« Les conditions financières se sont sensiblement durcies et les risques de dégradation des perspectives économiques se sont accrus du fait de la guerre en Ukraine » énonce le Fonds monétaire international dans son rapport sur la stabilité financière mondiale 2022.
Aux conséquences économiques de cette guerre, survenue à la suite d’un choc économique sans précédent lié à la pandémie de COVID-19 – le produit intérieur brut (PIB) mondial s’est contracté de 3,3 % en 2020 – s’ajoutent aujourd’hui les potentielles conséquences économiques de la crise environnementale particulièrement en Europe. L’augmentation du risque systémique liée à la dégradation du contexte économique et géopolitique peut-elle conduire à une crise financière mondiale ayant de graves conséquences sur l’économie réelle, à l’image de la crise de 2008 ou de celle de 1929 ?
Le système bancaire est plus stable et plus sûr grâce aux réglementations adoptées en réponse à la crise de 2008, prévoyant de nouvelles règles en matière de résolution et de supervision. Toutefois, ces règles ne s’appliquent pas aux acteurs du shadow banking, secteur en croissance pouvant être à l’origine d’une crise systémique de par sa taille, son interconnexion et son modèle d’affaires. En outre, le système financier, en constante évolution, voit émerger de nouveaux acteurs et de nouveaux risques. Ceux-ci augmentent le risque systémique bien qu’aucun événement de nature systémique n’ait déstabilisé le système financier mondial pour le moment.
Un système bancaire mieux régulé donc mieux capitalisé et moins risqué
Alors que le système financier mondial, de par sa structuration et ses pratiques, a accru l’ampleur de la crise de 2008, il s’est révélé l’une des solutions pour atténuer les conséquences économiques de la crise liée à la pandémie de COVID-19 - à l’image du dispositif des prêts garantis par l’État en France.
Depuis 2008, le système financier mondial, et en particulier le système bancaire mondial, représentant 50,5 % de ce dernier, est plus sûr. Les États membres du G20 ont pris la décision, en avril 2009, d’élargir le périmètre de compétences du Financial stability board (FSB) et de renforcer ses pouvoirs afin d’établir un « cadre de normes rigoureuses internationalement reconnues ».
Le passage d'une logique de bail-out à une logique de bail-in
Tout d'abord, sous l’impulsion du G20, le FSB a coordonné le renforcement des règles concernant la résolution dans le droit des États membres afin de passer d’une logique de bail-out (sauvetage des banques systémiques par les États et in fine le contribuable à l’image du cas de AIG et Goldman Sachs en 2008) à une logique de bail-in (le sauvetage des banques par elles-même). Des autorités de résolution ont été créées afin de veiller à l’élaboration et à la mise en œuvre de mesures spécifiques de prévention et de résolution par les établissements bancaires.
A titre d’exemple, en France, en 2013, la résolution est devenue une compétence - et une direction - de l’Autorité de Contrôle Prudentiel, transformée à cette occasion en Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR). Elle collabore avec les pays membres de l’Union bancaire - pays de la zone euro ainsi que la Bulgarie et la Croatie - dont la résolution, via le mécanisme de résolution unique, est le deuxième pilier.
Pour assurer l’effectivité d’un potentiel bail-in, conformément à la décision prise par le G20 à Brisbane en 2014, les banques d’importance systémique mondiale doivent détenir des fonds propres additionnels - TLAC pour Total loss absorbing capacity - à même d’absorber des pertes importantes et de permettre leur recapitalisation. Ces fonds propres sont principalement des fonds propres prudentiels (les fonds propres CET1 absorbent les pertes en premier) ainsi que des dettes "éligibles" (super subordonnées ou senior) qui sont converties automatiquement en participations au capital de la banque en cas de diminution des fonds propres comptables en-dessous d'un certain seuil.
Dans l’Union européenne, la mesure a été élargie à l’ensemble des institutions bancaires importantes supervisées par la BCE par l'instauration des Minimum requirement for own funds and eligible liabilities (MREL). En outre, si ces éléments de fonds propres ne permettent pas une résolution ordonnée d’une défaillance bancaire, au niveau de l’Union bancaire, un fonds de résolution unique couvrant 1 % des dépôts de tous les établissements de crédit a été mis en œuvre. Il est alimenté par les contributions des banques participant à l’Union bancaire et devrait atteindre 80 milliards d’euros fin décembre 2023.
Les règles prudentielles de Bâle III
Ensuite, le FSB a établi, par l’intermédiaire du Comité de Bâle, un ensemble de règles prudentielles regroupées en 2010 sous le nom de « Bâle III » et mis en œuvre par les États dans leur législation. L’Union européenne a adopté dans sa législation cette série de réforme en deux temps : en 2013 via le règlement CRR et la directive CRD 4, puis en 2019 avec la mise à jour de ces deux textes (CRR 2, intégrant notamment le ratio de levier, et CRD 5). Ces normes ont permis l’instauration d’une surveillance de la liquidité, de l’endettement et de la concentration des expositions des institutions bancaires ainsi qu’un renforcement des normes en matière de fonds propres.
A titre d’exemple, concernant la liquidité, principal vecteur de la contagion d’une crise bancaire (comme a pu l’illustrer le cas Lehman Brothers en 2007), les banques doivent dorénavant détenir en permanence des actifs liquides. Ces actifs doivent être mobilisables en moins d’un mois et doivent permettre de faire face aux sorties de liquidités dans l’hypothèse d’une crise durant trente jours calendaires. Cette obligation a nécessité la mise au point d’un indicateur supervisé mensuellement par les autorités de contrôle prudentiel : le ratio de liquidité à court terme (LCR acronyme du nom anglais de l’indicateur Liquidity Coverage Ratio) Ainsi, au quatrième trimestre 2021, les actifs liquides des banques américaines représentaient 116 % des besoins de trésorerie et le LCR atteint 173 % pour les banques européennes.
L’activité de transformation des échéances, activité principale d’une banque qui collecte des dépôts à court terme et finance des activités à long-terme, n'entraîne pas seulement un risque de liquidité à très court terme mais peut aussi en entraîner à moyen-terme du fait du financement d’actifs par des passifs illiquides ou dont la valeur est instable. Bâle III a donc également instauré une surveillance du risque de financement afin de s’assurer que les banques maintiennent un profil de financement stable de leurs actifs et de leurs activités hors bilan. Cette mesure permet d’éviter que des difficultés perturbant les sources de financement des banques puissent conduire à une défaillance d’un établissement et/ou des tensions systémiques.
Pour cela, un indicateur de liquidité à long terme a été créé : le ratio de financement stable net (NFSR acronyme de l’anglais Net Stable Funding Ratio). Ce ratio correspond au montant du financement stable disponible rapporté au montant du financement stable exigé défini en fonction des positions à l’actif et des activités hors-bilan d’un établissement. La réglementation impose que cet indicateur soit constamment supérieur à 100 %, les financements stables disponibles devant être supérieurs aux financements stables exigés. Pour les six principaux groupes français, le NSFR s’élevait à 121,1 % fin 2021 et à 129,3 % en septembre 2021 pour les établissements les plus importants du mécanisme de supervision unique, premier pilier de l’Union bancaire - 110 banques représentant 82 % des actifs bancaires des pays participants. En outre, ces normes ont permis de réduire l’exposition des banques à un secteur d’activité ou une société en particulier, à l’image des banques espagnoles précédemment liées au secteur de l’immobilier résidentiel.
La finalisation de Bâle III
Les exigences totales de fonds propres d’une banque sont l'agrégat des exigences de fonds propres pour différents risques bancaires : le risque de crédit, le risque de marché et le risque opérationnel. Ces différentes exigences sont calculées soit par l’intermédiaire de modèles standards et uniformes, soit via des modèles internes propres à chaque banque. Cette dernière solution est principalement utilisée par les banques d’une taille importante, du fait de la complexité de ces modèles, pour diminuer avantageusement leur exigence de fonds propres par rapport aux modèles standards.
Ainsi, parmi les normes complétant Bale III, la mesure la plus importante est la régulation des modèles internes des banques. Il s’agit de limiter l’utilisation, par les banques, de ces méthodologies internes de calcul des risques, obligeant certaines banques à détenir un montant de fonds propres plus important.
Plus préciément, pour limiter les avantages des modèles internes, les normes finalisant Bâle III encadrent les différents risques bancaires.
- Elles suppriment la possibilité de calculer les exigences de fonds propres liées aux risques opérationnels par l’intermédiaire d’un modèle interne. Seule une approche standard peut être retenue prenant en compte les pertes opérationnelles internes des établissements sur les dix années précédentes.
- Pour les risques de marché et de crédits, l’utilisation des modèles internes est plus encadrée par la création d’un plancher communément appelé “Output floor”. Ce mécanisme limite la réduction des avantages en matière d’exigences de fonds propres qu’une banque peut tirer de l’utilisation des modèles internes par rapport à l’approche standard. Concrètement, la pondération des risques qu’un actif fait courir à la banque évaluée par un modèle interne ne pourra pas être inférieure, au 1er janvier 2030 pour les banques européennes, à 72,5 % de la pondération du risque obtenue via le modèle standard. L'avantage tiré de l’utilisation du modèle interne est donc limité à 27,5 %. Ainsi, à partir de 2025, une période transitoire va s’ouvrir faisant passer l’avantage maximum tiré de l’utilisation du modèle interne de 50 % à 27,5 %.
Conformément à la recommandation des États membres du G20 en 2009 à Pittsburgh, les relations entre les banques sont également plus régulées et plus sécurisées via les chambres de compensation qui garantissent le règlement des montants et la livraison des titres entre deux parties d’une transaction. Elles centralisent donc le risque de contrepartie. Les échanges de produits financiers standardisés de gré à gré - échanges dont les stipulations sont librement négociées entre les parties - doivent dorénavant se faire par l’intermédiaire d’une chambre de compensation, institution supervisée par les banques centrales ou les autorités de contrôle prudentiel dont les obligations de fonds propres ont augmenté depuis 2008.
Ainsi, alors que seulement 21 % des dérivés de taux d’intérêt et 14 % des contrats de crédits defaut swaps (CDS) étaient échangés par l’intermédiaire d’une chambre de compensation en 2010, fin 2021, 78 % des contrats de dérivés de taux d’intérêts et 62 % des contrats de CDS étaient compensés centralement.
Par ces transactions, la chambre de compensation permet d’assurer la stabilité des relations de marché entre institutions financières. En se substituant aux participants du marché, elle devient l’acheteur de tous les vendeurs et le vendeur de tous les acheteurs. Ce système permet à la chambre de compensation, en cas de faillite d’un des membres, de prendre en charge l’ensemble des obligations de ce membre. Pour cela, elle dispose de garanties : au moment de la transaction, les établissements financiers doivent fournir une fraction du montant de la transaction, ce montant varie en fonction de l’évolution du montant de leurs engagements. De manière subsidiaire, un fonds commun de défaut a également été mis en place. Pour les échanges ne passant pas par une chambre de compensation (échanges de produits financiers directement entre des contreparties financières ou une contrepartie financière et non financière appelés également échanges OTC - pour over the counter) les règles ont été renforcées pour sécuriser les transactions : les exigences de capital sont plus strictes et les appels de marge obligatoires.
Le secteur financier non bancaire, encore peu régulé, reste un danger pour la stabilité financière, tout comme la croissance du marché des crypto-actifs
Le secteur financier non bancaire représente un risque systémique non négligeable
Contrairement au secteur bancaire, les autres acteurs financiers non bancaires, également regroupés sous l'appellation de shadow banking, ne sont pas toujours supervisés et sont source de risques systémiques du fait de leur taille, de leur activité et de leur interconnexion avec le système bancaire.
Ce secteur représente un risque systémique car il est en constante croissance, particulièrement dans les économies émergentes. Il représentait 42 % du secteur financier en 2008 alors qu’il en représentait au sens large 49,5 % en 2019. Dans 7 pays, ce secteur est plus important que le secteur bancaire régulé.
La plupart de ces acteurs financiers, du fait de leur modèle d’affaires, sont soumis au risque de liquidité car ils financent des actifs à long terme avec des fonds à court terme - à la journée parfois - sans forcément respecter les différents ratios de liquidité auxquels sont assujetties les institutions bancaires. Au 1er trimestre 2020 lorsqu'est survenue la pandémie de COVID-19, des épisodes de sorties massives de liquidité ont eu lieu sans toutefois déstabiliser ces institutions du fait de la rapide réponse des banques centrales et des pouvoirs publics aux conséquences économiques de la pandémie.
Bien que non supervisés, depuis 2008, ces acteurs sont toutefois mieux surveillés et mieux cartographiés. Le risque réside ainsi principalement dans les entités comprises dans la définition étroite du shadow banking. Celles-ci représentaient, en 2019, 57 000 milliards d’euros, principalement des supports d’investissement collectifs, soit un peu plus d’un quart du shadow banking et 14 % du secteur financier mondial. Les autres acteurs sont en effet, pour la plupart, assujettis à d’autres réglementations comme cela est le cas pour les chambres de compensation ou encore les fonds d’investissements.
L’instabilité du secteur peut avoir des répercussions sur le système bancaire du fait de leur interconnexion. Les acteurs du shadow banking fournissent des liquidités aux institutions bancaires pour qu’elles se refinancent - notamment via les opérations de prise en pension d’un titre contre des liquidités. De même, les institutions bancaires investissent ou prêtent à des établissements du shadow banking comme des sociétés d’assurance ou des fonds de pension. Ainsi, 5,7 % du total actif des institutions bancaires provient du shadow banking et 4 % du total actif bancaire mondial est exposé à ce sous-secteur non régulé.
Le marché des crypto-actifs, autre source d'instabilité financière
En marge du secteur financier, le marché des cryptos-actifs croît de manière importante et peut devenir également facteur de risque systémique pour le secteur financier du fait de son modèle d’affaires, de sa croissance et de son interconnexion croissante avec le secteur financier traditionnel via l’effet richesse et par l'intermédiaire du canal de la confiance.
Les cryptos-actifs, au nombre de 10 000, sont des actifs financiers qui, pour la plupart, ne sont adossés à aucune valeur réelle et sont de facto très volatiles et soumis, en plus des risques opérationnels, à un risque de pénurie de liquidité. Leur valeur a quintuplé entre 2017 et 2022, passant de 620 milliards d’euros à près de 3 000 milliards soit un peu moins de 1 % de la valeur totale des actifs financiers mondiaux. Au cours de l’année 2021, la capitalisation des crypto a fortement varié, passant de 1 500 milliards d’euros en juin à près de 3 000 milliards en novembre et son interconnexion avec le secteur financier s'est accrue. Les variations du Bitcoin, principal crypto-actif en valeur, expliquent 14 à 18 % de la variation de la volatilité des actions S&P500 et 8 à 10 % de la volatilité du rendement des actions sur ce même marché en 2021.
En sus des secteurs non régulés du système financier en forte croissance et de plus en plus interconnectés au secteur régulé, le risque systémique est également amplifié par l’apparition, ces dernières années, de nouveaux risques exogènes que le secteur financier surveille moins.
Le système financier n’est pas encore prêt à affronter les risques climatiques, environnementaux et géopolitiques
Le secteur financier doit faire face, ces dernières années, à l’apparition de nouveaux risques exogènes, liés à des événements sanitaires, géopolitiques et/ou climatiques à même de mettre en péril sa stabilité.
Certains de ces risques commencent à être appréhendés étroitement par les établissements bancaires à l’image du risque informatique, risque opérationnel le plus important selon les établissements financiers eux-mêmes portant sur la confidentialité, l’intégrité ou la disponibilité des données et systèmes d’informations. Ce risque est particulièrement sérieux pour les établissements financiers, qui seraient trois cents fois plus susceptibles d’être ciblés par des pirates informatiques que d’autres secteurs. Factuellement, avant même l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes et les communications de la BCE en matière de risque “cyber”, le nombre de cyberattaques a beaucoup augmenté, en particulier au cours des confinements liés à la pandémie de COVID-19, passant de 5 000 incidents hebdomadaires répertoriés en février 2020 à plus de 200 000 en avril 2021. De ce fait, même s’il est difficile d’évaluer les potentielles pertes liées au risque informatique, des études estiment que le risque cyber pourrait conduire à des pertes entre 0,2 % et 4,2 % des revenus d’une institution financière. Cela pourrait même avoir un impact important sur l’ensemble du système financier en cas de vol de données et d’atteinte des systèmes de paiements, et même un impact critique si cela devait conduire à l’interruption d’une journée entière des paiements d’une des cinq grandes banques américaines.
Dans l’Union européenne, le Comité européen du risque systémique (ESRB pour European Systemic Risk Board), organisme européen chargé de la supervision macroprudentielle, juge qu’un événement cyber pourrait devenir systémique seulement dans des circonstances particulières liées à un choc sévère dans un environnement avec de multiples vulnérabilités amplifiées par une série de mauvaises décisions et un manque de procédures d’atténuation.
Aujourd’hui, il fait déjà l’objet d’une surveillance particulière en matière de gouvernance et de contrôle interne par les autorités de contrôle prudentiel. Ce contrôle sera renforcé par l’intermédiaire de dispositions en matière de gouvernance et de contrôle interne contenus dans le règlement Digital Operational Resilience Act (DORA).
Toutefois, deux risques ne sont pour le moment pas assez pris en compte par les établissements financiers : les risques climatiques et les risques géopolitiques
1 - Les risques environnementaux et climatiques dont le Network for Greening the Financial System (NGFS) considère qu’ils sont "source de risque financier” font peser trois types de risques sur les risques financiers traditionnels.
Tout d’abord, les risques de responsabilité affectent le risque opérationnel. Il s'agit des risques résultant d’éventuelles poursuites en justice pour avoir contribué au changement climatique ou ne pas avoir suffisamment pris en compte ce risque. Les actions d’une institution financière peuvent détériorer son image à l’instar des allégations de greenwashing auxquelles fait face DWS, société de gestion d’actifs allemande, filiale de la Deutsch Bank. Ces allégations ont conduit à une perquisition de la police dans les locaux de la banque le 31 mai 2022 ainsi qu’à la démission du directeur général de la structure et la chute en bourse de 26% entre le 30 mai 2022 et le 2 juin 2022.
Ensuite, les risques physiques affectent également le risque opérationnel. Ceux-ci englobent les conséquences financières incertaines résultant des effets du changement climatique. Ils peuvent conduire, du fait d’un événement climatique extrême, à l’indisponibilité des services financiers. Pour s’en prémunir, les banques doivent élaborer des plans de continuité d’activité.
Enfin, les risques de transition (risques liés aux incertitudes sur le secteur financier de la mise en place d’un modèle économique bas carbone) pourraient, quant à eux, affecter les risques de crédit et de marché. Entre 2016 et 2020, les 60 plus grandes banques mondiales ont accordé 3 393 milliards d’euros de financements aux entreprises du secteur des énergies fossiles. Ainsi, en cas de réglementation plus stricte sur les financements de ce secteur (par exemple en appliquant le plan “net zero by 2050” de l’Agence internationale de l’énergie qui prévoit de renoncer immédiatement à tout projet fossile), la moitié des actifs des sociétés du secteur des énergies fossiles pourraient être “échoués” en ce qu’ils perdront beaucoup de valeur et deviendront illiquides car aucun acteur financier ne voudra les acheter. Cette situation provoquera, pour les institutions exposées, une baisse de la valeur des portefeuilles des institutions financières et/ou une baisse de leur portefeuille de prêts à l’actif provoquant potentiellement une crise systémique par la diminution drastique d'octroi de nouveaux financements pour éponger les pertes ou la faillite d'institutions financières. A titre d’exemple, 11 banques de la zone euro cumulent un stock d’actifs liés aux énergies fossiles équivalent à 95% de leurs fonds propres.
Les risques physiques peuvent aussi impacter les risques de crédit et de marché car la crise environnementale détériore les résultats économiques de certaines activités et donc des expositions bancaires à ces activités. Ainsi, un réchauffement climatique inférieur à 1,6°C rendra 8% des terres agricoles actuelles climatiquement inadaptées.
Dans l’Union européenne, l’étude menée par la Banque centrale européenne (BCE) en 2021 a montré que malgré des progrès importants, aucune des 112 institutions bancaires étudiées ne respecte les 13 attentes formulées dans un guide sur les risques climatiques. À titre d’exemple, la plupart des établissements n’intègrent pas les risques climatiques dans leur modèle de risque de crédit et à peine 20% en tiennent compte lors de l’octroi de prêts. Toutefois, l’ensemble des institutions qui ont procédé à une évaluation du risque conclut que les risques liés au climat pourraient avoir un impact sur leur activité. Dans l’Union européenne, cet impact serait d’au moins 70 milliards d’euros selon les projections de 41 banques, estimation jugée très basse par la BCE.
2 - Le risque géopolitique est également moins appréhendé par les établissements financiers et les régulateurs alors qu’il est cité comme un facteur de risque principal sur la croissance future.
Pourtant, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, survenue dans une économie mondiale désorganisée et plus endettée (la dette mondiale a augmenté de 28 points de pourcentage en 2020) du fait de la pandémie de COVID-19 et de la sortie progressive des restrictions liées aux confinements a occasionné le retour de l’inflation, nécessitant un changement de politique monétaire et déstabilisant l’économie mondiale.
L’importance de ces deux pays dans les flux énergétiques et alimentaires mondiaux - la mer Noire assure 30 % des exportations de blé dans le monde - a entraîné une forte hausse du prix des matières premières et in fine des prix en général. Au mois de juin 2022, l’inflation était de 9,1 % sur un an aux États-Unis et de 8,6 % dans la zone euro.
Conformément à leur mandat, les banques centrales ont augmenté leurs taux afin de lutter contre l’inflation, renchérissant le coût de financement des agents économiques et occasionnant de premières difficultés de financement. La banque centrale américaine a augmenté ses taux en mai puis en juin 2022 pour atteindre un taux compris entre 1,5 % et 1,75 %. Dans la zone euro, la BCE les a augmentés de 0,5 points en juillet 2022 et a rappelé son objectif de ramener l’inflation proche de 2 % en augmentant si nécessaire les taux dans les prochains mois. Ce changement de politique monétaire a occasionné des difficultés de financement et une crise de confiance. Ainsi, au cours du mois de juillet 2022, des craintes ont émergé sur l’Italie du fait de l’écart croissant entre le taux d’emprunt à 10 ans allemand et celui de l’Italie. Cette nouvelle politique monétaire pourrait avoir des conséquences majeures en restreignant la liquidité et en perturbant les marchés dans les semaines à venir.
Conclusion
Les réglementations post-crise des subprimes ont renforcé la solidité du secteur financier et en particulier celle du secteur bancaire. La mise en œuvre de nouveaux ratios prudentiels, leur surveillance accrue ainsi que la relative faible exposition du secteur financier à la dette russe depuis l’occupation de la Crimée en 2014 ont permis d’éviter une crise financière systémique en plus de la détérioration de l’économie mondiale.
Toutefois, le secteur financier, et en particulier la partie non régulée interconnectée au secteur régulé, n’est pas pour autant prémuni contre des chocs endogènes ou exogènes à l’économie provoqués par une transition climatique désordonnée, une augmentation des événements climatiques extrêmes ou l’accentuation des tensions géopolitiques. Ce dernier risque est d’autant plus matériel que les zones de conflits latents augmentent dans le monde ces dernières semaines, à l’image de la détérioration des relations entre la Chine et ses voisins.
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