Voici 70 ans que Robert Schuman a fait sa Déclaration pour lancer l’entreprise politique la plus ambitieuse et la plus inattendue de l’Histoire contemporaine : l’Europe.
Tout a commencé, ce 9 mai 1950, par la mise en commun de la production de charbon et d’acier de six États européens. Après avoir mis un terme à un siècle de guerres entre ces Nations sœurs.
Ce 9 mai, nous fêtons donc un anniversaire très particulier.
Certains trinquent à la paix : il est vrai que l’Europe n’a jamais connu une aussi longue période sans conflit militaire à l’échelle du continent, et n’est pas près de retomber dans la spirale de la violence.
D’aucuns trinquent à la prospérité : il est vrai que, sans oublier les épreuves que nous traversons aujourd’hui, l’Europe unie a connu des décennies d’amélioration de nos conditions de vie, jusqu’à devenir la première puissance économique au monde.
D’autres, enfin, trinquent au progrès : il est vrai que l’Europe a durablement bâti ses fondamentaux sur les libertés.
Mais « vous connaissez le proverbe ? », nous demandait Balzac. Le 10 mai, nous aurons la réponse : « il n’y a pas de bonne fête sans lendemain ».
Le travail européen reprend : il est vrai qu’entre le nationalisme américain et l’opportunisme chinois, la crise du coronavirus ne peut pas autoriser un attentisme européen. Nous avons encore du chemin à parcourir pour construire cette Europe géopolitique. Pour inspirer et refonder une OMS fiable et puissante, par exemple.
Le labeur européen continue : il est vrai qu’à combattre les populistes de la Saxe à la Lombardie, la volonté politique européenne s’étiole. Nous avons encore du travail à faire pour réconcilier l’Union et ses citoyens. Pour faire du Green Deal la plateforme de sortie « par le haut » de cette crise pandémique, par exemple.
Le chemin de crête européen reste devant nous : il est vrai que nous sommes plus vulnérables désormais, amputés du Royaume-Uni, éloignés de Washington, et mis sous tension par Pékin, Moscou ou Ankara. Nous avons encore une longue route à faire pour rassembler nos forces. Pour gagner notre autonomie stratégique et conquérir notre souveraineté numérique, par exemple.
Pendant ces 70 ans, nous avons souvent opposé les « petits pas » de Schuman à l’espoir d’un « grand saut fédéral ». Nous devons désormais clore ce débat. L’Europe n’est pas un projet révolutionnaire, qui ferait table rase du passé et de ses Nations. Non : l’Europe est un projet sisyphéen. Notre tâche est interminable ; elle se réalise dans le soin quotidien que nous lui accordons.
Alors prenons la fête du 9 mai comme une occasion de formuler deux vœux nécessaires pour les 70 ans à venir.
Faisons vœu de patience. Il ne s’agit pas de nous freiner : bien au contraire, la construction européenne a besoin de s’accélérer tant la crise pandémique que nous traversons, révèle, une fois de plus, nos lacunes. Mais il s’agit de s’attendre les uns les autres. Qu’il est difficile de synchroniser les espoirs de chacun, de Stockholm à Porto, de Brest à Karpathos ! Par nature, l’exercice que nous entreprenons risque d’être décevant, car nous ne vivons pas encore totalement à la même heure politique. La patience est donc nécessaire.
Faisons vœu de bienveillance. Il ne s’agit pas d’être naïfs : reconnaissons sans honte que les intérêts des épargnants bavarois ne sont pas ceux des jeunes travailleurs madrilènes. Mais il s’agit de vouloir le bien les uns des autres. Qu’il est difficile de fédérer les bonnes volontés de Capri à Tallinn, de Dubrovnik à Bruges ! Par définition, le chantier que nous bâtissons risque d’être construit sur des malentendus, car l’intérêt du continent se dissout souvent dans les discours nationaux. C’est pourquoi la bienveillance s’impose à nous.
Sans minimiser nos espoirs, la patience est nécessaire pour mettre nos frustrations humaines au regard du temps qu’il faut à une telle entreprise de civilisation pour émerger. Sans balayer nos attentes, la bienveillance sera vitale pour exprimer pleinement cet affectio societatis si particulier qui réunit les Européens. Armés de cette patience et de cette bienveillance, nous pourrons alors continuer notre projet de concorde avec le sourire. Si l’Europe est un projet sisyphéen, alors, à la façon de Camus, suivons ces deux principes pour « imaginer Sisyphe heureux ».
- Thomas Friang, fondateur et directeur général de l’Institut Open Diplomacy
- Constance Bommelaer de Leusse, membre du Conseil d'orientation de We The Internet
- Bertrand Badré, ancien directeur général pour les finances de la Banque Mondiale
- Marie-Christine Vallet, journaliste, ancienne directrice déléguée éditorial Europe de Radio France
- Gilles Berhault, président de la Fondation des transitions
- Annick Cizel, politologue, maître de conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle
- Alexandre Asselineau, économiste, professeur associé de stratégie
- Anne Kraatz, historienne, senior fellow de l’Institut Open Diplomacy
- Alexandre Holroyd, député, président du groupe d’amitié France - Royaume-Uni
- Caroline Janvier, députée, présidente du groupe d’amitié France - Russie
- Christophe Arend, député, président du groupe d’amitié France - Allemagne
- Aude Bono-Vandorme, députée, présidente du groupe d’amitié France - Togo
- Isabelle Rauch, députée, vice-présidente de la commission des affaires étrangères