Compte rendu - Webinaire - Mercredi 14 décembre 2022 - Iddri, I4CE, OFCE & Institut Jacques Delors
Depuis septembre 2021, l’Europe est confrontée à une crise énergétique majeure. La guerre en Ukraine et les réponses politiques apportées ainsi que des difficultés concernant les outils industriels de production locale d’électricité sont à l’origine de la hausse historique des prix de l’énergie (pétrole, gaz, électricité). En pleine crise énergétique, la France se prépare donc à un hiver sous tension. Une réponse visant à limiter les impacts sociaux est attendue.
L’Assemblée nationale vient de voter le projet de loi de finances pour 2023 qui doit apporter des réponses aux questions quant à la capacité à gérer de front à la fois l’urgence économique et sociale et l’accélération de la transition énergétique et climatique. De plus, l’Europe essaie de trouver une solution collective à cette crise. Fin décembre, les ministres de l’énergie européens sont arrivés à un accord sur un plafond commun du prix de gaz. Se pose la question de la soutenabilité du budget 2023 au regard de cette crise énergétique à court et moyen terme.
Une crise durable nécessite une réponse à court et moyen terme
La crise que les Français et Européens vivent actuellement est une crise de prix et d’approvisionnement en énergie. Les prix du marché à terme d’électricité sont actuellement à 450 euros/MWh, ce qui est très élevé quand on compare au 50 euros/MWh en moyenne entre 2010 et 2020. De plus, on estime qu’à l’horizon 2026, les prix ne diminueront en moyenne qu’à 150 euros/MWh. La crise semble durable et surtout s'accélère. L'approvisionnement en gaz russe, déjà faible en 2022, va fortement diminuer en 2023, ajouté à l’embargo sur les produits pétroliers russes, cette tendance participe à tendre fortement les marchés de l’énergie. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, le manque de gaz représenterait 300 TWh en Europe qui devront être remplacés par d’autres énergies. Au-delà de la problématique des matières premières, les problèmes de production du parc nucléaire français aggravent la crise. Une dizaine de réacteurs, mis en service entre 1975 et 1985, sont actuellement à l’arrêt pour contrôle et remise à niveau. En conséquence, la production nucléaire d’électricité est diminuée et l’électricité fossile prend le relais. Des coupures d’électricité ou des exercices de délestage sont à craindre cet hiver en France.
Cette crise majeure affecte le quotidien des français dont la facture énergétique se trouve fortement augmentée. Les réponses politiques doivent être soutenables écologiquement, juste socialement et durables financièrement. Pour cela, les français attendent des mesures permettant de contraindre la hausse des prix de l’énergie, et plus généralement des mesures limitant l’inflation. Cependant, ces réponses politiques doivent prévoir un volet à plus long terme et des mesures structurelles pour gagner en résilience énergétique. Le budget 2023, voté à l’Assemblée Nationale, apporte une première réponse à ces deux enjeux de court et long terme via le bouclier tarifaire et une hausse des investissements pour la transition énergétique.
Une réponse à court terme efficace pour les Français mais non soutenable dans le temps
Face à cette crise énergétique et à l’inflation qui en découle, plusieurs mesures ont été proposées par le gouvernement français. La première a été le bouclier tarifaire instauré en octobre 2021 sur le gaz et l’électricité ciblant prioritairement les consommateurs. Le bouclier tarifaire permet de geler les prix réglementés de l’électricité et du gaz en limitant les taxes associées. Cette mesure a permis à la France de contrôler son inflation, la plus basse de l’Union Européenne. L’histoire nous a montré que l’inflation diminue lentement, la contrôler le plus possible permet de limiter l’austérité à appliquer.
Cependant l’inflation a un coût macro-économique fort, estimé à 100 milliards d’euros depuis l’instauration du bouclier tarifaire dont 45 milliards sont prévus dans le budget 2023. Pour rappel, le plan France Relance (2020-2022) était de 100 milliards dont seulement 30 milliards pour le seul Pilier « écologie et transition énergétique ».
On pourrait croire que le bouclier tarifaire sera financé en partie par les fournisseurs d’énergie qui affichent des chiffres records. Par exemple, les recettes de la “contribution temporaire de solidarité” sur les super profits sont estimées à 200 millions d’euros soit 1% de son bénéfice net des trois premiers trimestres 2022 du groupe Total Energies - bénéfice ayant augmenté de 43%. Si on ajoute la réduction volontaire de 30 centimes à la pompe dans les stations du groupe, l’énergéticien a participé à hauteur de 2 à 4% de son bénéfice net à limiter les dépenses d’énergie des Français. La mesure du bouclier tarifaire soulève donc une question de redistribution sociale. Ainsi, il semble être une mesure difficile à tenir dans la durée d’un point de vue financier mais aussi du point de vue social.
En effet, la mesure est égalitaire mais souffre d’un manque de justice sociale. Les consommateurs ne sont pas ciblés et bénéficient tous des mêmes avantages, peu importe leurs revenus ou leur consommation. Il n’y a pas d’incitation à la sobriété, le bouclier tarifaire modifie le signal prix de l’énergie. Les ménages les plus favorisés qui peuvent modifier leur consommation d’énergie ou procéder à des investissements énergétiques ne sont pas incités à le faire par cette mesure. On estime qu’en présence du bouclier tarifaire, les ménages les plus favorisés consommeront jusqu’à 2,4 fois plus que les ménages les plus défavorisés entre 2022 et 2023. Le bouclier tarifaire pris comme subvention profite donc plus aux ménages les plus riches, car il n’est pas conditionné à des mesures de sobriété énergétique ou de revenus. Le bouclier tarifaire permet quand même de limiter les inégalités d’accès à l’énergie.
Une réponse collective européenne est souhaitable. Chaque pays a adopté ses premières propres mesures avec des effets variés. L’Allemagne a favorisé le report modal en proposant un ticket de train à 49 euros par mois pour tout le réseau et dont le coût est estimé à 4 milliards d’euros - contre 8 milliards d'euros pour la réduction à la pompe de Total Energies. De manière similaire, la Finlande a réduit la TVA sur les transports publics. Ces mesures ciblent légèrement les consommateurs, limitant leur consommation d’énergie. D’un autre côté, l’Espagne a proposé un bouclier tarifaire sur le gaz utilisé pour produire de l'électricité, ce qui a mené à une surconsommation de gaz. Les réponses à cette crise doivent éviter ces effets pervers - la solution française est jugée coûteuse mais efficace. Ainsi, les ministres européens de l'Énergie se sont accordés, le 19 décembre, sur un plafonnement faible des prix du gaz quand ceux des contrats à un mois dépassaient, pendant trois jours d'affilée, les 180 euros/MWh.
Finalement, le coût le plus important de ce bouclier tarifaire est un coût environnemental. Aucune mesure coercitive ou incitative à la sobriété énergétique n’accompagne ce budget 2023. Le coût politique d’une telle mesure a peut-être été jugé trop important. Néanmoins, il est certain que le bouclier tarifaire est non soutenable dans le temps - il doit être accompagné d’investissements bas carbone et favoriser les énergies renouvelables.
Une réponse à long terme qui semble insuffisante pour atteindre nos objectifs pour la transition énergétique
Le budget 2023 prévoit un peu moins de 24 milliards d’euros pour les investissements dans la transition écologique, chiffre qui monte à 28 milliards si on ajoute les crédits de France Relance et France 2030. On estime qu’il faudrait investir environ 30 milliards d’euros en plus pour répondre au besoin de financement de la lutte contre le changement climatique. Le plan de finance de 2023 comporte 3,8 milliards d'euros de plus en 2022, chiffre encourageant mais en deçà des promesses de campagne du président Macron - 10 milliards d’euros investis en plus chaque année.
L’investissement pour la transition écologique est en retard et aurait pu amoindrir les conséquences de la crise énergétique. Le budget alloué à la rénovation énergétique des bâtiments de 1,6 milliard d’euros dont 910 millions pour MaPrimeRenov, chiffre bien plus faible que le bouclier tarifaire. La rénovation énergétique des bâtiments pourrait être une clé pour résoudre cette crise de l’énergie. De plus, on estime que le surcoût en importations de gaz lié au retard de transition vers les énergies renouvelables (EnR), s’élève entre 6 et 9 milliards d’euros. Dans le même temps, les investissements additionnels dans les EnR sont estimés entre 7 et 9 milliards d’euros par an pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone.
On pourrait se demander alors pourquoi ces crédits sont si faibles malgré l’urgence de la situation. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Le coût du bouclier tarifaire ou de nouvelles priorités budgétaires en font partie. Mais il faut aussi souligner l’absence de projets à financer, et la qualité moindre de certains projets proposés. De même, pour la rénovation des bâtiments publics ou des logements privés, il faut que les collectivités locales ou les ménages soient en mesure de faire des rénovations – complètes, ambitieuses, efficaces – et que les artisans soient là pour les faire. Cette contrainte à la hausse des financements publics est réelle. Elle doit inciter à augmenter le financement dédié à l’ingénierie, à l’accompagnement des porteurs de projets et au soutien des filières.
Le retard est particulièrement important dans les investissements de l’État pour les transports. La hausse du budget 2023 atteint un milliard d’euros – contre 5,4 milliards prévus – dont 800 millions pour les aides à l’acquisition de véhicules propres C’est surtout dans le ferroviaire et les transports collectifs urbains que le plan du Président Macron a pris du retard, d’où l’importance notamment des discussions en cours sur l’Acte II de la Loi d’Orientation des Mobilités. Si ce dernier a annoncé la création de dix RER métropolitains en France, ils n'apparaissent pas dans le Budget 2023.
En conclusion, la crise énergétique que les Français traversent aujourd’hui fragilise et affecte leurs finances. Le budget 2023 voté il y a quelques jours par l’Assemblée Nationale répond à des enjeux sociaux de court terme par le bouclier tarifaire, mesure égalitaire mais inéquitable qui ne peut être soutenable dans la durée. Cependant, le volet investissement pour la transition écologique est encore insuffisant pour répondre à une crise énergétique qui s’inscrirait dans la durée. Il permet donc aux Français de répondre efficacement mais seulement à court terme à la crise énergétique.
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