Le 15 mai dernier, l’organisation terroriste Boko Haram (qui signifie “l’éducation occidentale est un péché” en haoussa, une langue parlée au Nigeria) a effectué une énième incursion sanglante dans la région du lac Tchad, à Konduga, dans le nord-est du Nigeria tuant cinq militaires lors d’un attentat-suicide[1]. Boko Haram continue de mener des opérations d'ampleur, et ce malgré le recul territorial de l'organisation à la suite des offensives lancées par les États de la région.
Créé en 2002 au Nigeria par Mohammed Yusuf, Boko Haram (ou plus récemment « Etat islamique en Afrique de l’Ouest ») est devenu en quelques années l’un des groupes terroristes les plus violents de la planète.
Rejetant la modernité et la démocratie, Boko Haram qui s’inspire du courant salafiste, revendique l’application de la charia, la loi islamique, par la lutte armée sur l’ensemble des territoires qu’il contrôle sur le continent africain.
En août 2014, le groupe jihadiste a proclamé la création d’un « califat islamique » dans le nord-est du Nigeria, puis a prêté allégeance à l’État Islamique (EI) en mars 2015.[2]
Membre de Boko Haram en 2012, Nigéria
Des divisions au sein du groupe
Boko Haram est scindé en deux branches depuis août 2016 : l’une dirigée par Abu Musab Al-Barnaoui et affiliée au groupe EI, l’autre, conduite par Abubakar Shekau, un des chefs historiques du groupe nigérian.[3]
La faction d’Abou Musab Al Barnaoui mène plutôt des attaques contre les militaires tandis que celle d’Abubakar Shekau vise essentiellement les civils.
Abubakar Shekau est jugé trop «radical» et «extrémiste» par l'EI notamment en raison des attaques répétées qu’il a mené envers des mosquées et des musulmans dans les environs du Lac Tchad. [4]
« A priori, il y a une rivalité entre les deux branches de Boko Haram, mais ça n'exclut pas certaines coopérations horizontales entre elles dans des conditions bien particulières » note Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS (CERI-Sciences Po Paris), spécialiste des conflits armées en Afrique [5] .
Boko Haram s’est fait mondialement connaître en 2014, lorsque l’organisation ne formait encore qu’un seul bloc. En effet, le 14 avril 2014, le groupe terroriste a enlevé 276 lycéennes dans leur établissement situé à Chibok dans le nord-est du Nigeria. La majeure partie de ces femmes reste encore détenue par le groupe. Ce kidnapping avait suscité l’indignation à travers le monde notamment grâce à la campagne internationale BringBackOurGirls[6].
D’après plusieurs associations et organisations non gouvernementales[7], des milliers de jeunes filles et de femmes ont été enlevées par ce groupe terroriste. Boko Haram les utilise en tant qu’esclaves domestiques et sexuelles et bombes humaines, alors que les jeunes garçons et les hommes sont enrôlés de force dans le rang de l’organisation.
« On ne connaît pas le nombre exact de personnes appartenant à Boko Haram. Mais il faudrait parler en milliers certainement bien au-dessus d'une dizaine de milliers de personnes ».
Manifestation pour réclamer le retour des lycéennes enlevées par Boko Haram, New York, Etat-Unis, mai 2014
Un groupe affaibli mais résilient
Si l’emprise territoriale de Boko Haram a tendance à se réduire ces derniers temps, l’organisation terroriste multiplie les attaques et les attentats-suicides, à l'instar du double attentat meurtrier du 1er mai 2018 dans une mosquée et un marché de Mubi, au nord-est du Nigeria. Cette attaque a provoqué la mort de 26 personnes et blessés 56 autres. [8]
« Boko Haram n'arrive pas à déborder dans une zone qui a assez peu évolué mais l'intensification de ces attaques montre qu'il a une réelle capacité d’approvisionnement ».
De nombreuses ONG dénoncent l’augmentation de l’utilisation d’enfants par Boko Haram, en particulier des jeunes femmes comme « bombes humaines». Selon le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), en 2017, plus de 135 enfants ont été contraints par Boko Haram de devenir des kamikazes, soit cinq fois plus que durant l’année 2016.[9] Ces enfants sont avant tout des victimes et non des coupables, explique l’agence des Nations Unies.
Boko Haram utilise de plus en plus d’enfants, car ils n’éveillent que très peu les soupçons et peuvent franchir les points de sécurité plus facilement qu’un adulte. Ces enfants et ces adolescents ainsi utilisés déclenchent leur ceinture d’explosif sous les ordres des responsables de Boko Haram, le plus souvent dans des marchés, des points de contrôle, des gares routières, des mosquées ou encore des églises, et afin de toucher de plus de monde possible.
Une force multinationale conjointe pour combattre Boko Haram
D'après l'ONU[10], Boko Haram a fait plus de 20 000 morts et 2,3 millions de déplacés depuis son insurrection en 2009 : un million de déplacés au Nigeria, 303 000 au Cameroun et 374 00 au Tchad et au Niger. De ce fait et selon le bureau international des affaires humanitaires de l’ONU, la présence de l’organisation terroriste a engendré une grande crise humanitaire en Afrique. Près de sept millions de personnes dans la région du lac Tchad ont besoin d’une aide alimentaire, dont cinq millions au Nigeria et 1,5 millions au Cameroun. Plus de 500 000 d’enfants sont atteints de malnutrition aiguë sévère dans cette même région parmi lesquelles 85 % se trouvent au Nigeria. [11]
Des chiffres alarmants qui ne cessent d'augmenter de jour en jour, et ce malgré la mise en place d’une alliance régionale en 2015 pour lutter contre les islamistes nigérians de Boko Haram appelée force multinationale conjointe (Multinational Joint Task Force -MNJTF). La MNJTF est une force armée de près de 8 750 hommes, regroupant le Nigeria, le Tchad, le Niger, le Cameroun et le Bénin. Les actions menées par la MNJTF ont permis de récupérer plusieurs villes stratégiques de l’organisation terroriste. La MNJTF a toute sa pertinence car Boko Haram agit de manière transfrontalière (Niger et Cameroun en particulier). Le groupe continue également de semer la terreur au Nigeria et au Tchad[12]. La corruption au sein de la MNJTF conjuguée à la guerre asymétrique menée par Boko Haram sur un terrain complexe composé de forêts, marécages et d’îles rendent difficile son éradication. [13]
Roland Marchal et plusieurs autres spécialistes de la région estiment que le travail de la force régionale et de l'armée nigériane n'est pas suffisante pour déloger les membres de Boko Haram. Selon eux, les États entourant le Lac Tchad doivent non seulement faire des opérations aériennes et au sol, mais aussi rassurer la population et stabiliser les zones anciennement contrôlées par le groupe terroriste.
« Un travail militaire mais aussi social est nécessaire : de réintégration des combattants et de stabilisation d'un tissu social qui a été extrêmement brutalisé par Boko Haram, par l'appareil de sécurité nigériane, et par les milices qui ont été ressuscitées pour combattre Boko Haram »
Il faudra sûrement des années pour que Boko Haram disparaisse définitivement.
[1]« Attaque de Boko Haram à un check-point au Nigeria : cinq miliciens tués »
VoaAfrique - AFP, site consulté le 15 mai 2018
[2] Laurent Dupuis - AFP, « Infographie - Boko Haram, les grandes dates du combat », site consulté le 23 février 2018,
[3]« Boko Haram : de la secte islamiste au groupe armé », VoaAfrique - AFP, site consulté le 22 février 2018,
https://www.voaafrique.com/a/boko-haram-de-la-secte-islamiste-au-groupearme/4265621.html
[4]« Le leader de Boko Haram promet d'intensifier le combat jihadiste », AFP, site consulté le 8 juillet 2016,
[7] On peut citer par exemple Amnesty International : https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/04/nigeria-chibok-anniversary-a-chilling-reminder-of-boko-harams-ongoing-scourge-of-abductions/ ) mais aussi Human Right Watch: http://www.lepoint.fr/monde/boko-haram-le-rapport-complexe-des-femmes-avec-leurs-ravisseurs-10-05-2017-2126267_24.php
[8] Justine Benoit, « Au Nigeria, l’attentat de Boko Haram ravive l’enjeu sécuritaire », site consulté le 2 mai 2018,
[9] https://www.unicef.org/french/media/media_102357.html
[11]« Région du lac Tchad : la recrudescence des attaques de Boko Haram fait grimper le nombre de victimes civiles », Amnesty International , site consulté le 5 septembre 2017
[12] Anais Robert, « Pourquoi le Nigeria n'arrive pas à faire reculer Boko Haram », Les Inrockuptibles, le 30 août 2017,
[13] « Nigeria: offensive régionale contre Boko Haram », RFI, site consulté le 11 janvier 2018 http://www.rfi.fr/afrique/20180111-nigeria-offensive-regionale-contre-boko-haram