Le mardi 10 novembre 2020, le Parlement européen et les pays membres se sont entendus sur un accord concernant le prochain budget de l’Union ainsi que sur le plan de relance NextGenerationEU. Ce budget est le plus important jamais financé par l’UE : l'enveloppe globale s'élève à 1 800 milliards d’euros pour la période 2021-2027. L’objectif premier de ce « super-budget » est d’apporter une réponse contracyclique à la récession due à la covid-19 et de donner de nouveaux moyens à l’UE, notamment sur les questions liées à l’autonomie stratégique. Mais la durée des négociations, amplifiée par la création d’une myriade de nouveaux programmes, pourrait réduire significativement les effets de NextGenerationEU, ce qui nuirait à son efficacité.
Répondre à l’urgence de la récession du COVID de manière durable
Les dernières prévisions automnales de la Commission Européenne révèlent une fracture comparable à celle de la dernière crise de la zone Euro. Le choc est asymétrique : les économies du Sud, spécialisées dans les services et dépendantes du tourisme verront leurs économies se contracter - de 9 % pour la Grèce, jusqu’à 12.4 % pour l’Espagne. A l’inverse, les économies Nordiques subiront des récessions plus modérées, à l’image du recul de 5.6 % de l’économie allemande. A cet effet, et il s’agit là d’un dividende du Brexit, l’UE financera les 750 milliards d’euros du plan de relance NextGenerationEU avec un endettement commun à son nom afin de donner une impulsion budgétaire simultanée à l’ensemble de l’économie européenne pour sortir le plus vite possible de la récession. L’erreur du manque de coordination budgétaire de la dernière décennie ne sera pas répétée.
Une crise fait des dégâts, notamment sur le potentiel de croissance économique de long terme. Un des enjeux de la reprise est d’éviter de tendre vers une situation comme celle du Japon : démographie vieillissante, dettes privée et publique importantes et potentiel de croissance économique réduit à un niveau proche de 0. Pour lutter contre cette dynamique, le budget européen, ou cadre financier pluriannuel - CFP, complète l’action de NextGenerationEU. Ses 1 090 milliards d’euros, soit un montant en hausse d’environ 5 % comparé au précédent CFP qui incluait la contribution nette britannique, augmentera le financement de dépenses capables de stimuler le potentiel de croissance économique de long-terme.
Ce soutien passe par une baisse importante des crédits d’engagements affectés aux politiques traditionnelles de l’UE, à savoir la PAC et les politiques de cohésion, et par une hausse des montants de politiques devenues prioritaires. De ce fait, la part des dépenses prévues pour ces politiques traditionnelles passe de 69,4 % des dépenses totales pour la période 2014-2020 à 57,7 % pour 2021-2027.
A l’inverse, les dépenses liées à la recherche et l’innovation augmentent de 30 %, aux investissements stratégiques européens de 39 % et celles liées à l’espace augmentent de 25 % par rapport au CFP de la période 2014-2020. Ces 3 postes représentent désormais plus de 15 % du budget européen, contre à peine plus de 10 % dans le précédent cadre financier. L’UE entend donc bien intensifier ses efforts dans ce domaine, et de manière durable puisque 30 % de l’enveloppe globale des 1 800 milliards seront consacrés à la lutte contre le changement climatique dans le cadre du Green Deal.
Montée en compétences sur l’autonomie stratégique
Le prochain budget de l’UE va aussi affirmer sa capacité à protéger ses citoyens et à faire de l’Union un acteur plus prégnant au niveau mondial. Les dépenses liées à la gestion des migrations augmenteront de quasiment 40 % par rapport à 2014-2020, avec notamment le renforcement du Fonds « Asile et migration » - FAM qui sera porté à 10,4 milliards d’euros. Toujours sur le plan intérieur, les dépenses consacrées à la gestion des frontières augmenteront de 247 % par rapport à la période 2014-2020. Avec le nouveau Fonds pour la gestion intégrée des frontières - FGIF doté d’une enveloppe supérieure à 9,3 milliards d’euros, les agences décentralisées liées au FGIF, y compris Frontex (l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes), verraient leur budget quasiment tripler. Cela permettrait par exemple à Frontex de créer un corps permanent de quelque 10 000 gardes-frontières, contre environ 300 agents pour 2014-2020.
Le second pilier de l’autonomie stratégique de l’UE est basé sur son Hard Power. Un nouveau mécanisme de financement doté de 10,5 milliards d’euros, la « facilité européenne pour la paix », stimulera la capacité de l’UE à prévenir les conflits, à bâtir la paix et à garantir la sécurité internationale. Ce Fonds permettra d’accroître l’efficacité du financement des missions et opérations militaires relevant de la politique de sécurité et de défense commune - PSDC. Il facilitera également la contribution de l’Union aux opérations de soutien de la paix menées par ses partenaires. Enfin, la recherche militaire européenne, financée par le Fonds européen de la défense, qui comprend notamment l’actuel programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense - EDIDP verra son budget quasiment multiplié par vingt pour atteindre 11,5 milliards d’euros.
Tensions sur l'État de droit et danger sur le timing
Réunis le 19 novembre dernier, les 27 dirigeants européens n’ont pas réussi à trouver un accord sur le fait de conditionner le versement des aides européennes au respect de l'État de droit, question chère aux Quatre Frugaux - Autriche Pays-Bas, Suède et Danemark - avec l’opposition des Premiers ministres hongrois et polonais, rejoints par la Slovénie. En conséquence, il est fort à parier qu’aucun budget européen ne sera prêt pour le 1er janvier 2021, ce qui impliquerait que les règlements de 2020 seraient calqués en 2021. En d’autres termes, les nouveaux programmes ne verraient pas le jour au 1er janvier. Et étant donné l’ampleur du nombre de ces derniers, le nouveau budget européen ne pourrait entrer en application qu’à la fin de l’année 2021, le temps que la machine administrative européenne fasse son œuvre.
Ce retard pourrait même menacer l’efficacité du plan de relance NextGenerationEU qui est, pour rappel, financé par un emprunt de l’UE. Or, pour que la Commission puisse commencer à emprunter, la décision relative aux ressources propres doit être adoptée par le Conseil et ratifiée par les parlements nationaux des États membres. Ces ressources propres qui financeront le remboursement de l’emprunt (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, redevance numérique et recettes sur le système d’échange de quotas d’émission) ne seront proposées que pour le mois de juin 2021.
En se basant sur ce scénario, la Commission suppose qu’à peine 24.9 % des 750 milliards d’euros du plan NextGenerationEU seront effectivement dépensés entre 2020 et 2022, alors que c’est à ce moment que la reprise économique doit être le plus stimulée, pour espérer un retour rapide au niveau d’activité de 2019.
En outre, les plans de paiement établis par la Commission supposent que les Etats soient en mesure de dépenser 100 % de leurs crédits d’engagement annuel durant cette même année, c’est-à-dire dépenser tous les crédits prévus pour 2020 en 2020. Mais en pratique, les taux d’absorption nationaux annuels sont beaucoup plus bas : pour la période 2014-2020, ils ont varié de 48 % en Croatie, et de 95 % en Estonie et au Portugal.
Le prochain conseil européen du 11 décembre 2020 ne peut aboutir qu'à un accord pour que les 1800 milliards du prochain budget européen limitent au maximum les effets de la récession due à la covid-19.