Ancienne ministre de la Transition écologique etambassadrice déléguée à l’Environnement, Barbara Pompili alerte sur la perte de légitimité du multilatéralisme environnemental dans un monde fragmenté, polarisé, saturé d’urgences concurrentes. La dégradation des COP, la défiance Nord-Sud, la montée des coalitions à géométrie variable et l’instrumentalisation politique de l’écologie sont les symptômes d’une crise systémique : celle d’un ordre international incapable de produire des biens publics planétaires. Pourtant, face aux tentations de repli ou de greenwashing géopolitique, BarbaraPompili appelle à refonder une gouvernance climatique hybride, polycentrique, alignée sur une vision lisible, inclusive et stratégiquement crédible. L’Europe, affaiblie par son manque de cohérence et de récit, doit assumer un rôle structurant : reconstruire la confiance avec les pays du Sud, mobiliser les acteurs non étatiques, et faire émerger une mondialisation écologique du XXIe siècle fondée sur la durabilité, la réciprocité et la solidarité active.
Pensez-vous que le multilatéralisme environnemental est en crise et qu’est-ce qui l’illustre aujourd’hui ?
Oui et non. Si on entend par « crise » une perturbation par rapport à ce qui existait auparavant, alors oui. Le multilatéralisme environnemental est profondément perturbé par le retrait ou le désengagement de ceux qui l’ont longtemps porté — les États-Unis notamment, qui se sont retirés de l’accord de Paris. Cela a ouvert la voie à un phénomène de passagers clandestins : si les États-Unis ne font pas d’efforts, pourquoi d’autres le feraient ? Cela a fragilisé tout l’édifice.
climat est encore un sujet très porté par le bloc occidental, et le détachement d’un « gros morceau » de ce bloc provoque un vrai bouleversement. Cela change la manière dont les pays et blocs se positionnent. On observe en réponse une nouvelle dynamique, notamment du côté des BRICS, qui développent une approche alternative du multilatéralisme.
En parallèle, certains pays deviennent des défenseurs actifs du multilatéralisme. La Chine, par exemple, adopte une position très volontariste dans les forums internationaux, avec un discours clair : elle veut maintenir le cadre coûte que coûte.
Un exemple révélateur : la COP Biodiversité à Cali (Colombie) s’est soldée par un échec, en grande partie à cause de désaccords sur le financement. Mais cet échec a provoqué une réaction immédiate. Une nouvelle session a été convoquée à Rome (mars 2025), et l’arrivée de la nouvelle administration américaine a entraîné une dynamique plus constructive. Beaucoup de pays se sont dit « on va essayer de sauver ce qu’on peut ». La COP 16 s’est alors terminée avec des résultats bien plus positifs que prévu. Donc oui, on est dans un moment de crise, mais la question est : est-ce une crise mortelle ou une crise salutaire ? Aujourd’hui, on ne sait pas encore. Il y a des signes dans les deux sens.
Pensez-vous que les formats actuels de négociation multilatérales (COP, accords ONU, conventions sectorielles) sont encore capables de répondre à l’urgence écologique ?
Les COP sont lourdes, lentes, fondées sur le consensus. Ce n’est pas un format agile. C’est précisément pour ça que le président Macron a lancé les One Planet Summit : pour permettre à des coalitions de pays volontaires, plus ambitieux, d’avancer plus vite dans un cadre souple, complémentaire.
Mais pour moi, l’un n’empêche pas l’autre. On a besoin de structures où même des pays en conflit peuvent se parler. Ce n’est pas parfait, mais l’efficacité existe : l’Accord de Paris, par exemple, a permis à presque tous les pays du monde d’avoir des objectifs de réduction d’émissions. Ce n’est pas rien. Ce genre de dynamique n’existe pas ailleurs, et notamment pas encore sur la biodiversité, par exemple, où les plans nationaux sont bien moins avancés. Le climat, lui, a des NDC, des bilans, des revues régulières. Et même si on est encore loin du compte, sans l’Accord de Paris, ce serait bien pire.
Le consensus est contraignant, mais il oblige tous les acteurs à rester à la table des négociations. La vraie question, c’est : que met-on en place en parallèle ? Quelles autres structures complémentaires construisons-nous pour aller plus vite, sans démolir le socle multilatéral ?
Il faut éviter de « jeter le bébé avec l’eau du bain ». L’ONU a ses défauts, mais on n’a rien trouvé de mieux. Il faut donc la réformer, pas l’abandonner.
Voyez-vous des dynamiques alternatives émerger (ex : One Planet Summits, Clubs climat, Diplomatie des coalitions multi-acteurs, Réseaux internationaux de villes engagées) ?
Oui, clairement. Et ces dynamiques alternatives ne s’opposent pas aux COP : elles gravitent autour, elles les complètent.
Les COP — et notamment la COP climat — sont devenues des espaces où se retrouvent toutes ces initiatives : coalitions de villes, entreprises, clubs, alliances thématiques. Cela ne plaît pas à tout le monde, notamment le fait que ces COP soient devenues des « business centers ». Mais, personnellement, je pense que c’est une bonne chose : quand le secteur économique commence à s’intéresser à un sujet, c’est que quelque chose est en train de se passer. On entre dans « le game ».
Oui, il faut éviter que ça devienne une foire ou que ça dérive. Le fait que les COP soient devenues « the place to be » pour le climat est plutôt une bonne nouvelle. Cela donne de la visibilité, attire les moyens, permet des échanges concrets.
Les coalitions de villes sont particulièrement puissantes : le C40, les villes côtières, les groupements par problématique ou par territoire. Elles permettent de passer à l’action concrète, à une échelle pertinente. Elles ne visent pas à supplanter le multilatéralisme, mais à le compléter. Ce sont des formes de subsidiarité bienvenues.
Et ça crée une dynamique. Même dans un contexte géopolitique tendu, ça bouge. On voit bien que certains essaient de contourner le système classique. À nous de décider : est-ce qu’on soutient ça ? Ou est-ce qu’on le subit ? Moi, je pense qu’il faut le soutenir. Les Nations Unies doivent se repenser, c’est évident. Mais on n’a pas mieux. Donc on garde ce cadre tout en acceptant d’y ajouter des briques complémentaires.
Un bon exemple, c’est la gouvernance de l’eau. L’ONU commence à se rendre compte que l’eau, qu’on croyait locale ou régionale, est en fait un enjeu mondial. Et il y a un vrai risque : si l’ONU ne crée pas de cadre multilatéral crédible sur l’eau, ce sont d’autres qui vont le faire à sa place. Aujourd’hui par exemple, l’Arabie a lancé une organisation mondiale de l’eau basée à Riyad, qui proposerait notamment des solutions techniques (désalinisation, etc.) aux Etats-membres.
Si on laisse ces initiatives se substituer au cadre multilatéral, on peut assister à une forme de privatisation d’un enjeu mondial. Ce n’est pas illégitime que des pays proposent des solutions. Mais ça ne peut pas remplacer une gouvernance au service du bien commun, régulée, légitime, neutre.
C’est d’ailleurs le cas dans le domaine de l’énergie : l’IRENA fournit une expertise technique, mais c’est la CCNUCC qui assure la cohérence politique.
Il y a plus globalement un problème d’image. Beaucoup de citoyens ne comprennent pas ce que font ces grandes conférences. Ça coûte cher, ça pollue, ça parle. Et on se demande : à quoi ça sert ? C’est pour ça qu’il faut montrer ce que ça change concrètement. Moi je le dis souvent : sans l’Accord de Paris, on serait dans une situation bien pire. Ce qu’on voit aujourd’hui sur nos territoires — des plans climat, des transitions qui s’engagent — découle de ces négociations.
On revient au fondement de l’écologie : « penser globalement, agir localement ». C’est ça qu’il faut remettre au centre du jeu. Chaque échelon a un rôle. L’individu, la commune, la région, l’État, l’ONU. Et chacun doit faire sa part, dans un système cohérent.
Quelles bifurcations ou ruptures pourraient transformer profondément l’équilibre actuel (ex : crise de légitimité d’une COP, retrait massif d’un bloc, montée de coalitions régionales) ?
Le risque numéro 1, c’est l’effacement. C’est dans un monde d’urgence, que l’écologie sorte des radars. Ukraine, Gaza, famines… Il y a toujours un incendie à éteindre. Or le climat, qui demande du temps, de la méthode, de la vision, ne s’inscrit pas dans ce tempo-là. Comme le temps démocratique impose des résultats rapides, les politiques de long terme sont sans cesse fragilisées.
Le risque numéro 2, c’est le backlash. Des gens expliquent que la transition ne sert à rien, que la science exagère, que c’est un complot. Il y a un vrai sujet autour de la désinformation, des discours anti-science. Et ces discours sont puissants. Ils circulent vite. Ils se nourrissent d’anxiété, d’inégalités, de peur de l’avenir.
Il y a donc un aspect psychologique fondamental : la confrontation du court terme et du long terme. Le court terme gagne presque toujours en politique. Mais si on ne maintient pas les quelques politiques de long terme qu’on a réussi à installer — comme celles issues de l’Accord de Paris — on perdra tout.
Les BRICS, eux, avancent. Ils créent un récit remettant en cause la prééminence occidentale dans le multilatéralisme. Ils disent : « on est les nouveaux non-alignés, on va se défendre ensemble » - et ça marche. Il y a de plus en plus d’adhésions. Et pendant ce temps-là, personne ne porte une vision structurée du monde de demain.
Ce qui fonctionne, ce sont les projets de territoire. En Chine, ça fonctionne (certes dans un régime autoritaire). À Singapour, ils ont construit un « musée du futur » pour montrer à quoi ressemblera leur société dans 15 ans. C’est participatif, c’est concret. Et ça transforme l’écologie en moyen d’atteindre une ambition collective.
Ce qu’il manque chez nous, et notamment dans les pays européens, c’est ça : une vision claire. Une direction. Un cap. Un plan.
Quel scénario imaginez-vous à horizon 5-10 ans pour la gouvernance environnementale mondiale ?
Difficile à dire, car 5 à 10 ans, c’est long… mais aussi très court. On est dans un moment de bascule. Beaucoup de choses vont dépendre de ce qu’il se passe maintenant.
Ce qui est certain, c’est qu’il y aura toujours des assemblages régionaux, des groupes de pays qui s’organiseront ensemble. On ne sait pas faire autrement. Mais ça implique d’accepter une chose : on est dans un système de rapport de force. Que ça nous plaise ou non.
Il va donc falloir construire ce rapport de force, y compris avec des pays qui n’ont pas forcément les mêmes valeurs que nous. Parce que si on ne le fait pas, on devient inaudible, voire inutile. Si tu ne pèses pas, tu n’es pas invité à la table. On t’utilise ou on t’ignore. C’est aussi simple que ça.
Donc, pour construire ce rapport de force, il faut identifier des leviers, des éléments qui peuvent faire de nous un partenaire intéressant pour d’autres. Et pour ça, il faut se trouver des alliés. Travailler avec certains groupes de pays, leur montrer que coopérer avec nous est dans leur intérêt.
Et ça commence par l’Union européenne. Aujourd’hui, l’UE n’est pas assez cohérente. Elle est tiraillée entre Trump d’un côté, les BRICS de l’autre. Et elle n’est pas assez unie pour y faire face et traverse une crise existentielle, avec en son sein, des forces qui veulent la faire exploser de l’intérieur.
Mais l’Europe seule ne suffira pas. Elle doit entraîner avec elle d’autres pays. Beaucoup de pays en développement ont besoin de moyens pour faire leur transition. Et ces pays commencent à comprendre que l’argent de certains pays, même s’il vient vite et sans condition, pose des problèmes sur le long terme : pas d’entretien, dépendance, faible durabilité des infrastructures.
À l’inverse, nous travaillons collectivement à proposer des programmes plus robustes, capables d’attirer des investisseurs privés, et donc de vraiment transformer l’économie locale. Ce sont les fameuses country platforms qu’on commence à voir émerger : une approche intégrée, co-construite, alignée sur une vision de développement durable.
Pour moi, ce sont les outils du futur multilatéralisme. On passe de l’aide projet-par-projet à une réflexion stratégique sur l’avenir du pays partenaire : comment il valorise son patrimoine naturel, comment il attire de l’investissement, comment il devient autonome.
Mais pour que ça marche, il faut rebâtir la confiance. Il y a un vrai travail de déconstruction de nos anciens schémas Nord/Sud, parfois encore coloniaux, et de reconstruction d’un référentiel commun.
Et surtout, il faut assumer notre vision. Arrêter de s’excuser en permanence. Oui, il y a une responsabilité historique. Mais si on propose quelque chose de cohérent, de juste, il ne faut pas en avoir honte. On a un boulevard devant nous, à condition de le prendre.
Comment les institutions françaises et européennes réagissent face à cette mise en cause de la gouvernance environnementale internationale ?
Elles sont en mouvement, mais c’est trop lent, trop partiel. Par exemple, on parle de mieux intégrer les pays en développement dans la gouvernance des institutions financières internationales pour prendre en compte les vulnérabilités climatiques – c’est le projet du 4P, le Pacte pour la Prospérité, les Peuples et la Planète.
On discute désormais des crédits biodiversité, des paiements pour services environnementaux, des crédits carbone liés à la préservation des écosystèmes. Des concepts autrefois très théoriques deviennent des instruments concrets de coopération et de transformation économique. Je pense que la prochaine COP 30 de Bélem, au Brésil, sera très intéressante, notamment parce qu’ils veulent en faire une « COP forêts ». Ces sujets-là vont devenir des objets de négociation économique à part entière.
La culture politique actuelle permet-elle d’assumer ce basculement ou faut-il des ruptures dans les pratiques diplomatiques ?
Pas encore. On n’a pas de stratégie cohérente. On arrose du sable. L’argent public seul ne suffira pas. Il faut mobiliser l’argent privé, ce qui suppose de créer de la confiance, de la visibilité, de la cohérence.
Les plus important est d’assumer des choix. Par exemple : on entend encore des formules du type « plutôt la Corrèze que le Zambèze » ; c’est un discours toxique qui laisse entendre que l’aide au développement est inutile. Que ça ne marche pas. Que ça ne sert à rien d’investir « là-bas ».
Ce n’est pas vrai. C’est une vision grossière. Certes, il reste des défis. Mais les choses ont évolué. On a les moyens de faire beaucoup mieux, à condition de le faire avec lucidité, ambition et respect.
Quels acteurs non-étatiques pourraient prendre une place centrale (ONG transnationales, réseaux de villes, entreprises engagées) ?
Aujourd’hui, ces acteurs jouent déjà un rôle de plus en plus structurant. On l’a vu : les coalitions de villes sont en première ligne, notamment sur le climat. Les ONG transnationales, elles, sont souvent en avance sur les États sur les sujets de transparence, de plaidoyer, d’alerte. Et certaines entreprises engagées intègrent des objectifs de durabilité plus sérieusement que certains États.
Mais pour que ces acteurs aient vraiment un rôle central, il faut que ça s’inscrive dans un cap politique clair. Sinon, ça reste une somme d’initiatives dispersées, sans vision commune. Il faut que ces forces de la société civile, des territoires et du secteur privé puissent s’inscrire dans une stratégie globale portée par les États.
Selon vous, le débat public actuel permet-il d’aborder ouvertement, clairement, ces questions ? Faut-il repenser la manière de formuler les enjeux de coopération environnementale ?
Oui, il faut absolument repenser la façon dont on raconte ces enjeux. Si on veut que des populations entières s’agrègent à un projet, il faut d’abord qu’il y ait un projet. Aujourd’hui, on a l’impression que tout est flou, que les politiques se contredisent d’un mois sur l’autre. Il n’y a pas de cohérence, pas de stabilité. Cette situation mine la confiance.
C’est pour cela que j’insiste sur la nécessité d’avoir un cap clair, une vision lisible. Ce que permet, par exemple, le Secrétariat Général à la Planification Écologique (SGPE), il faut le protéger, le faire vivre, en faire un pilier de cette stratégie de long terme.
Sinon, les citoyens ne suivront pas. Surtout si les efforts demandés sont mal répartis. Si certains doivent changer de mode de vie et d’autres non, cela crée des tensions, cela fracture la société.
Dans un moment d’incertitude comme celui qu’on vit – avec les guerres, Trump, la montée des nationalismes, le climat de peur – si personne ne donne de cap, tout s’effondre. On peut avoir les meilleures politiques du monde, si on ne raconte pas l’histoire collective qui les justifie, ça ne fonctionne pas.
Regardez Trump : il raconte une histoire. Elle est clivante, contestable, mais elle tient debout, elle est cohérente. Nous, en face, on ne raconte plus rien. Et c’est pour ça que je dis qu’il nous faut un Trump à l’envers. Quelqu’un qui ose porter une vision mobilisatrice, humaniste, écologique. Pas juste un gestionnaire de crises.
Et cette étape narrative est trop souvent négligée. On se précipite dans l’action sans prendre le temps de construire la vision. Résultat : les politiques s’écroulent comme des châteaux de cartes. Il faut du courage politique, et du temps long.
Quelles logiques anciennes structurent encore notre vision du multilatéralisme environnemental (ex : confiance dans les grands sommets, fétichisme des accords universels) ?
On est encore trop dans le fétichisme des grands sommets. On croit que si on organise une grande conférence avec tout le monde, alors ça va suffire. Mais ce n’est plus vrai.
Il faut sortir de cette illusion du consensus universel. Tous les pays ne partagent pas les mêmes valeurs, ni les mêmes priorités. Il faut donc accepter une gouvernance plus différenciée, polycentrique, plus souple, mais qui reste alignée sur des principes clairs.
Faut-il imaginer de nouvelles institutions hybrides, différenciées, polycentriques ? À quel niveau de transformation cela oblige-t-il ?
Oui. Et d’ailleurs, c’est déjà en cours. Des coalitions de pays se structurent sur des enjeux précis. Des instances techniques se mettent en place. Des coalitions d’acteurs non-étatiques se fédèrent.
Mais il faut aller plus loin : créer des institutions à géométrie variable, capables d’embarquer les volontaires sur des actions concrètes, sans attendre que tout le monde soit d’accord sur tout. Et dans le même temps, préserver un cadre universel, comme l’ONU, pour garantir un minimum de stabilité.
Quels liens faites-vous entre cette crise de coopération internationale et les autres dimensions de la polycrise (économique, géopolitique, éthique) ?
Tout est lié. La crise écologique est le symptôme de la fin d’un modèle. Ce modèle – fondé sur la croissance illimitée, l’exploitation des ressources, l’injustice Nord/Sud – est aujourd’hui scientifiquement reconnu comme non-durable. Et si ce modèle tombe, si on ne prépare pas l’alternative, tout tombe avec : crise sociale, crise géopolitique, montée des conflits.
C’est pour ça qu’on a besoin de reconstruire un nouveau modèle global, fondé sur : (1) une vision partagée du futur, (2) la protection des plus faibles, (3) des politiques sociales robustes, et (4) une cohérence systémique des politiques (énergie, commerce, agriculture, climat…).
Par exemple, si on veut une économie décarbonée, on doit : (1) sortir des fossiles, (2) électrifier les usages et (3) développer les renouvelables. Or cela suppose de régénérer nos réseaux électriques, d’accéder à des matériaux critiques (comme le cuivre), dont la majorité se trouve dans des zones en stress hydrique, donc avec des tensions sur l’eau. Donc il faut repenser nos coopérations, nos chaînes d’approvisionnement, penser en système, casser les silos. Et ça, c’est le contraire de la culture politique et administrative actuelle.
Charbonnier dit que la remise en cause du système actuel remet aussi en cause le système de paix. Il faut désormais imaginer la paix sans la mondialisation et l’exploitation des ressources comme aujourd’hui, qui est une forme de mondialisation.
La mondialisation on y est on y est, l’interdépendance restera. Nous sommes condamnés à nous entendre et le meilleur moyen reste le multilatéralisme, il faut un commerce international qui tient plus compte de la réalité du monde: vendre ce que les autres n’ont pas plutôt que ce que les autres ont déjà, il faut entrer dans le monde de la mondialisation intelligente. Une mondialisation sur des échanges de flux qui protègent plutôt que des échanges de biens qui divisent.
Quelle recommandation centrale formuleriez-vous pour renforcer la coopération environnementale internationale de manière plus efficace ?
Je porte l’idée qu’il ne faut pas renoncer au multilatéralisme mais le refonder. Pour cela, nous avons besoin de construire un récit collectif clair, de donner un cap lisible à tous les niveaux (du local au global), de créer des outils de coopération crédibles, adaptés aux réalités de terrain, d’assumer une vision européenne ambitieuse, et enfin de mobiliser tous les leviers (publics, privés, territoriaux).
Cet entretien s'inscrit dans le cadre de l'étude prospective sur la polycrise réalisée par l'Institut Open Diplomacy. Inscrit dans le chapitre dédié à la crise écologique, il a été réalisé par Laurence MONNOYER-SMITH et Charles-Auxence TELLE, Senior Fellows de l'Institut Open Diplomacy.