En 2009, dans Le dérèglement du monde, Amin Maalouf nous alertait sur le fait que « l’une des leçons du 11 septembre 2001, c’est qu’à l’ère de la globalisation, aucun dérèglement ne demeure strictement local ».
Une décennie est passée depuis cet ouvrage et pendant ce temps, la globalisation n’a cessé de se renforcer. Un indicateur parmi des dizaines le prouve : à l’échelle mondiale, le trafic aérien est passé de 2,3 milliards de passagers en 2009 à 4,5 milliards en 2019 selon les données de la Banque mondiale, soit + 80 %.
Cette accélération de la mondialisation économique concerne en premier lieu les marchés financiers. Pour le meilleur et pour le pire. Ils sont sujets à la contagion rapide lorsque la panique survient, comme en témoigne la correction généralisée que les marchés financiers ont subi fin 2018.
La pandémie de coronavirus ne fait pas exception. Elle nous renvoie au défi de faire régner la stabilité financière comme le montre l’étude détaillée de l’impact du COVID-19 sur quatre indices boursiers (1) : le SSE Composite de la bourse de Shanghai, le S&P 500 de la bourse de New York, le CAC 40 de la bourse de Paris et le VIX. Ce dernier est aussi appelé « indice de la peur » car il indique le niveau de volatilité de l’indice S&P 500, c’est-à-dire la nervosité des bourses américaines.
L’interdépendance des économies se reflète immédiatement sur ces indices tant les cours retracent la propagation du virus à l’échelle mondiale. Décryptage de ce qui s’est passé entre fin janvier et début avril 2020.
| Cours du SSE Composite entre le 21 janvier 2020 et le 03 avril 2020 (Source : ABC Bourse)
| Cours du CAC 40 entre le 21 janvier 2020 et le 03 avril 2020 (Source : ABC Bourse)
| Cours du S&P 500 entre le 21 janvier 2020 et le 03 avril 2020 (Source : ABC Bourse)
| Cours du VIX entre le 21 janvier 2020 et le 03 avril 2020 (Source : ABC Bourse)
Dix événements politiques et économiques majeurs se distinguent dans l’analyse de ces cours de bourse. Il convient de rester prudent : l’interprétation des variations est toujours un exercice délicat car il est impossible de distinguer un événement dans le flux de l’actualité pour en mesurer l’impact isolé de tous les autres phénomènes. Mais certaines variations majeures retracent bien le déroulement de la pandémie.
1° Le premier événement notable est l’entrée en confinement de la province du Hubei et de sa capitale, Wuhan, le 23 janvier. La veille de cette décision, l’OMS se réunissait afin de déterminer si l’épidémie était une urgence de santé publique de portée internationale ou non. Immédiatement, le SSE Composite amorce un repli de 2,8 %.
2° Les 3 et 4 février, après dix jours de fermeture des marchés boursiers chinois pour cause de nouvel an chinois, la banque centrale chinoise abaisse le taux d’intérêt directeur et met sur le marché interbancaire 1,7 trillion de yuans (221 milliards d’euros). La mesure n’a pas immédiatement l’effet escompté puisque le SSE Composite clôture en baisse de 7,7 % le 3 février car les investisseurs s’inquiètent encore du nombre croissant de nouveaux cas de COVID-19 et de la multiplication des mesures de confinement sur le territoire chinois. La dépression commence le 5 février, comme en témoigne la hausse du SSE Composite.
3° Tout s’accélère la semaine du 24 février lorsque la peur d’un ralentissement global de l’économie se fait sentir sur le CAC 40, le S&P 500 et le VIX. Le lundi 24 février, le CAC 40 chute de 3,9 % et le S&P 500 perd 3,4 %. Dans le même temps, le VIX gagne 46,6 %, reflétant la nervosité croissante des investisseurs face à l’augmentation du nombre de nouveaux cas de COVID-19 en Chine et surtout hors de Chine. Sur l’ensemble de la semaine, le CAC 40 décroche de 12,4 % par rapport au cours de clôture du vendredi 21 février et de 13,1 % par rapport au plus haut annuel, entrant ainsi en phase de correction qui correspond à une baisse de plus de 10 points par rapport au plus haut de l’année. Le S&P 500 chute de 11,5 % par rapport au cours de clôture du 21 février et le VIX finit la semaine à 40,1 points, niveau supérieur à 30 points qui est signe de forte volatilité. Le 28 février, le PMI chinois, indice manufacturier, atteint son plus bas niveau historique : 35,7 % soit 14,3 points de moins qu’en janvier et un niveau inférieur aux anticipations des analystes. L’effet de cette annonce ne se fait pas attendre : le SSE Composite perd 3,7 %.
4° Début mars, le COVID-19 progresse hors d’Asie et mute alors en réalité mondiale. L’analyse graphique permet d’ailleurs de discerner une forte interdépendance entre le SSE Composite, le CAC 40 et le S&P 500 à partir du 9 mars.
5° Parallèlement, les conséquences économiques de la crise sanitaire sont amplifiées par l’absence d’accord entre l’Arabie Saoudite et la Russie, elle-même liée au ralentissement brutal de la demande mondiale de pétrole. Le prix de baril de pétrole s’effondre le 9 mars. Le SSE Composite, le CAC 40 et le S&P 500 décrochent simultanément. Dans le même temps, le VIX augmente de 29,9 % pour atteindre les 54 points. En pourcentage, c’est le CAC 40 qui enregistre le plus fort repli avec -8,4 %.
6° Rapidement, les tentatives politiques et économiques pour limiter la propagation du virus et ses effets sur l’économie pleuvent partout dans le monde et impliquent un retour forcé au protectionnisme. Donald Trump donne le La le 12 mars en décidant de fermer les frontières des États-Unis aux Européens pour au moins 30 jours. Le 12 mars se révèle être la pire journée pour le CAC 40 et le S&P 500 sur la période. Le CAC 40 dévisse de 12,3 %, soit la plus forte baisse journalière de son histoire, et le S&P 500 chute de 9,5 %. Le VIX clôture en hausse de 40 %. La baisse du CAC 40 est également due à la décision prise par la BCE de ne pas abaisser ses taux directeurs.
7° Le lundi 16 mars, le Brent chute de près de 10% et atteint son plus bas niveau en quatre ans. La veille, le programme de rachat de titres de la FED n’a pas l’effet escompté malgré l’annonce d’un montant de 700 milliards de dollars. Au contraire, la nouvelle a même accru les craintes d’une récession mondiale. La combinaison des deux événements implique de forts mouvements pour les quatre indices. Le SSE Composite perd 3,4 %. Dans la foulée, le CAC 40 chute de 5,8 % et le S&P 500 dévisse de 12 %. Le VIX gagne 43 % et atteint les 82,7 points soit son plus haut niveau sur la période.
8° La rédaction de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie et la mise en garde du Haut Conseil des finances publique qui juge que la dégradation économique « pourrait être plus marquée que prévu » sont probablement les événements les plus importants à l’échelle de la France. Ils ont lieu le 18 mars, soit deux jours après l’annonce du confinement dans le pays. Dans la foulée, Le CAC 40 enregistre une chute de 5,9 % et atteint son niveau le plus bas sur la période (3 755 points). Le soir même, la BCE se décide en urgence sur un programme de rachat de titres pour un montant de 750 milliards de dollars. La baisse du SSE Composite et du S&P 500 se poursuit également en raison des fortes incertitudes des investisseurs. Le SSE Composite perd 1,8 %, le S&P 500 perd 5,2 %.
9° Le lundi 23 mars, l’annonce d’un nouveau programme de rachat d’actifs par la FED ne parvient toujours pas à calmer les investisseurs. À cela s’ajoute l’échec du vote d’un plan de relance budgétaire de 2 000 milliards de dollars par le Sénat américain dans la nuit du 22 au 23 mars. Le SSE Composite perd 3,1 % et atteint son plus bas de la période (2 660 points). Le S&P 500 touche aussi son plus bas (2 237 points) et chute de 2,9 %. De son côté, le CAC 40 baisse de 3,3 %. Le VIX reste nettement supérieur à 30 avec 62 points mais se trouve sur une pente légèrement décroissante (- 6,7%). Le lendemain, la tendance se renverse, portée par l’espoir de trouver un accord au Congrès américain sur le plan de relance budgétaire. Le SSE Composite gagne 2,3%, le CAC 40 est en hausse de 8,39 % et surtout, le S&P 500 bondit de 9,4 %. C’est également la raison qui explique la remontée unanime des trois indices le 25 mars.
10° Le 26 mars, le nombre record d’inscriptions en une semaine au chômage aux États-Unis semble inciter les investisseurs à anticiper une accélération des mesures budgétaires de soutien à l’économie américaine. En effet, le S&P 500 est en hausse de 6,2 % et le CAC 40, porté par le regain d’optimisme américain, gagne 2,51 %. Ainsi, le S&P 500 et le CAC 40 regagnent respectivement 17,6 % et 21 % par rapport à leur niveau le plus bas sur la période. Le VIX a également perdu 26,2 % par rapport à son pic du 16 mars.
Depuis le 26 mars, les variations du SSE Composite demeurent relativement atones par rapport au reste de la période. La dernière variation significative des indices a eu lieu le 1 avril. Le CAC 40 a perdu 4,3 % et le S&P 500 a chuté de 4,4 %. En cause, les mauvais résultats des indices PMI en Europe (45 points soit son plus bas niveau depuis 2013) et aux États-Unis (49 points), qui présagent un fort repli de l’activité économique pour les mois à venir, ainsi que l’importance des destructions d’emplois aux États-Unis.
Ces 10 événements structurent les variations des marchés financiers durant la crise pandémique et la corrélation - plus ou moins forte - entre les cours. Tandis que les mesures sanitaires sont principalement localisées en Asie de l’Est jusqu’au 21 février, les interdépendances ne se manifestent pas et le SSE Composite est le seul indice à avoir connu des variations substantielles. Mais du 24 février et le 6 mars, les investisseurs européens et américains semblent prendre ensemble la mesure de l’ampleur de la crise sanitaire. La corrélation est alors parfaite entre le CAC 40 et le S&P 500 sur la période, et le SSE Composite connaît, quant à lui, une chute brutale le 28 février alors que le PMI chinois atteint son plus bas niveau historique. Enfin, à partir du 9 mars, l’ensemble de ces indices varient parallèlement et simultanément au gré des annonces des différentes Banques centrales et des mouvements du Brent.
Ainsi la géopolitique de la pandémie se reflète-t-elle dans la logique des marchés.