissé les grandes lignes de la « diplomatie féministe », prônée par la France. Au cœur du programme, le pays souhaite porter trois priorités dans les institutions multilatérales : la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, l’accès à l’éducation et l’émancipation économique des femmes, particulièrement en Afrique. La patrie des droits de l’homme entend jouer un rôle majeur sur la scène internationale, en faveur des droits de la femme. Première étape, le G7 dont la France a la présidence en 2019. Afin de préparer le Sommet des chefs d’État à Biarritz (24-26 août), la secrétaire d’État chargée de l’Égalité a réuni ses homologues du G7 à Paris les 9 et 10 mai. Après deux jours de longues négociations, les ministres sont parvenus à un accord. Mais déjà sont apparus des premiers écueils, qui pourraient se révéler d’authentiques obstacles pour le leadership français.
Un concept récent dans l’histoire des relations internationales
Affirmer publiquement l’orientation féministe de sa politique étrangère est chose rare à travers le monde. Si depuis quelques années, des postes d’ambassadrices chargées des droits des femmes dans le monde ont vu le jour (Australie, Royaume-Uni, Finlande, États-Unis –vacant depuis 2017 – ou encore Canada), seuls deux pays ont précédé la France dans la mise en place d’une véritable diplomatie féministe. En septembre 2014, à la suite des élections législatives, le gouvernement de centre-gauche suédois a inscrit la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes au cœur de sa politique étrangère. Selon les mots de la ministre des Affaires étrangères, Margot Wallström, il s’agissait alors de « s’opposer à la subordination systémique et mondiale des femmes ». Émancipation économique, lutte contre les violences sexuelles, influence dans les processus de paix et participation politique ont été les maîtres-mots de ce programme diplomatique. En juin 2017, le Canada a adopté une politique d’aide internationale féministe qui doit permettre à ce qu’au moins 95% de l’aide internationale au développement intègre la dimension d’égalité des genres d’ici 2022. Au pays de la feuille d’érable, on considère en effet que l’égalité femmes-hommes est un facteur majeur de réussite dans la lutte contre la pauvreté et dans les processus de paix.
Au sein des instances multilatérales, l’émergence d’une diplomatie féministe est plus ancienne. Un an seulement après la création des Nations-Unies en 1945, la Commission de la condition de la femme (CSW) est formée et elle s’est réunie pour la première fois en 1947 dans l’État de New-York. Rattachée au Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC), la CSW a joué un rôle majeur dans la promotion des droits des femmes. Elle est ainsi à l’origine de la première Convention sur les droits politiques de la femme, ratifiée en 1953, ainsi que de nombreuses normes relatives au mariage (consentement, âge minimum) ou encore à la rémunération de la main d’œuvre féminine. Quatre grandes conférences mondiales sur les femmes ont par ailleurs été organisées par les Nations-Unies. La première en 1975 au Mexique a réuni les dirigeants de 133 états, à l’occasion de l’Année internationale de la femme. La dernière en Chine en 1995, a abouti à la signature par 189 pays du Programme d’action de Pékin ; il s’agit du document politique de référence en la matière. Il fixe les objectifs et les actions stratégiques pour la réalisation de l’égalité des sexes. En 2010, ONU Femmes est créée afin « d’accélérer les progrès ». C’est le secrétariat actuel de la Commission de la condition de la femme. En 2020, la France accueillera la conférence « Pékin + 25 » afin d’examiner et évaluer la mise en œuvre du Programme d'action de Pékin. Car comme Marlène Schiappa l’a déclaré à l’issue de la réunion des ministres du G7, « aucun pays dans le monde n’a atteint l’égalité entre les sexes ».
Au Quai d’Orsay, un virage stratégique amorcé depuis quelques années
La France, qui affiche publiquement l’approche féministe de sa diplomatie, entend rejoindre les nations pionnières que sont le Canada et la Suède. En consacrant l’égalité femmes-hommes, tour à tour, « grande cause nationale du quinquennat » puis « grande cause mondiale », l’élection d’Emmanuel Macron marque indéniablement un tournant dans la mise en place d’une véritable politique étrangère féministe. Au ministère des Affaires étrangères, des changements sont cependant à l’œuvre depuis plusieurs années. En 2008, le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, remis par Alain Juppé, formule des recommandations sur la nécessité d’adapter le ministère aux nouveaux enjeux liés à la mondialisation. Un an plus tard naît ainsi la Direction générale de la mondialisation (DGM). Au sein de cette direction générale, la Direction du développement durable est entièrement recentrée autour des 17 objectifs du développement durable (ODD), énoncés par les Nations unies en 2015. Cette nouvelle organisation permet au Quai d’Orsay d’investir plus efficacement des domaines dont l’importance ne cesse de croître, parmi lesquels le climat, la mobilisation de la société civile ou encore l’égalité femmes-hommes qui est au cœur du travail de la Sous-direction du développement humain. Celle-ci s’attache à défendre, au sein des instances internationales, les grands enjeux liés au développement humain : éducation, formation professionnelle, genre, droits et santé sexuels et reproductifs. Avec en ligne de mire l’ODD 5 : parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles.
Mettre en place une diplomatie féministe, c’est aussi valoriser la place des femmes dans l’appareil diplomatique français. A ce jeu-là, la France n’est pas aussi bon élève que la Suède et le Canada, pays dans lesquels la parité au sein des emplois supérieurs de leur diplomatie est quasiment atteinte. Représentant pourtant 52% des effectifs du Quai d’Orsay, les femmes ne sont que 46 à occuper un poste d’ambassadrice sur les 179 que compte le réseau diplomatique français (soit 25%). La tendance est au rattrapage, surtout depuis une dizaine d’années, mais les efforts de féminisation sont à poursuivre. C’est en 1972 qu’une femme exerce pour la première fois les fonctions d’ambassadrice : Marcelle Campana est nommée par Georges Pompidou au Panama. Il faut attendre le quinquennat de Nicolas Sarkozy pour voir à l’œuvre une première incontestable féminisation. En 2011, Sylvie Bermann, en Chine, est ainsi la première femme à être nommée à un poste du prestigieux « P5 », les cinq pays permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle sera ensuite en poste à Londres puis à Moscou où elle est actuellement ambassadrice. D’autres figures féminines majeures témoignent de cette tendance : Anne-Claire Legendre, Consule à New-York, ou Kareen Rispal, Ambassadrice à Ottawa. Cependant, aucun des sept postes les plus prestigieux dans la hiérarchie implicite du Quai d’Orsay, ne sont tenus par des femmes (Conseiller diplomatique du Président, Directeur et Directeur-adjoint de cabinet du Ministre, Secrétaire général, Directeur politique, Ambassadeurs à Washington et à New-York auprès de l’ONU). La vague de nomination sans précédent qui a eu lieu depuis le début de l’été (plus de 60 changements à la tête des ambassades et des représentations permanentes) n’a pas complètement rectifié le tir. Si, par exemple, Hélène Duchêne, ex-ambassadrice à l’OTAN, a été nommée à la direction générale de l’administration, les postes les plus convoités restent encore exclusivement entre les mains d’hommes.
Le G7, vitrine de la diplomatie féministe
L’égalité des sexes est à l’agenda des sommets du G7 depuis plusieurs dizaines d’années. Mais c’est en 2018, sous présidence canadienne, que le groupe des sept connait un incontestable élan féministe. L’ambition du Canada était d’aborder l’égalité entre les femmes et les hommes de manière transversale. Dans cette perspective, le premier ministre Trudeau a créé le « Conseil consultatif sur l’égalité des sexes », présidé par Melinda Gates et Isabelle Hudon, Ambassadrice du Canada en France. En 2019, la France entend utiliser le G7 comme une véritable tribune pour exposer aux yeux du monde l’approche féministe de sa politique étrangère. Emmanuel Macron a ainsi décidé de reconduire le Conseil Consultatif qui est désormais composé de 35 membres, issus de la société civile internationale. Afin de donner une grande visibilité à ce Conseil, des champions de l’égalité ont été nommés : y siègent notamment Emma Watson, Ambassadrice de bonne volonté d’ONU Femmes, Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix en 2018, ou encore Inna Shevchenko, figure majeure des Femen. Dans la continuité de la présidence canadienne, la France a également souhaité intégrer le genre à l’ensemble des travaux du G7 : la participation des femmes dans les processus de paix a été évoquée à Dinard lors de la réunion des ministres des affaires étrangères du G7 (5-6 avril), le rôle des femmes dans la transition écologique lors de la ministérielle environnement (5-6 mai), la santé des femmes et des filles lors du « G7 Santé » (16-17 mai) et l’égalité professionnelle qui sera abordée lors de la rencontre des ministres du travail (6-7 juin).
La légitimité du G7, souvent questionnée, peut être lue dans la convergence de valeurs et d’intérêts dont il témoigne et qui lui permet (en théorie) d’aboutir plus aisément à des consensus. Le G7 a ainsi un rôle d’impulsion politique en permettant l’élaboration plus efficace de solutions concrètes, qui trouvent leur caisse de résonance en G20 et dans les autres organisations internationales. C’est l’ambition de la France : faire du G7, le point de départ d’une dynamique internationale forte en faveur de l’égalité des sexes. Dans cette optique, ministres rwandais, burkinabé, tunisien, néo-zélandais, argentin et norvégien ont été conviés à la réunion des ministres du G7 chargés de l’égalité femmes-hommes. Cette dynamique internationale met l’accent sur la dimension législative. Le Conseil Consultatif a ainsi recueilli les lois les plus favorables aux femmes à travers le monde au sein d’un « bouquet législatif ». Il sera présenté aux chefs d’Etat lors du sommet de Biarritz, afin qu’ils s’engagent à en adopter au moins une, et devrait ensuite être élargi à d’autres pays. En outre, la France entend encourager la ratification de la Convention d’Istanbul (violences à l’égard des femmes et violences domestiques) ainsi que la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) par les pays qui ne les ont pas encore signées, y compris au sein du G7.
Des obstacles majeurs
Déjà à Charlevoix, la présidence canadienne avait dû se résoudre à certaines concessions face à l’intransigeance américaine. Ainsi en est-il pour son ambition de renforcer le mécanisme de redevabilité, permettant d’évaluer et mesurer les engagements pris par les chefs d’Etat. Mais c’est surtout le recul sur la question de la santé et des droits sexuels et reproductifs qui a marqué les observateurs. En effet, les États-Unis, qui y voient une promotion de l’avortement, font montre de la plus grande fermeté sur le sujet. En janvier 2017, Donald Trump a ainsi signé un décret interdisant le financement d’ONG internationales soutenant l’avortement. A l’issue de la réunion des ministres du G7 chargés de l’Égalité, l’optimisme n’était pas de mise. Lors de la conférence de presse finale, Caren Marks, la ministre allemande, a notamment déploré l’impossibilité pour les membres du G7 de s’accorder sur un langage commun concernant les droits sexuels et reproductifs.
De manière générale, le rapport de force international sur la question de l’égalité femmes-hommes tend à se raidir. Outre les positions fermes de plusieurs Etats sur la santé sexuelle et reproductive (dont les Américains, les Russes, les Saoudiens – tous les trois membres du G20), c’est le recul des droits des femmes dans le monde qui inquiète. Malgré des progrès en matière de législation, le Parlement européen constate ainsi « le recul des droits des femmes et de l’égalité hommes-femmes dans l’Union » (résolution du 13 février 2019). Sont notamment pointés du doigt l’accès à l’éducation, la santé, l’égalité salariale et la violence à l’égard des femmes. Ce phénomène prend racine dans la multiplication des conflits, notamment en Afrique et au Sahel, et dans le contexte politique conservateur qui s’étend à de nombreux pays à travers le monde.
« La France est de retour. Le féminisme aussi »
Face à ces obstacles croissants, la France cherche à jouer un rôle majeur pour la défense des droits des femmes au sein des institutions internationales. Lors de la conférence de presse tenue à l’issue de la réunion ministérielle, les remerciements à l’endroit du « leadership français » sont revenus dans la bouche de chacun des ministres du G7. Si certains esprits facétieux seraient tentés d’y voir d’abord une forme de politesse protocolaire envers le pays hôte, cela témoigne indéniablement du rôle endossé par la France depuis quelques mois, dans la lutte contre les inégalités femmes-hommes. Cette diplomatie féministe répond finalement à la réalisation des objectifs plus vastes de la politique étrangère française tels que le développement économique et la sécurité, notamment au Sahel. Dans cette zone où la situation sécuritaire se dégrade fortement, la France souhaite activer tous les leviers pour mobiliser ses partenaires et des ressources, au service du développement de la région. La priorité donnée à l’entreprenariat des femmes au Sahel témoigne de cette attention particulière accordée à une région avec laquelle la France entretient de nombreux liens.
Plus largement, la diplomatie féministe et le leadership français en la matière, s’inscrivent dans la volonté d’Emmanuel Macron d’incarner un multilatéralisme renouvelé. Face à la montée du protectionnisme et face à la défiance croissante envers les responsables politiques et les institutions, le président de la République a appelé à réformer le système multilatéral. Moins de déclarations, plus de concret ; voilà comment pourrait être résumée l’ambition d’Emmanuel Macron pour son G7. En s’ouvrant davantage à la société civile et en accueillant des pays hors G7 qui partagent ses valeurs, la France entend former des coalitions d’acteurs capables d’agir, en dépit des postures de blocages adoptées par certains états. Cet engagement féministe est au service de la volonté française d’accroître son poids diplomatique. La formule ponctuant l’allocution de Marlène Schiappa, à l’occasion de la 62ème session de la CSW, résume la situation : « la France est de retour. Le féminisme aussi. »